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Crise Biélorusse : quelle réponse donner à l’usage de l’arme migratoire ?

La Biélorussie joue la carte de la pression migratoire contre Bruxelles. Les milliers de réfugiés venus du Moyen-Orient qui campaient en Biélorussie sont poussées vers la Pologne par Minsk. La zone frontalière est soumise à l’état d’urgence depuis début septembre et des milliers de gardes-frontières, de policiers et de soldats polonais pour empêcher tout passage. Tout indique que Minsk tente d’instrumentaliser ces migrants. Des photographies prises à la frontière montrent des soldats biélorusses qui poussent les migrants vers la frontière et détruisent les barbelés déployés par les forces de sécurité polonaises. Des témoins affirment également que les troupes biélorusses tirent au-dessus des migrants pour les empêcher de faire demi-tour une fois refoulés par les forces polonaises.

Réagissant à ce que beaucoup qualifient « d’agression hybride », le chef de la diplomation européenne Josep Borrell, a annoncé dimanche, dans une interview au Journal du dimanche que l’UE prendra de nouvelles sanctions à l’encontre de la Biélorussie. Il s’agit d’une seconde salve, après celles visant plusieurs responsables de l’administration biélorusse en réaction à réélection frauduleuse d’Alexander Loukachenko en août 2020, la répression qui a suivi et au détournement d’un avion de la Ryanair à bord duquel se trouvait un opposant politique. Ces nouvelles mesures doivent concerner « tous ceux qui participent au trafic de migrants vers ce pays, par exemple les compagnies aériennes ou les agences de voyages impliquées, en interdisant leurs dirigeants de voyager et en gelant leurs actifs en Europe ».

La découverte d’une vidéo provenant de l’aéroport de Damas, montant d’importants groupes de Kurdes irakiens embarquant pour Minsk, pose des questions sur l’ampleur de cette vague migratoire artificielle. Et ce d’autant qu’on a retrouvé les traces de campagnes de désinformation sur les réseaux sociaux, incitant ces derniers à partir en Europe. Si bien que les autorités turques ont interdit aux ressortissants de Syrie, d’Irak et du Yémen de prendre l’avion en direction de la Biélorussie depuis leurs aéroports. Cependant, d’autres compagnies comme Cham Wings Airlines, notamment impliquée dans ces déplacements, ne desservent pas de destination en Europe, mais la Russie – ce qui fait apparaitre un nouvel acteur et montre que la réponse à apporter à cette crise sera nécessairement complexe.

L’arme migratoire, nouvel outil d’une guerre hybride

Varsovie a choisi une réponse musclée, et exclusivement sécuritaire, à cette crise. Aussi, dans le Courrier d’Europe centrale, l’association Grupa Granica s’est inquiétée du sort de ces migrants « coincés entre le cynisme et la brutalité de Minsk, et l’intransigeance de Varsovie ». La Pologne envisage désormais, avec le soutien de la Lettonie et la Lituanie de déclencher l’article 4 de l’OTAN, qui garantit « l’intégrité territoriale, l’indépendance politique ou la sécurité de l’une des parties ». Autrement, le pays ne compte pas se laisser faire. « Nous savons déjà que pour arrêter le régime biélorusse, les mots seuls sont insuffisants » explique le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki

La réponse montre bien la détermination du pays à ne pas se plier devant le chantage de Minsk. Pour autant, est-elle efficace ? A court terme, certes, la frontière polonaise semble assez bien protégée. Mais ce dispositif est-il tenable à long terme, et permet-il de régler la situation ? Plus largement, il faut se demander quel est l’objectif réel de la manœuvre – et ce d’autant qu’il apparait à travers la logistique d’acheminement de migrants que Moscou semble aux commandes. Cette agression d’un type nouveau ne semble pas tant viser l’annulation des sanctions visant la Biélorussie que de diviser les européens encore un peu plus sur les questions migratoires. Il semble en effet qu’elle ait été pensée pour tester la réaction des 27 et pour jeter l’opprobre sur l’inhumanité de la réponse européenne.

