Site icon La Revue Internationale

Yémen : 1 000 jours d’une guerre orchestrée par l’Arabie saoudite

 

1 000 jours : c’est un bien triste anniversaire que celui qui fut récemment « célébré » par le Yémen. Depuis plus de 1 000 jours maintenant, le pays est en proie à l’un des pires conflits contemporains. Une guerre dévastatrice, débutée en mars 2015 et largement ignorée par la communauté internationale et les médias mainstream. Il s’agit pourtant, selon les Nations Unies, de la « pire crise humanitaire de la planète ».

 

Plus de 10 000 victimes

 

Les chiffres font froid dans le dos. Depuis le début du conflit qui oppose les rebelles houthis au gouvernement d’Abdrabbo Mansour Hadi, soutenu par l’Arabie saoudite, plus de 10 000 personnes, dont au moins une moitié de civils, ont trouvé la mort. Toujours selon l’ONU, 8,4 des 30 millions de Yéménites sont directement menacés par la famine. « Quelque 462 000 enfants de moins de cinq ans sont en danger de mort immédiat car ils souffrent de la forme la plus grave de malnutrition », s’alarme l’ONG Action contre la faim.

 

La situation sanitaire du Yémen est catastrophique. Le pays connait la pire épidémie de choléra de son histoire. Plus de 2 200 personnes en sont mortes depuis avril dernier, la Croix Rouge suspectant près d’un million de cas présumés parmi la population. La diphtérie se propage aussi, plus de 300 cas ayant été diagnostiqués. Deux millions et demi de personnes sont privées d’accès à l’eau potable. 21 millions d’habitants auraient besoin d’une aide humanitaire, et dix millions, dont de nombreux enfants, d’une aide d’urgence.

 

Le chaos règne au Yémen, et aucun apaisement n’est en vue. D’autant plus que l’Arabie saoudite impose un blocus meurtrier au pays, qui importait 90% de ses aliments avant la guerre civile qui le ravage. Pour le chercheur au CNRS Laurent Bonnefoy, « ce blocus, imposé depuis trois ans (…), a eu pour effet de dégrader davantage une situation déjà difficile. Le Yémen est structurellement dépendant de l’importation de nourriture et de médicaments ».

 

A l’origine du conflit, une opposition entre élites politiques, les houthis issus de la minorité zaïdite (chiite) d’un côté, le gouvernement de Mansour Hadi, élu en 2012 à la suite des « printemps arabes », de l’autre. Mais « ces enjeux locaux ont été tordus par des acteurs régionaux pour servir leur grille de lecture simpliste, fondée sur l’idée d’une confrontation entre puissances régionales en terrain yéménite », décrypte Laurent Bonnefoy. Au premier rang desquels l’Arabie saoudite et son prince héritier, le tout puissant Mohamed Ben Salman.

 

Le trouble jeu de l’Arabie

 

La royaume saoudien soutient en effet ouvertement les forces sunnites favorables au président Hadi. Appuyée par les Emirats arabes unis (EAU) et les Etats-Unis, qui la fournissent en armes et en renseignement, l’Arabie bombarde sans distinction rebelles et civils yéménites. Et, à l’unisson de la nouvelle doctrine américaine impulsée par Donald Trump, Riyad accuse régulièrement son rival de toujours, l’Iran, de soutenir la rébellion houthie, qui a pris le contrôle de la capitale, Sanaa, à la fin de l’année 2014.

 

Prenant prétexte du tir de deux missiles par les rebelles zaïdistes en direction de Riyad, tirs qui n’ont fait aucune victime, la diplomatie saoudienne a montré du doigt l’Iran, accusé de fournir la rébellion en armes. Même son de cloche du côté de l’ambassadrice américaine à l’ONU, la vindicative Nikki Haley, qui a affirmé que les missiles étaient « irréfutablement » de conception iranienne… sans en apporter le début d’une preuve.

 

Les Nations unies ont quant à elles indiqué ne pas être « en mesure de confirmer » ces accusations. Dans un rapport publié en janvier 2017, les experts onusiens écrivaient n’avoir « pas vu suffisamment de preuves permettant de confirmer la moindre fourniture directe et à grande échelle d’armes par le gouvernement de la République islamique d’Iran » aux houthis. Et, pour le centre de recherche Congressional Research Service, affilié au Congrès américain, « de nombreux observateurs estiment que l’influence de l’Iran sur les houthis est limitée, que l’insurrection des houthis n’a pas été provoquée par l’Iran et que le soutien iranien aux houthis est très modéré ».

 

Massacre à huis-clos

 

Le soutien militaire de l’Arabie, lui, est avéré. Toujours selon le chercheur Laurent Bonnefoy, « l’engagement saoudien peut-être lu comme le résultat de la montée en puissance du prince héritier Mohammed Ben Salman, qui a cherché au Yémen à se légitimer dès son accession au rang de ministre de la Défense en janvier 2015 ». Tout à son obsession anti-iranienne, celui que l’on surnomme MBS veut s’affirmer comme le nouveau leader du monde arabe. Quitte à confondre volontarisme diplomatique et errances géostratégiques.

 

Enlisement du conflit au Yémen, blocus raté du Qatar, démission forcée du Premier ministre libanais, Saad Hariri… Toutes les initiatives diplomatiques récemment lancées par MBS se sont soldées par des échecs cuisants, trahissant la fébrilité et l’inexpérience du jeune prince, dont les décisions sont empreintes d’improvisation et d’inconséquence. Des balbutiements sur la scène internationale que le régime tente, avec un certain succès, de dissimuler : sur pression saoudienne, en juillet dernier, trois journalistes de la BBC avaient été empêchés de se rendre au Yémen afin de témoigner du chaos orchestré à distance par Riyad. Dans la péninsule, on massacre à huis-clos.

 

Texte proposé par A. El Amrani

Quitter la version mobile