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Un conflit international, pas une guerre civile

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Un conflit syrien de moins en moins syrien

Un rapport d’une commission d’enquête mandatée par l’ONU, publié mercredi 15 août, accuse formellement le régime de Bachar al-Assad de crimes de guerre et même de crimes contre l’Humanité. Mais, et c’est une première, il souligne également que les rebelles se livrent à des atrocités, supposément « à une moindre échelle » et de façon moins « systématique ». Ce rapport met aussi en avant la complexité et l’ambivalence de ce conflit que l’on a trop souvent eu tendance à considérer comme une simple rébellion confrontée à une répression unilatérale.

Ceci dit, il y a encore une dimension du conflit syrien que le rapport de l’ONU ne semble pas prendre en compte. Si le rapport parle de crimes de guerre, la définition du conflit qu’il a retenue semble discutable. En effet, la commission d’enquête caractérise les violences comme étant le fruit d’un « conflit armé non international », autrement dit, d’une guerre civile. Pourtant, par bien des aspects, les combats qui se déroulent en Syrie semblent au moins autant s’exercer dans le cadre d’une guerre civile que dans celui d’un conflit international mené par procuration. Avec, en ligne de mire, l’affaiblissement des positions iraniennes au Moyen-Orient.

En effet, ce qui était originellement un soulèvement populaire s’est, en 17 mois, transformé en quelque chose de totalement différent. Ce conflit dont l’intensité s’élève jour après jour, dans lequel, selon les sources de l’opposition, près de 20 000 personnes auraient été tuées, est devenu une arène dans laquelle des puissances étrangères s’affrontent pour gagner en influence géostratégique, ou pour affaiblir celle de leurs rivaux.

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Ce sont en fait des dizaines de pays et d’organisations étrangères qui se battent désormais par procuration sur le territoire d’une Syrie sacrifiée. En grande partie, c’est la traditionnelle rivalité entre chiites, et plus précisemment alaouites, et sunnites qui est au cœur de ce jeu stratégique. Et, comme à chaque fois, on retrouve les mêmes acteurs du même côté du front.

Chiites et sunnites, meilleurs ennemis

Ainsi, cette guerre par procuration implique, dans sa dimension internationale, l’Iran chiite, soutenu par la Russie et la Chine, aux monarchies sunnites du Golfe, en particulier l’Arabie Saoudite et le Qatar, qui sont, elles, soutenues par les Etats-Unis et par une grande partie du monde occidental.

Lundi 6 août, le chef de la sécurité nationale iranienne, Saïd Jalili, est arrivé à Damas, déterminé à montrer au régime syrien que l’Iran continuerait de le soutenir. Et, ce faisant, il a averti les puissances engagées en faveur de l’autre camp que son pays n’avait pas l’intention de se laisser marcher sur les pieds.

Il a notamment déclaré au cours de sa visite : « Ce qui se passe en Syrie n’est pas un problème national. Mais un conflit entre l’axe de la résistance [ici l’Iran, la Syrie et le Hezbollah libanais] et ses ennemis dans la région et dans le monde. »

Son propos diffère largement de la vision du conflit véhiculée par l’insurrection, et largement reprise par les politiques et médias occidentaux, qui est celle d’un peuple opprimé prenant les armes de sa propre initiative et subissant la répression violente d’un régime sanguinaire. Mais, pour certains analystes, ce propos n’est que le reflet d’un modèle conflictuel récurrent au Moyen-Orient.

Les Syriens sacrifiés sur l’autel des rivalités régionales

C’est en tous cas la thèse que défend Aram Nerguizian, professeur invité au Centre des Etudes Stratégiques et Internationales de Washington : « Bien que nous aimerions croire que les aspirations du peuple syrien sont au cœur de ce conflit, celui-ci est en fait largement motivé par les concurrences régionales. Tout comme ce fut le cas en Iraq, ou au Liban dans les années 1980. »

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Dans ces deux derniers cas, l’Iran a toujours soutenu des milices chiites que ce soit contre les Etats-Unis en Iraq ou contre Israël au Liban. L’expert poursuit : « Certes, la question est syrienne, mais est largement influencée par la concurrence croissante entre chiites et sunnites [dans la région]. Ce qui fait que ce sont les considérations liées à cette concurrence qui deviennent prioritaires sur la volonté de trouver une solution viable. »

C’est par exemple pour cela que le plan en six points proposé par Kofi Annan plus tôt cette année a échoué : malgré son application, l’argent et les armes ont continué à affluer dans le pays pour approvisionner les deux camps.

Les monarchies du Golfe ont trouvé un filon

La rivalité régionale est donc instiguée par deux camps principaux. Le premier est constitué de l’Arabie Saoudite et du Qatar, deux monarchies sunnites ultra-conservatrices et richissimes grâce au pétrole du Golfe. Et qui sont par ailleurs deux grandes alliées de Washington. A grand renfort de pétrodollars, ils fournissent armes et bien sûr fonds aux insurgés syriens, majoritairement sunnites.

L’Arabie Saoudite a toujours été la première à agir dès qu’il s’agissait de contrer l’influence croissante de l’Iran dans le Golfe, mais de manière plus générale au Moyen-Orient. Ainsi, l’an dernier, le royaume wahhabite a envoyé des troupes pour réprimer dans le sang un soulèvement populaire au Bahreïn, où la majorité de la population est chiite, mais où le pouvoir monarchique est sunnite.

