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Maigre bilan pour la Russie dans le Donbass

A T-55 main battle tank and other demolished equipment

Trois semaines après le changement de stratégie de la Russie en Ukraine – et une concentration de ses efforts militaires sur le Donbass, les résultats restent peu reluisants. Le Kremlin peut afficher peu de d’avancées tangibles malgré une stratégie de guerre totale – et la multiplication des exactions commises par l’armée russe. Même la progressive reddition des soldats de l’usine d’Azovstal, dernier bastion de la ville de Marioupol pèse assez peu face aux pertes colossales toujours enregistrées par l’envahisseur. Et ce d’autant qu’ils sont érigés en martyrs dans le récit ukrainien : « La garnison a rempli sa mission de combat. Les défenseurs de Marioupol sont des héros de notre temps », explique aujourd’hui l’état-major ukrainien, pour lequel leur lutte acharnée a « empêché la mise en œuvre d’un plan russe d’une capture rapide de Zaporijia », une ville industrielle et administrative située à l’ouest de Marioupol.

La tendance semble même à un basculement dans le rapport de force, malgré un terrain plus favorable à l’armée russe. Le ministère britannique de la Défense, dont les prédictions se sont avérées justes depuis le début de la crise, dresse un bilan sévère de la situation : « L’offensive russe dans le Donbass a perdu de son énergie et est désormais significativement en retard sur les prévisions. Malgré de petites avancées initiales, la Russie a échoué à faire des gains territoriaux substantiels lors du dernier mois, tout en subissant continuellement de hauts niveaux d’attrition ». Les Britanniques notent par ailleurs que le moral des troupes russes reste au plus bas – une analyse corroborée par les enregistrements de soldats russes, à bout, diffusés par l’armée ukrainienne.

Les déconvenues s’accumulent pour le Kremlin

« Le blitzkrieg espéré et planifié par Vladimir Poutine et ses généraux un peu trop optimistes n’a pas eu lieu » résume pour sa part Thomas Burgel, rédacteur en chef chez korii. « Plus de quatre-vingts jours après le début de l’invasion russe, les échecs se suivent et se ressemblent : après avoir échoué à prendre Kiev et entamé la bataille pour le Donbass, la Russie s’est vue contrainte d’abandonner ses plans sur Kharkiv (…) reprises par les forces ukrainiennes, désormais bien mieux armées grâce au flux continu d’armes lourdes envoyées par l’Occident ». De plus, cette semaine, une nouvelle déconvenue majeure est venue enrayer le plan de Moscou : la Finlande comme la Suède ont officiellement demandé à rejoindre l’Otan. Cette annonce met fin d’une neutralité caractéristique pour profiter du fameux article 5, qui pose le principe de défense solidaire en cas d’attaque d’un état membre.

« Cette décision incarne l’échec de Poutine », note l’éditorialiste Jean-Marc Four. « Le président russe vient de pousser deux pays de plus dans les bras de son adversaire, l’Alliance Atlantique. » Même si la Turquie s’oppose à ce jour à la demande des deux pays nordiques, leur reprochant de soutenir le PKK Kurde (un prétexte opportuniste pour avancer ses pions dans un contexte difficile pour le président Erdogan, qui a besoin de montrer des victoires à une population qui lui est de plus en plus hostile), un refus de cette adhésion semble très improbable. Tout juste le Prédirent turc essayera sans doute de la monnayer. De fait, elle créerait une frontière commune de 1340 kilomètres avec l’Otan – une proximité que la Russie veut à tout prix éviter, ce qui a en partie motivé sa tentative d’invasion en Ukraine. Un dénouement d’une douloureuse ironie.

Poutine fragilisé

Après avoir menacé de lourdes représailles militaires en cas d’adhésion de ces deux pays à l’Alliance atlantique, la Russie a opéré un changement de ton notable. Lors d’une réunion des dirigeants de l’Organisation du traité de sécurité collective, le président russe a expliqué que cela ne représentait « aucune menace directe pour la Russie », tout en émettant certaines conditions. Pour lui, la décision des deux pays serait acceptable, mais « l’expansion des infrastructures militaires sur ce territoire provoquerait une réponse de notre part ». Une prise de position qui contredit les différentes déclarations faites à ce sujet par le porte-parole du Kremlin et le ministre des affaires étrangères, Sergei Lavrov. Dans ce contexte, dur de ne pas analyser ce changement de ligne comme un recul. « Poutine n’a pas tant de moyens de pression que ça », estime ainsi Pierre Servent, expert en stratégie militaire et spécialiste des questions de défense.

