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Faut-il craindre l’essor des banques islamiques?

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Le paysage bancaire du Golfe s’est également métamorphosé – shutterstock.com

Les leaders économiques de la péninsule arabique s’imposent partout, en Europe et en Asie, en Amérique du Nord comme en Afrique, et dans de nombreux domaines : de la finance au sport, en passant par l’industrie, l’immobilier, les transports, les nouvelles technologies, les médias… Leurs fonds souverains, dotés d’une capacité financière sans pareille, se sont hissés au rang d’acteurs majeurs du capitalisme mondial.

Aujourd’hui cette région est non seulement pleinement entrée dans l’histoire mais elle compte bien l’écrire à son tour. Ce miracle, elle le doit à ses dirigeants d’entreprises, aux ambitions et aux moyens considérables, à ses puissantes familles, à la tête de conglomérats tentaculaires et à ses nouvelles générations, formées dans les meilleures universités du monde. Ils incarnent le Golfe émergent. Dans cette partie du globe marquée par un environnement géopolitique instable et confrontée à de nombreux défis, un mouvement mûrement réfléchi de diversification économique, amorcé dans les années 1980, s’accélère dans l’optique de réussir l’après-pétrole et faire de la région un des moteurs de l’économie mondiale.

Qui sont ces hommes, et ces femmes aussi, qui, de Riyad à Doha, de Dubaï à Djeddah, en passant par Abu Dhabi et Koweït City, dessinent l’avenir de leur région, parmi les plus bouillonnantes et influentes ?

Extraits de Le ciel est leur limite, de Francois-Aïssa Touazi (Editions du Moment – novembre 2014)

En l’espace d’une vingtaine d’années, le paysage bancaire du Golfe s’est également métamorphosé. Des tendances de fond sont à l’œuvre qui trouvent leur source dans les milieux conservateurs et religieux. Les banques islamiques du Golfe représentent en effet une part croissante et désormais significative du total des actifs du système bancaire au sein du CCG (24 % du total des actifs des 50 premières banques du GCC en 2012[1]). Une banque islamique est une institution financière, dont le fonctionnement repose sur les principes de la loi musulmane qui imposent justice, équité et transparence. Ces banques n’utilisent pas la notion d’intérêts, interdite, dans leurs opérations commerciales, pour rémunérer la valeur du temps. Elles utilisent la notion de profit pour rémunérer la valeur du travail et du capital. Ces banques ont connu un essor important dans les pays du Golfe dans la mesure où elles ont réussi à attirer une clientèle riche et conservatrice qui souhaitait pouvoir réaliser des opérations financières, sans avoir recours aux grandes banques conventionnelles, considérées comme usurières.

[image:2,s]L’émergence et le développement des banques islamiques se sont accélérés après 1975. La Banque islamique de développe- ment, bras financier de l’institution politique de l’Organisation de la coopération islamique regroupant l’ensemble des pays musulmans, a alors fixé le cadre réglementaire propre à cette activité. Ce dernier a permis d’établir les standards internationaux pour les banques islamiques avec notamment une série de normes comptables, prudentielles et bancaires. Mais la croissance des banques islamiques est restée modeste dans les années 1970 et s’est limitée aux pays du Moyen-Orient. Dubaï a été le premier à créer sa banque islamique nationale, avec la Dubaï Islamic Bank au début des années 1980, suivi par le Koweit (Kuwait Finance House), Abu Dhabi (Abu Dhabi Islamic Bank) et, plus récemment, Oman en 2012.

Chaque pays compte désormais ses banques islamiques. Dans chacun d’entre eux, leur installation a suscité des inquiétudes au sein des milieux conservateurs. Ces banques suivent-elles scrupuleusement les préceptes de la religion ou usurpent-elles la légitimité de la religion ? Et quid des banques qui ne se disent pas islamiques ? C’est sans doute pour éviter de telles interrogations que ni le Koweït ni l’Arabie saoudite ne comptent de banques comportant l’appellation « islamique », comme on peut en trouver au Qatar avec la Qatar Islamic Bank (QIB) ou à Dubaï avec la Dubai Islamic Bank (DIB). Toutefois, comme pour les banques conventionnelles, ces deux pays, l’Arabie saoudite et le Koweït accueillent les plus importantes banques islamiques du monde, avec respectivement la banque Al Rajhi et la Kuwait Finance House.

Les taux de croissance affichés par ces banques dites « ver- tueuses » résultent d’abord du montant des dépôts des particuliers, mus par des motivations religieuses. Ce phénomène a incité d’autres institutions financières étatiques (fonds de pension, fonds de retraite, etc.) à suivre la même voie. Ces dernières ont progressivement mis leurs principes de gestion d’investissement en conformité avec les préceptes religieux, ce qui consiste à investir dans des actifs financiers tangibles et peu sophistiqués, tel l’immobilier, mais aussi dans des fonds d’investissement qui financent l’économie « réelle » (l’industrie, la santé, l’éducation par exemple). Aucun investissement spéculatif n’est autorisé. Ce fuel additionnel a véritablement permis l’envol des banques islamiques dans la région.

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Co-fondateur du think thank CAPmena et du MENA Economic Forum, ancien conseiller Afrique du Nord-Moyen-Orient au ministère des Affaires étrangères, François-Aïssa Touazi conseille le fonds d’investissement Ardian et un groupe du CAC 40 pour le monde arabe.

[1] « Situation, rôle et perspectives du secteur bancaire dans les pays du Golfe », intervention de Jean-Christophe Durand, Colloque, Sénat.

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