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Livraison d’armes turques aux djihadistes et à Daesh

Voilà des images qui semblent embarrasser les autorités turques : on y voit des caisses entières d’armes – un millier d’obus de mortier, 80 000 munitions pour des armes de petit et gros calibre et des centaines de lance-grenades – dissimulées sous des médicaments dans des camions affrétés par une organisation humanitaire oeuvrant en Syrie. Selon des documents officiels, les camions seraient en réalité propriété des services de renseignements turcs (MIT). L’interception des armes date de janvier 2014 et a été menée par la gendarmerie turque près de la frontière syrienne. De fabrication russe, ces matériels ont été fournis par des pays de l’ancien bloc soviétique, ajoute le journal.

Ces révélations sont extrêmement gênantes pour Ankara, soupçonné par ses alliés occidentaux de soutenir les mouvements extrémistes syriens, dont le groupe djihadiste Etat islamique (EI).  Ankara avait en effet déjà rechigné à prendre part aux hostilités contre l’EI, alors que les combats avaient littéralement lieux à ses portes. A l’époque la cité kurde de Kobané, à seulement quelques kilomètres de la frontière, était assiégée et sa population menacée d’un massacre sans précédent. Le président Recep Tayyip Erdogan avait alors refusé d’intervenir pour secourir les kurdes, ennemis de son régime.  Il faut rappeler qu’Ankara a connu des difficultés constantes concernant la volonté d’indépendance de la minorité kurde sur son territoire.

Le chef du principal parti d’opposition, qui avait déjà repris à son compte les accusations lancées par Cumhuriyet, a dénoncé la politique syrienne du gouvernement. « Comment la Turquie peut-elle envoyer des armes lourdes à une organisation qu’elle qualifie de terroriste, c’est-à-dire (le groupe djihadiste de) l’Etat islamique ? », a déclaré le président du parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), Kemal Kiliçdaroglu. « Ces images sont très gênantes pour le prestige de la Turquie, a-t-il ajouté. Ceux qui envoient illégalement des armes dans un pays musulman ont les mains tachées de sang. »

Le gouvernement d’Ankara, qui a toujours nié livrer des armes aux rebelles extrémistes syriens, avait réussi à empêcher la diffusion de ces premières images. Le sujet est sensible et fait l’objet d’un black-out total depuis plus d’un an. Le grand public ne connaissait de cette affaire que quelques images filmées par un téléphone portable, de qualité médiocre, montrant gendarmes et agents des services secrets arme au poing, sur le bord d’une route. Le scandale avait alors été évité de justesse, après quelques échanges téléphoniques avec la capitale.

Erdogan, furieux, a attribué la responsabilité de cette affaire à l’organisation de l’imam Fethullah Gülen, un de ses anciens alliés qu’il accuse depuis l’hiver 2013 de vouloir renverser le gouvernement. « Je pense que la personne qui a écrit cet article exclusif paiera un prix très lourd pour ça (…) je ne le laisserai pas s’en sortir impunément », a averti M. Erdogan. La risposete ne s’est en effet pas fait attendre : Quelques heures après les révélations de Cumhuriyet, un procureur d’Istanbul a annoncé dans un communiqué avoir ouvert une enquête judiciaire pour des faits de « terrorisme » contre le quotidien. Il a également requis l’interdiction de la publication d’images qui, a-t-il dit, « sont contraires à la réalité. »

A moins d’une semaine des délicates – voire cruciales – élections législatives du 7 juin, ces révélations affaiblissent le Parti de la justice et du développement. Premier ministre de 2003 à 2014, chef de l’Etat depuis, M. Erdogan est régulièrement taxé par ses détracteurs de dérive autoritaire et d’islamiste obscurantiste. L’homme fort du pays n’en est pas à son premier scandale. La semaine dernière il s’en était pris au New York Times, accusé « d’ingérence » après qu’un éditorial lui reproche ses « intimidations » contre la presse indépendante turque.  Pas plus tard qu’aujourd’hui une nouvelle la polémique a fait surface. Lancée par Kemal Kiliçdaroglu, elle vise le gigantesque et luxueux palais de Recep Tayyip Erdogan, signe selon lui de la folie des grandeurs et de la dérive autoritaire de l’homme fort du pays. Lors d’une réunion publique samedi à Izmir, il a fustigé ces « messieurs d’Ankara » pour lesquels on a « construit des palais, livré des avions, acheté des voitures Mercedes (…) et des sièges en or [pour recouvrir] les toilettes ».

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