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L’Arabie saoudite s’acharne sur sa minorité chiite

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Ce sont les éternels opprimés. Les chiites représentent entre 10 % et 15 % de la population saoudienne, mais plus du tiers des habitants de la province orientale du Hasa, région qui recèle la quasi-totalité des ressources pétrolières du royaume. Elle fournit en effet 98 % de la production de barils d’Arabie saoudite et concentre quelque 22 % des réserves mondiales de brut.

Mais la population chiite n’a pas beaucoup profité du développement économique du royaume, alors même que ce développement est fondé pour l’essentiel sur les richesses provenant du sous-sol de la région où elle est installée. Les chiites sont par ailleurs tenus à l’écart des emplois supérieurs de l’administration, de l’armée et des forces de sécurité, car ils sont soupçonnés d’être peu fidèles au régime saoudien.

Et pour cause. Pour ces chiites, Arabes non persans établis dans la région depuis les premiers siècles de l’islam, le wahhabisme représente une menace redoutable depuis la toute première construction étatique saoudienne en 1744. Les disciples de Mohammed Ibn Abdul-Wahhab, fondateur de la doctrine intransigeante qui portera son nom, se sont comportés à leur égard comme des adversaires impitoyables. Le wahhabisme a appliqué aux chiites toute la rigueur de sa lecture de la charia, ce qui explique qu’ils sont encore aujourd’hui qualifiés de « mécréants » et d’« hérétiques » dans l’enseignement religieux sunnite.

En 1801, les Saoudiens ont attaqué et capturé les villes saintes chiites de Karbala et Najaf, situés de nos jours en Irak. Un siècle plus tard, en 1924, les wahhabites ont détruit les mausolées du cimetière d’Al-Baqi, où reposaient certains des pieux ancêtres les plus vénérés par les chiites. En 1927, le roi Ibn Séoud publie une fatwa obligeant les chiites à se convertir ou à s’exiler.

Des tensions encore très présentes

La seule opportunité qui s’offrait alors à la minorité du Hasa était de travailler pour l’Arabian American Oil Company (Aramco), société pétrolière fondée en 1944 et dirigée par des Américains. Le pays a vu se former des syndicats qui n’ont pas tardé à présenter des revendications politiques. De plus en plus fort, le mouvement a même réclamé, en 1954, la fin du pouvoir absolu de la dynastie saoudienne et le passage à une monarchie constitutionnelle avec un parlement élu.

Mais l’activisme chiite devait connaître son épilogue en 1988, lorsqu’un attentat à l’explosif visant une raffinerie de la province orientale a provoqué d’importants dégâts. L’Aramco a cessé d’engager des chiites, entraînant une hausse brutale du chômage dans la région.

Cependant, la cruauté et l’oppression de cette minorité sont encore d’actualité. Le 25 août dernier, Human Rights Watch (HRW) annonçait que depuis l’accession de Mohamed Ben Salman au statut de prince héritier, le 21 juin, la fréquence des exécutions s’est accélérée en Arabie saoudite. « Au moins 35 personnes ont été mises à mort, contre 39 durant les six premiers mois de l’année. Le 12 juillet notamment, la peine capitale a été appliquée à quatre opposants chiites, accusés d’attaques contre les forces de l’ordre », rapporte Le Monde.

En juin, HRW s’alarmait déjà de la hausse du nombre de condamnations à mort prononcées contre des Saoudiens de confession chiite. Cette augmentation est en effet « profondément inquiétante, et amène à penser que les autorités recourent à la peine capitale pour régler des comptes et réprimer la dissidence sous couvert de lutte contre le terrorisme et de protection de la sécurité nationale », affirmait Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.

« Reprendre en main une région stratégique »

Le Vatican a également exprimé sa préoccupation face au « climat de guerre qui règne dans l’ouest de l’Arabie saoudite ». Depuis plus de trois mois, des violences ont effectivement éclaté entre la minorité chiite et les autorités du royaume. La décision de Riyad de rénover la localité d’Al-Awamiya, dans la région de Qatif riche en pétrole, est à l’origine des affrontements.

« Le projet de rénovation est perçu par les habitants de cette localité comme une tentative du pouvoir saoudien de reprendre en main cette zone géographique stratégique », relève sur les ondes de Radio Vatican David Rigoulet-Roze, chercheur rattaché à l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS) et rédacteur de la revue Orients Stratégiques.

« Dans le prolongement des printemps arabes, un certain nombre de revendications de la part de cette minorité chiite, traitée comme des citoyens de seconde zone au sein du royaume, crée une agitation qui s’aggrave en 2016 avec l’exécution du haut-dignitaire chiite le cheikh Nimr al-Nimr. Depuis, la tension est à son comble, ce qui fait dire aux opposants au projet de rénovation que ce dernier cache un objectif sécuritaire des autorités saoudiennes, soucieuses d’avoir plus de prise sur les populations locales », ajoute le chercheur.

Le gouvernement saoudien s’était pourtant engagé à moderniser le pays. En 2016, il annonçait avoir réduit le pouvoir de sa police religieuse, tandis que Mohamed Ben Salman vantait déjà les transformations économiques, politiques et sociales que le plan « Vision 2030 » devait apporter. Mais le sort réservé aux Saoudiens chiites montre qu’en matière de respect des minorités le royaume a encore un très long chemin à parcourir.

N.Bendaoude

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