Dans ce cas précis, il n’existe pas de preuve tangible que l’Iran se soit impliqué outre mesure dans ce soulèvement. Mais les Saoudiens n’ont pas voulu prendre de risques et sont intervenus rapidement, sapant au passage les efforts des Etats-Unis, qui tentaient de faire accepter un plan de réformes au pouvoir bahreïni. Et, au lieu de bénéficier de réformes, les manifestants ont pu constater par eux-mêmes l’efficacité meurtrière des blindés saoudiens.

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Maintenant, la diplomatie saoudienne se consacre à armer les rebelles syriens. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle est encore moins prudente en la matière que les Etats-Unis. Il est peu probable que le projet d’avenir des combattants qu’elle supporte ne l’intéresse outre mesure. L’Arabie Saoudite n’est-elle pas le royaume du wahhabisme, l’une des tendances les plus radicales de l’Islam contemporain ?

Aram Nerguizian conclut : « Les Etats du Golfe ont trouvé une opportunité : en soutenant des forces locales, ils peuvent du même coup déséquilibrer les positions iraniennes. […] Ils sont bien plus préoccupés par la maximisation des effets de leur manœuvre que par la résolution de la crise. »

Les Iraniens veulent défendre leur zone d’influence

Le second camp est essentiellement constitué de l’Iran. Celui-ci soutient le régime de Bachar al-Assad, qui est dominé par les alaouites, une branche minoritaire du chiisme. Pour l’Iran, la Syrie baasiste est indispensable, et ce pour deux raisons principales. Tout d’abord, la Syrie assure une quasi-continuité territoriale du Liban jusqu’à l’Iran, ce qui facilite considérablement le soutien que ce dernier apporte au Hezbollah, notamment en ce qui concerne les livraisons d’armes.

Ensuite, la Syrie est le seul allié fiable de l’Iran dans le monde arabe, qui voit se développer un sentiment anti-iranien de plus en plus fort. Sans Bachar al-Assad, l’Iran perd un pilier essentiel de son influence régionale. Il verra sa posture affaiblie dans la zone d’influence israélienne et perdra sa capacité à mobiliser les Palestiniens.

C’est ce que nous explique Michael Hanna, chercheur à la Century Foundation de New York : « Si Assad chute, et même si les alaouites parviennent à garder le contrôle des services de sécurité au terme de la transition, l’Iran perdra son alliance stratégique avec la Syrie. […] La Syrie est un acteur central dans la protection du pouvoir iranien. […] Les Iraniens ont beaucoup à perdre. »

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Toutefois, l’Iran a toujours su s’adapter rapidement et efficacement aux changements, qu’ils aient lieu au Moyen-Orient ou ailleurs. C’est en quelque sorte une tradition nationale. Aram Nerguizian n’est donc pas convaincu par le point de vue de Michael Hanna.

Il voit les choses autrement : « Quoi qu’il arrive en Syrie, l’Iran saura se recalibrer. Il suffit de comparer : l’Iran est bien plus rompu au jeu régional. Les Etats du Golfe ne sont que des novices. »

Les Etats-Unis : entre prudence et jusqu’au-boutisme

La position des Etats-Unis est, elle, beaucoup plus ambigüe. Elle est partagée entre la volonté de voir disparaître un allié clé de l’Iran et la crainte de s’impliquer trop profondément dans un autre conflit moyen-oriental.

La rhétorique de Barack Obama, bien loin des gesticulations vindicatives de sa Secrétaire d’Etat, illustre parfaitement cette posture : si, d’un côté, il appelle à l’isolement et à l’éviction de Bachar al-Assad, de l’autre, il encourage simplement une aide financière et « non-létale » à l’égard des rebelles.

Ainsi, Michael Hanna déclare qu’il est difficile d’avoir un aperçu global du rôle américain en Syrie. Il admet que des éléments de la CIA sont probablement sur le terrain aux côtés des insurgés. Mais, pour lui, cela veut simplement dire que les Etats-Unis « tentent de garder un minimum la main sur un conflit dans lequel tout le monde est impliqué. »

D’ailleurs, les Etats-Unis pourraient avoir beaucoup à perdre s’ils venaient à intervenir plus directement dans le conflit. Pour certains politiques, armer une rébellion qui comporte en son sein nombre de combattants djihadistes ayant déjà sévi en Iraq ou en Lybie est bien trop risqué. Dans les années 1980, en armant les rebelles afghans qui luttaient contre les Soviétiques, les décideurs américains avaient contribué à la naissance d’Al-Qaïda. Un traumatisme encore présent.

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C’est en tous cas l’opinion de Rex Brynen, professeur de Politique au Moyen-Orient à l’Université McGill de Montréal : « Les Etats-Unis veulent sans aucun doute voir un changement de régime en Syrie. Mais il ne veut pas s’impliquer dans un processus à grande échelle, aussi salissant que coûteux, d’intervention militaire. […] Il y a des doutes quant à certains éléments de la rébellion syrienne, à savoir la composante djihadiste. »

Mais l’administration américaine a tout fait, avec Israël, pour imposer à l’Iran des sanctions susceptibles de nuire à son programme nucléaire, montrant en la matière une détermination et un acharnement que certains pourraient qualifier de jusqu’au-boutistes. Dans cette logique, si soutenir plus directement les rebelles devait signifier la chute d’un allié de l’Iran, et donc la déstabilisation de cette dernière, alors, le jeu pourrait bien en valoir la chandelle.

Global Post / Adaptation Charles El Meliani pour JOL Press

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