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La Turquie prépare une offensive contre les milices kurdes

Le Président turc a annoncé une ne offensive militaire imminente contre des milices kurdes en Syrie. Profitant de la défaite de l’EI et du meurtre de Jamal Khashoggi sur son sol, Erdogan joue son va-tout, face à une Maison blanche affaiblie.

 

Cette semaine a vu une nouvelle sortie du Président turc Recep Tayyip Erdogan – qui, comme souvent, était finement calculée. Le chef d’état a ainsi promis mercredi le lancement d’une opération militaire visant les milices kurdes de Syrie « dans les prochains jours ». Objectif : chasser les Unités de protection du peuple (YPG) présentes dans le nord du pays – ou « se débarrasser » du « marécage terroriste à l’est de l’Euphrate », comme l’a sobrement énoncé M Erdogan.

Les propos sont violents, mais ils reflètent une véritable inquiétude pour l’homme fort de Turquie : voir naître à sa frontière un « Etat kurde indépendant », qui serait dirigée par les YPG. Ankara considère en effet cette milice comme une organisation « terroriste » liée au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Cette faction, véritable bête noire du régime, combat à Ankara depuis 1984 dans le cadre d’une guerre d’indépendance meurtrière.

En août 2016 et en janvier 2018, l’armée turque avait déjà lancé des offensives dans le nord de la Syrie afin d’empêcher les Kurdes du YPG de créer une zone territoriale continue entre l’est de l’Irak et leur frontière. Seulement, les YPG, qui appartient aux Forces démocratiques syriennes (FDS), une coalition arabo-kurde soutenue par les Etats-Unis dans la lutte contre l’EI – et indirectement le régime de Bachar el Assad, allié de Moscou.

 

Une alliance malvenue

A ce titre, Washington a déployé près de 2 000 soldats dans la région pour soutenir les forces Kurdes dans leur lutte contre les djihadistes de l’organisation Etat islamique (EI), et cette présence américaine avait jusqu’alors maintenu les forces turques à distance. « L’objectif des radars et des postes d’observations installés par les Etats-Unis n’est pas de protéger notre pays des terroristes, mais de protéger les terroristes de la Turquie » a tempêté Erdogan dans son discours de mercredi.

« La Turquie a perdu assez de temps » a-t-il ajouté, fidèle à sa rhétorique martiale. Mais en réalité, Erdogan attendait son heure avant d’agir. Les forces du YPG viennent en effet de chasser l’EI de leur dernier bastion, Hajin, tournant symboliquement la page de la guerre contre Daesh. Si la menace posée par l’EI existe encore, elle sera sans doute moins prioritaire à compter de maintenant, ce qui fait espérer à Erdogan que les Etats-Unis vont désormais s’éloigner des kurdes.

 

Le cas Gülen

L’alliance entre Washington et ces derniers le met de fait dans une position inconfortable, la Turquie étant aussi un allié historique de Washington. Mais ces dernières années – et en particulier durant la présidence de Barack Obama – les relations entre les deux pays se sont tendues. Les raisons de la colère : le prédicateur Fahullah Gülen, ancien allié d’Erdogan passé dans l’opposition, qui a trouvé refuge sur le sol américain en 1999. Ankara réclame de longue date son extradition.

Faute de justification légale, Washington a jusqu’à maintenant refusé d’obtempérer. Mais il semblerait que Donald Trump ait changé son fusil d’épaule, et un nombre croissant d’observateurs pensent qu’il cherche à se débarrasser de Gülen, qu’il voit comme une épine dans son pied. Son extradition pourrait être monnayée contre des concessions sur la question kurde – bien que les récentes manœuvre de l’armée turque semblent indiquer que ça ne soit pas le cas.

 

Trump veut du leste sur le dossier saoudien

Il est plus probable que Trump ait demandé à Erdogan de lever le pied dans sa croisade contre le prince héritier saoudien Mohammad Ben Salmane (MBS), au plus mal depuis la découverte de l’assassinat de Jamal Khashoggi. Cet éditorialiste en exil, occasionnellement critique du régime, a en effet été brutalement tué par les services secrets saoudiens dans leur consultât d’Ankara il y a quelques semaines. La nouvelle a sensiblement fragilisé MBS, un des plus proches alliés de Washington.

Cette demande interviendrait alors que la pression s’accentue sur Trump pour dénoncer l’assassinat – et le régime saoudien plus généralement. Plus tôt dans la semaine, le Sénat américain, pourtant majoritairement républicain, a reconnu la responsabilité de MBS, mettant le Président américain dans une position délicate. Notons, également que la déclaration du dirigeant turc intervient trois jours après un entretien téléphonique avec son homologue américain.

« J’ai parlé à Trump. Les terroristes doivent quitter l’est de l’Euphrate. S’ils ne s’en vont pas, nous allons nous en débarrasser », a-t-il martelé lors d’un discours à Konya (centre). « Vu que nous sommes des partenaires stratégiques, nous devons faire le nécessaire » pour éviter davantage de tensions, a cependant tempéré Erdogan, rappelant que derrière ces prises de position, qui permettent à chacun de faire bonne figure, les négociations vont sans doute bon train.

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