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Moscou organiserait un «racisme d’État»

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Une carte des décès de soldats russes établie par Mediazona et le service russe de BBC News suggère que les minorités seraient davantage mobilisées pour aller combattre en Ukraine, et que les régions de Moscou et Saint-Pétersbourg seraient plus épargnées.

Ethique ou économique ?

« La plupart des personnes tuées au combat viennent des régions de Sverdlovsk et de Tcheliabinsk, de Bachkirie, de Bouriatie et du Daghestan », tandis que très peu viennent de Moscou et Saint-Pétersbourg, constate l’analyste « Cartes du Monde » sur Twitter. « Il y a un sentiment d’injustice basé sur un racisme d’État. Le petit blanc de Moscou ou Saint-Pétersbourg est préservé, ce que n’est pas le Sibérien », confirme le général français Michel Yakovleff.

« Excellente carte, mais mauvaise conclusion », rétorque la chercheuse russe Anna Colin Lebedev. « Quand on regarde les listes des tués dressées par les médias indépendants locaux, la proportion des Russes et des représentants de la minorité locale parmi les tués respecte les proportions moyennes régionales ». Selon la chercheuse, la variable n’est « pas ethnique, mais socio-économique  : ce sont les régions les plus pauvres » qui sont les plus mobilisées.

Mais quoi qu’en dise Anna Colin Lebedev, la mobilisation a surtout été organisée dans des régions peuplées principalement de Bouriates, Daghestanais, et Iakoutes, où la population russe était minime. « On a beaucoup rapporté que  les autorités arrivaient dans un village, réunissaient tous les hommes sur la place et les embarquaient tous», rapporte Dominique Samson, chercheur à l’INALCO et spécialiste des cultures autochtones de Sibérie occidentale. 

« L’un n’exclut pas l’autre »

La géographe Camille Robert-Boeuf, chercheuse à l’UMR Ladyss et au CREE de l’Inalco, se range elle du côté d’Anna Colin Lebedev. La thèse socio-économique est « beaucoup plus pertinente » assure-t-elle. « En Russie, la différence de niveau est énorme entre la ville et la campagne. À Kazan, au Tatarstan, il y a internet et la wifi gratuite dans le métro, mais il suffit de s’éloigner de 100km pour qu’il n’y ait même plus d’eau courante. Ce sont deux mondes à part, qui interagissent peu ».

Or, « pour ces populations qui n’ont pas de perspectives dans des zones sans emploi, la solde et les primes du soldat, que peut toucher aussi sa famille en cas de mort ou de blessure au front, est une incitation financière réelle », explique Camille Robert-Boeuf. 

Dominique Samson partage lui aussi cet avis, mais rappelle que le facteur socioéconomique n’exclut pas le facteur ethnique. « L’un n’exclut pas l’autre », insiste le chercheur, rappelant le contexte historique. « À l’époque impériale, il y avait les Russes et les autres. Juifs, tsiganes et autres peuples n’avaient pas le droit de posséder de terres, ils n’étaient pas non plus recrutés dans l’armée, considérés comme faibles. Le mot pogrom, d’origine russe, vient de là ». Ce n’est d’ailleurs que depuis l’année 1942 que ces « autres » sont introduits dans l’armée. « Cette année marque un tournant  : les sociétés de chasseurs et pêcheurs de Sibérie, bons tireurs, sont envoyées sur le front notamment comme snipers », illustre Dominique Samson.

De plus, la constitution russe fait explicitement mention du rôle des Russes au sens ethnique dans la formation de l’État russe. « La Constitution mentionne le terme “Ruski” au sens ethnique, à la différence de “Rossianin” qui désigne toute personne vivant dans l’espace russe, mais peut être Arménien, Oudégué ou encore Bachkir », rappelle le chercheur.

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