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Crise du Golfe : un colloque parisien pour trouver des pistes de sortie

Depuis le 5 juin, l’Arabie saoudite s’est alliée avec les Emirats Arabes Unis, le Bahreïn et l’Egypte pour imposer un blocus économique et politique au Qatar. Le Quartet justifie cet embargo par trois raisons principales : le financement supposé de Doha au terrorisme, le lien renforcé avec l’Iran et l’existence d’Al-Jazeera, qu’il souhaiterait voir disparaitre. Des accusations graves et des exigences “exorbitantes”, qui ont plongé la communauté internationale dans la perplexité.

Vu de Doha, il s’agit plutôt d’une “tentative de renverser le régime”, selon les déclarations récentes de l’émir du Qatar, le cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani, qui a accordé une interview à la chaîne américaine CBS, diffusée le 29 octobre dernier.

Alors, qui croire et où se trouve la vérité ? Des éléments de réponse ont été donnés hier à la Maison de l’Amérique latine, lors d’un colloque conjointement organisé par le Centre d’Étude et de Prospection Stratégique et le Club géopolitique, autour d’experts, de chercheurs, d’industriels et en présence de Bertrand Besancenot, envoyé spécial du président de la République pour la Crise du Golfe.-

“Deux projets qui s’affrontent”

De l’avis d’Hasni Abidi, chercheur et directeur du centres d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen, la crise en cours est beaucoup plus complexe que ce que le regard médiatique laisse entendre.

Intervenant lors de la première table ronde (“Une crise pour rien… mais néanmoins utile”), en compagnie d’Akram Belkaid (journaliste au Monde diplomatique et à l’Orient XXI), de Nabil Ennasri (docteur en Sciences politiques à l’IEP d’Aix-en-Provence) et d’Alexandre Adler (journaliste, géopolitologue), Hasni Abidi a évoqué une “crise multifactorielle, dont l’issue est problématique à maints égards”.

Pour l’académicien, les tensions actuelles dans le Golfe ne sont que le reflet de deux projets pour le monde arabe qui s’affrontent violemment. D’un côté, une volonté de “régulation” de l’explosion démocratique qui, il est vrai, pourrait favoriser l’islamisme politique. C’est la vision de l’Arabie saoudite, mais aussi des Emirats Arabes Unis. De l’autre, un encouragement de cette volonté populaire par le Qatar ou encore l’Iran. Ces deux projets qui s’opposent se répercutent dans la société de chaque pays, allant jusqu’à engendrer des frictions violentes comme l’a montré la récente purge du prince héritier Mohammed Ben Salmane, dit MBS, qui semble vouloir museler toute opposition et s’accaparer un pouvoir fort.

La vision de M. Abidi a été partagée par Nabil Ennasri, auteur du livre “L’énigme du Qatar”, pour qui les causes profondes de la crise sont bien à chercher dans la division qui est née dans la foulée du Printemps arabe, avec d’un côté le Qatar qui a soutenu les mouvements démocratiques, et de l’autre les pays du Quartet et notamment l’Arabie saoudite qui souhaitent poursuivre dans la voie de régimes forts, quitte à verser dans l’autocratie. “L’éclosion des printemps arabes génère deux visions antagonistes chez les protagonistes » résume le docteur, qui a également dénoncé les “raisons fallacieuses” du Quartet, dont le rapprochement du Qatar avec l’Iran qui n’est, selon lui, qu’un faux problème. “Les échanges commerciaux entre l’Iran et les Emirats Arabes Unis sont en réalité vingt fois plus importants que ceux avec le Qatar” a rappelé l’académicien.

L’Arabie saoudite, un changement de façade ?

