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Pas de Printemps arabe en Syrie, une guerre de religion

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Alors que les bombes tombent sur Alep, le conflit syrien qui entre dans son 17ème mois entame une phase nouvelle et dangereuse.

Conflit né des Printemps arabes et inspiré d’un désir de démocratie, les experts estiment désormais que de puissantes forces géopolitiques étrangères dirigent la guerre, dont les implications traversent largement les frontières syriennes pour atteindre tout le Moyen Orient.

Pour avoir une explication précise de la manière avec laquelle le conflit syrien s’est transformé en une guerre par procuration, Global Post s’est tourné vers Marius Deeb, Maître de conférences spécialiste du Moyen Orient à l’Université John Hopkins de Baltimore. Le professeur Deeb est expert de la question syrienne et auteur de Syria’s Terrorist War on Lebanon.

Le Premier ministre Riyad Farid Hijab, qui a quitté le gouvernement syrien lundi 6 août, est un musulman sunnite, l’un de ces nombreux sunnites haut-placés qui se sont séparés du régime de Bachar al-Assad depuis quelques mois. N’y a-t-il pas de plus en plus de signes d’une division sectaire du gouvernement Assad ? Le conflit syrien qui était auparavant une lutte pour la liberté n’a-t-il pas changé d’objectif ?

Les premiers manifestants étaient pacifiques et se mobilisaient pour réclamer une réforme du politique. Au début du conflit, ces manifestations regroupaient toutes les confessions syriennes, elles étaient universelles. Mais le régime a utilisé la violence contre ces manifestants, ce qui a conduit à l’émergence, par exemple, de l’Armée syrienne libre, dont l’objectif était de combattre l’armée régulière de Bachar al-Assad.

Il est important de comprendre que la Syrie a toujours été sectaire, depuis le premier jour. Le régime est dirigé par les alaouites depuis 1970, lorsque le père de Bachar, Hafez al-Assad a pris le pouvoir. Tous les sunnites qui ont occupé des fonctions importantes dans le gouvernement ont obtenu leur poste parce qu’ils ont accepté de travailler pour les alaouites. Mais l’épine dorsale du régime, en termes d’armée et de renseignement, les officiers qui contrôlent vraiment le régime, ont toujours été alaouites.

Le Premier ministre a quitté le pouvoir, et alors ? Souvenons-nous de Manaf Tlass, général sunnite qui a fait défection en juin dernier, évènement considéré comme la plus lourde défection depuis le début du conflit. Son père était ministre de la Défense, mais il n’avait pas de pouvoir en soit. Ce sont ses subordonnées, alaouites, qui exerçaient réellement les fonctions. Son fils, Manaf Tlass, lorsqu’il a déserté, est parti seul. L’armée, ses soldats, ne seraient jamais partis avec lui.

Les alaouites ont été persécutés par les sunnites pendant de nombreuses années sous l’Empire ottoman, ils se sont toujours préparés à se défendre. Les alaouites ne sont d’ailleurs même pas musulmans, à proprement parler. Ils prétendent être chiites, mais dans les faits, ils ne vont pas à la mosquée, ne font pas de pèlerinages à la Mecque, ne pratiquent pas le jeûne durant le Ramadan, ils célèbrent même Noël. C’est le problème fondamental. Depuis 1971, le régime se prépare à être, un jour, chassé du pouvoir, de la Syrie, et éventuellement, à devoir construire  son propre Etat.

Dans le Guardian, Jonathan Steel écrit : « Sous le leadership saoudien, qatari et américain, et avec l’approbation britannique, française et israélienne, le conflit syrien s’est transformé en une guerre anti-iranienne par procuration. » Etes-vous d’accord avec ces propos ?

Il est vrai que depuis 1980, Hafez al-Assad, a lancé de brillantes initiatives pour construire une puissante alliance avec l’Iran, qui est essentiellement chiite. Les alaouites syriens se considèrent chiites, tout comme les Iraniens. A cet égard, une lutte contre le régime syrien affaiblirait l’Iran, car la Syrie et l’Iran sont des alliés majeurs. Cela affaiblirait également le Hezbollah, qui est une antenne de l’idéologie iranienne au Liban.

Oui, il y a un axe Iran, Syrie, Hezbollah, et je pense que le conflit syrien affaiblira l’Iran. Je ne pense pas que l’Iran soit capable de sauver le régime et de contrôler l’ensemble de la Syrie. Je pense que c’est impossible.

Comment le conflit syrien affecte-t-il l’objectif d’Israël d’empêcher l’Iran d’obtenir l’arme nucléaire ? La guerre permettra-t-elle à Israël de bombarder plus facilement les installations nucléaires iraniennes ?

Dans un certain sens, oui, parce que l’armée syrienne est trop occupée, elle n’est donc plus une menace et ne le sera plus à l’avenir. En fait, l’armée alaouite pourrait même devenir amie d’Israël.

L’Iran a des problèmes parce qu’Israël pourrait attaquer, les Etats-Unis pourraient attaquer, et le pays pourrait également être touché par une cyber-attaque, technique qui a bien fonctionné dans le passé, qui est plus efficace et moins couteuse.

L’Iran a toujours voulu obtenir l’arme nucléaire, et le pays continue son chemin, et si nous ne l’arrêtons pas, par des négociations ou par une action militaire, il poursuivra son objectif. Je ne vois pas le conflit syrien comme un facteur déterminant, mais les Iraniens pourraient le prendre en considération. La Syrie et le Hezbollah sont réellement leurs seuls alliés dans la région.

Cela pourrait donc être plus difficile si les Israéliens attaquaient les installations nucléaires iraniennes, cela compliquerait les efforts pour contre-attaquer ?

Avec la Syrie occupée, la seule option de l’Iran est d’utiliser le Hezbollah, qui a toujours servi les intérêts syriens et iraniens depuis qu’il a été établi en 1982. L’Iran pourrait utiliser le Hezbollah pour ennuyer Israël.

En d’autres termes, la Syrie est en dehors du problème, une attaque israélienne sur l’Iran ferait des heureux chez les sunnites que sont l’Arabie Saoudite, le Qatar et Bahrein.

Finalement, l’Arabie Saoudite a joué un rôle inhabituellement agressif en Syrie, proposant notamment un projet de résolution pour le départ de Bachar al-Assad à l’Assemblée générale des Nations Unies. Pourquoi l’Arabie Saoudite fait-elle cela, et comment cela affecte-t-il la paix et la stabilité dans la région ?

Tout tourne autour de la rivalité sunnite/alaouite. Il y a une réelle opportunité de se débarrasser des alaouites qui contrôlent la Syrie, alliée de l’Iran et des dirigeants irakiens, qui supportent toujours le régime syrien. Mettre la Syrie entre les mains des sunnites est bon pour l’Arabie saoudite, majoritairement sunnite. Les Saoudiens ne croient pas en la liberté religieuse et politique, c’est un bastion de l’oppression, mais elle joue son rôle très différemment à l’étranger.

Global Post / Adaptation Sybille de larocque – JOL Press

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