La tournure que prennent les choses continue de fragiliser Poutine – si ce n’est immédiatement, à moyen terme, alors qu’avec du recul les pressions qu’il a imposées à son peuple (sanctions économiques, interdiction de voyager, morts) en décidant d’attaquer Kiev apparaitront comme de moins en moins justifiables. A cela on peut ajouter l’étonnante sortie du chef du renseignement militaire ukrainien, Kyrylo Boudanov. Ce dernier a annoncé un « coup d’état » qui devrait « mener à un changement de leadership pour la Fédération de Russie avant la fin de l’année ». Dur, à ce point, de dire à ce point s’il s’agit de propagande ou d’une information sérieuse encore confidentielle.  

Même constat pour les spéculations sur « très mauvais état psychologique comme physique » de Vladimir Poutine. A en croire le média russe d’investigation indépendant Proekt et relayés par The Independent ou encore The Times, les rumeurs sur un cancer de la thyroïde seraient avérées. Leur enquête note ainsi qu’en quatre ans, Yevgeny Selivanov, un chirurgien spécialiste du cancer de la thyroïde, a par exemple rendu 35 fois visite au président russe – pour 166 jours à son chevet. De même, Alexei Shcheglov, un oto-rhino-laryngologiste, qui aurait pris près de 59 fois l’avion entre 2016 et 2020 pour venir ausculter – soit plus de 14 consultations par an.

Le premiers signes d’un inversement du rapport de force

Le changement de ton du Kremlin remplit également un objectif stratégique : renforcer la focalisation sur récit paradoxal que le Kremlin déroule devant sa population, à la fois victimaire (la focalisation sur la « russophobie ») et orgueilleuse (reposant sur l’importance historique du pays). L’idée est de garder le contrôle sur l’opinion russe en jouant sur la fibre nationaliste. Des dissidences commencent en effet à se faire entendre jusqu’à sur la pourtant très pro-Kremlin chaine Rossiya-1, où Mikhail Kodoryonok, un ancien général russe à la retraite évoquait ouvertement une possible défaite russe : « L’important est de maintenir une espèce de réalisme politico-militaire, si vous allez au-delà, tôt ou tard la réalité historique va vous frapper tellement fort que vous allez le regretter ».

Ce dernier a également brisé le tabou de l’opinion internationale : « Nous sommes isolés géographiquement et, même si nous avons du mal à nous l’admettre, le monde entier est virtuellement contre nous. C’est une situation de laquelle nous devons sortir ». En dépit des réserves (parfois compréhensibles) exprimées à l’égard du messianisme occidental, l’opinion publique mondiale semble davantage séduite par la défense acharnée du peuple ukrainien que par les illusions de grandeur de Poutine. Illusions qui détonnent avec le soutien logistique et moral très relatif apporté par le Kremlin à ses soldats.

Un renouveau du courage occidental

Le soutien militaire apporté à Kiev s’avère pour sa part déterminant dans cette nouvelle phase de la guerre, caractérisée par une montée en puissance côté ukrainien. « La guerre actuelle est l’aboutissement d’un long processus de montée des tensions et d’auto-paralysie face au danger. En débloquant enfin l’assistance létale à une victime d’agression armée, les capitales occidentales ont redécouvert – tardivement – la vertu du courage » estime ainsi Edward Hunter Christie, du think tank britannique Royal United Services Institute. « Il a fallu la tentative de destruction d’un pays européen pour que l’Occident réapprenne cette vertu fondamentale ». Un constat qui interroge : si le bloc occidental est parvenu à trouver ce nouveau souffle, l’Union européenne saura-t-elle en faire de même ?

La dépendance au soutien américain pose en effet plus que jamais la question de la défense européenne. Une question d’autant plus pressante que les Etats-Unis ne font pas de secret sur leur volonté de se focaliser sur la leur rivalité avec la Chine. Au lendemain de son élection, Joe Biden avait même demandé à l’Europe de prendre son indépendance via une « autonomie stratégique » européenne de sorte à lui laisser les coudées franches à l’Est. Compte tenu des récentes évolutions en Ukraine, cette autonomie ne pourra se faire qu’au sein de l’Otan. Reste à savoir si l’Europe, seule, saura faire preuve du même courage que le bloc occidental dans son ensemble.

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