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Erdogan mis en difficulté lors des législatives truques

Selon les résultats désormais officiels, l’AKP est arrivé en tête du scrutin de dimanche, mais n’a recueilli que 40,8 % des suffrages, une dégringolade de près de 10 points par rapport à son score d’il y a quatre ans, où il avait frôlé les 50 %. Victime pêle-mêle du récent ralentissement de l’économie et de la dérive autoritaire et islamiste reprochée à Recep Tayyip Erdogan, il obtient 258 des 550 sièges de députés, nettement en dessous de la majorité absolue de 276. En mettant son projet de « sultanat » au centre des législatives, il en a fait un référendum sur sa personne. La réponse de l’électorat est sans appel. Le tableau des résultats par région montre combien la désaffection est grande, en premier lieu dans les régions kurdophones de l’Est et du Sud-Est, mais aussi sur toutes les côtes (Marmara, Méditerranée, Egée) où le vote en faveur de l’AKP a largement reculé par rapport aux législatives de 2011.

En se jetant à corps perdu dans la campagne – en dépit de la neutralité due à la fonction présidentielle – en polarisant la société dans ses discours (laïcs contre religieux, sunnites contre alévis, Kurdes contre Turcs) M. Erdogan a perdu l’adhésion d’une bonne partie de son électorat. « Ce résultat risque de complexifier la situation politique, puisque les partis d’opposition ont indiqué durant la campagne qu’ils ne souhaitaient pas participer à un gouvernement de coalition », note Bayram Balci, chercheur au Ceri – Sciences Po, qui envisage la possibilité qu’une majorité gouvernementale ne soit pas trouvée, et que les autorités soient obligées de convoquer des élections anticipées. Et, même si un accord est trouvé, « le risque est grand d’avoir un gouvernement si fragile, avec une majorité si courte, qu’il ne puisse pas véritablement diriger le pays, prendre des décisions importantes. »

« Les Turcs lui ont dit qu’ils n’appréciaient pas son pouvoir personnel », a résumé lundi matin le quotidien à grand tirage Hürriyet. « Une nouvelle ère », a titré son concurrent Milliyet, « carton rouge » à Erdogan, a renchéri le quotidien d’opposition Sözcu. Sitôt les résultats connus, les principaux rivaux du chef de l’État se sont félicités de lui avoir infligé sa première défaite politique depuis treize ans. Le grand gagnant de ce scrutin est le parti kurde HDP (Parti démocratique du peuple), qui a réussi à franchir la barre des 10 % imposée pour envoyer des députés en Parlement. Que HDP ait une place à part entière au Parlement va permettre au contraire de faire revenir la question kurde au cœur du débat politique national, et ne pas la laisser seulement se régler à un niveau régional. Diyarbakir, la capitale du Kurdistan de Turquie, a éclaté de joie à l’annonce des résultats préliminaires. Dans les rues, applaudissements, feux d’artifices et klaxons.

Le scrutin, malgré l’inquiétude à la hauteur des enjeux, s’est déroulé dans le calme. Les incidents ont été très rares, à part dans la province d’Urfa, dans le sud du pays, où des militants locaux se sont brièvement affrontés. Les autorités avaient déployé pour les élections un dispositif policier particulièrement massif: plus de 400.000 membres de force de l’ordre ont été déployés sur le territoire, pour assurer la tenue d’un scrutin où quelque 53 millions de personnes étaient appelées à voter. es voitures sans plaque minéralogique ont inquiété un temps les scrutateurs, avant que la police confirme qu’elles leur appartenaient.

Dès lundi matin, les marchés ont sanctionné l’entrée de la Turquie dans une phase d’instabilité politique, inédite depuis 2002. À l’ouverture, le principal indice de la Bourse d’Istanbul a chuté de 8 %, avant de réduire légèrement son repli dans la matinée. À la mi-journée, il cédait encore près de 6 %, autour des 77 000 points. Simultanément, la livre turque (LT) s’est effondrée, autour de 2,76 livres pour un dollar et de 3,08 livres pour un euro. La Banque centrale turque a immédiatement réagi en annonçant une baisse de ses taux appliqués aux dépôts en devise à une semaine, sans grand effet immédiat. Pour Bayram Balci, il ne devrait pas y avoir de crise profonde, les élections n’étant pas « si capitales. » Cependant, il prévient : « Si, dans les semaines à venir, le gouvernement est instable, la coalition fragile, il y a un risque réel d’augmenter l’inquiétude des investisseurs et des marchés. »

 

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