Au sein de cette première table ronde, c’est le journaliste Akram Belkaid qui a livré la vision la plus fine et la plus riche de l’Arabie saoudite contemporaine. “La réalité de la société saoudienne est beaucoup plus composite qu’il n’y paraît” a-t-il déclaré de prime abord, rappelant le conflit générationnel à l’oeuvre mais aussi l’impact de la montée en puissance de MBS, le nouvel homme fort du pays, sur la politique intérieure et extérieure de Riyad. “Il est difficile d’avoir une grille de lecture rationnelle sur ce qui se passe dans le Golfe” prévient le journaliste, insistant sur le caractère impulsif et imprévisible du nouveau prince héritier. Quant à la vision d’un islam moderne que prône ce dernier, l’intervenant a rappelé qu’elle ne sera pas toujours synonyme de résultats. “Les modalités de conduite du changement en Arabie saoudite sont porteuses de risques pour la société saoudienne” prévient à nouveau Belkaid, insistant notamment sur un possible retour du wahhabisme radical, malgré la bonne volonté du prince  “Dans les sociétés, vous avez des forces de rappel à ne pas négliger”.

Là encore, cette vision nuancée a été partagée par les intervenants de la première table ronde, dont Nabil Ennasri qui a tenu à souligner que le projet politique de MBS “ qui vise à desserrer l’étau culturel”, se fait “au détriment de relations internationales désastreuses [au Yemen]”.

 

Enjeux économiques de la crise du golfe: comment se positionner?

La deuxième table-ronde, davantage consacrée aux échanges économiques, a tenté d’apporter une réponse plus pragmatique aux entreprises présentes sur place.

Autour de Wissam Benichou qui présidait aux débats, l’ensemble des participants (David Rigoulet-Roze, chercheur, Eric Alain des Beauvais, expert financier et Sébastien Wesser, directeur de recherche) ont essayé de répondre aux interrogations multiples que se posent les entreprises travaillant dans le Golfe.

Pour les experts, la crise initiée par le Quartet est une catastrophe géoéconomique qui remet durablement en cause les plans de chaque pays. « Cette crise contredit les projets stratégiques de développement des protagonistes sur les perspectives 2030″ déclare David Rigoulet Rozet. Eric Alain des Beauvais semble quant à lui plus pessimiste: “ »La multiplication des lignes de front contredit une logique de développement économique ».

Et chacun d’évoquer, pêle-mêle, les initiatives privées de chaque économie ou encore les pressions exercées sur le Qatar pour qu’il abandonne la Coupe du monde 2022 (référence à peine voilée au plan éventé des Emirats Arabes Unis d’attaquer financièrement Doha pour la forcer à co-organiser avec eux l’événement).

Dans ce climat plutôt électrique, les opportunités demeurent, “mais l’instabilité et le manque de visibilité imposent la prudence”. Pour Sébastien Wesser, la réponse est dans le temps long, et “Il faudrait pouvoir investir à l’échelle de 2 à 3 générations”.

 

“La mission que m’a confiée le Président de la République est une mission de discrétion”

Et quel est le rôle de la France dans tout ça ? C’est à Bertrand Besancenot, ancien ambassadeur au Qatar et en Arabie saoudite, et actuel envoyé spécial pour la médiation de la Crise du golfe de le préciser.

Soulignant l’extrême complexité de la situation, le diplomate a tenu à rappeler l’importance de la discrétion dans la médiation. La France occupe à ce titre un rôle de premier plan. « Les pays amis pourraient apporter des garanties pour une sortie de crise”, laissant sous-entendre que Paris pèsera de toute son influence en ce sens. Et cela passera, obligatoirement, par une “clarification” sur la question iranienne, “voire sur la question turque”.

Car la France, qui “perçoit l’intérêt de développer des opportunités avec ces partenaires [du Golfe]”, ne veut pas trancher ni pour un camp, ni pour l’autre. Une posture médiane qui se vérifie dans les faits. Présent en novembre pour l’ouverture du Louvre Abu Dhabi, le président Macron est attendu à Doha le 7 décembre. Sur toutes les lèvres, l’annonce d’un mégacontrat de plus de 3 milliards d’euros avec le petit émirat, portant sur la concession d’un métro à Doha.

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