Depuis le début de la crise, la propagande russe tire à boulets rouge sur l’UE, dénonçant l’ « hypocrisie » d’une Europe qui donne des leçons de droit de l’homme mais qui accueille des réfugiés avec des matraques et des gaz lacrymogènes. Le porte-parole du Kremlin s’inquiétait ainsi d’une « catastrophe humanitaire qui se prépare, à cause de la réticence de l’Europe à faire la démonstration de leur engagement en faveur des valeurs européennes ». Sergueï Lavrov, le ministre des affaires étrangères russe a pour sa part suggéré que l’Union européenne paie Minsk pour garder les migrants chez elle, de la même façon que Bruxelles a payé la Turquie en 2016 : « Pourquoi n’aiderait-elle pas la Biélorussie ? Elle a besoin d’argent pour que les réfugiés, que la Lituanie et la Pologne ne veulent pas laisser entrer, vivent dans de bonnes conditions ».

Un média russe « ironisant même sur le fait que Varsovie avait suivi les Américains dans la guerre d’Irak, mais ne voulait pas accueillir quelques réfugiés irakiens » souligne ainsi justement l’éditorialiste Pierre Haski. « La Pologne risque bien de perdre la bataille de l’information en oubliant la dimension humanitaire de la crise », conclut-il. Le risque est double : dégrader durablement l’image de l’Europe dans le monde, mais aussi provoquer une division profonde des opinions en Europe devant l’horreur que subissent les migrants d’une part et la peur d’une vague migratoire de l’autre. En ça la Russie ne change pas de stratégie : elle continue à chercher à diviser les occidentaux pour les paralyser politiquement. Seule la méthode est nouvelle.

Vers une solution européenne ?

Ce nouveau type d’agression, qui concerne directement l’Europe, pose une autre problème. Il y a en effet un impératif pour l’UE d’être capable de répondre elle-même aux menaces qui la visent directement. Pour autant, la Pologne n’a même pas envisagé une réponse européenne, se tournant vers l’impulsif allié américain à travers l’Otan. Un choix qui montre bien la défiance qui existe vis-à-vis de Bruxelles à Varsovie – alimentée par des facteurs multiples allant du grand abandon de 1939 à la tendance eurosceptique très prononcée de parti Droit et Justice au pouvoir, exacerbé par ses récents démêlés avec l’UE.

Aussi, il était important pour Bruxelles de faire corps contre le chantage migratoire biélorusse et de tendre la main à Varsovie. L’UE a su ne pas tomber dans le piège de la division comme cela avait été le cas avec la grande vague migratoire de 2015. « La meilleure façon de gérer les frontières partagées, c’est avec des ressources partagées », a toutefois rappelé Adalbert Jahnz, porte-parole de la Commission européenne. « La Pologne devrait demander la présence de Frontex, du Bureau européen d’appui en matière d’asile et d’Europol pour l’aider à gérer la situation. » Repousser les migrants à la frontière  ne revient en effet qu’à repousser le problème à plus tard. Une position également défendue par Matthieu Tardis, chercheur à l’Institut français des relations internationales : « Face au chantage migratoire, la seule façon de répondre à cette situation de vulnérabilité serait une politique européenne commune en matière d’accueil, de droit d’asile et d’immigration. »

En réaction à cette agression, l’UE a par ailleurs annoncé un ambitieux projet de « boussole stratégique », que Borrell résume à trois grands principes : se projeter à l’extérieur, s’unir à l’intérieur, protéger les Européens. Ce projet aux contours encore flous est-il le signal de la prise de conscience de la nécessité d’une autonomie stratégique eu Europe ? L’avenir nous le dira. Il apparait en tous cas plus que jamais crucial de se doter d’outils efficaces pour faire face à un nouveau type de menaces plutôt que de prêter le flanc et demander l’aide de Washington, dont l’attention est monopolisée par la Chine. Une perspective encore assombrie par le spectre du retour d’un Trump, résolument isolationniste, en 2024.

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