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Al-Jazeera, une arme du Qatar contre Bachar al-Assad

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Sur le front d’Alep, de Damas, ou encore d’Idleb, l’armée loyaliste de Bachar al-Assad tente, par le feu, de vaincre l’ennemi rebelle. Mais cette guerre n’est pas la seule que mène le régime Assad. Dans son combat pour sa survie, le régime alaouite est doté d’une véritable armée électronique qui œuvre sur Internet depuis le début du régime.

Nous sommes un groupe de jeunes Syriens

Des hackers, connus sous le nom d’Al-Rachidoune, cachés derrière leurs ordinateurs, œuvrent pour la défense de leur président sur le Web. Leur mission : défendre le régime en bombardant la toile de messages favorables à Bachar al-Assad et pirater les sites des ennemis.

« Nous sommes un groupe de jeunes Syriens, nous ne pouvions pas rester passifs face à la distorsion des faits concernant la récente révolte en Syrie. Les leaders de ce qu’on appelle la révolution syrienne utilisent Facebook pour diffuser leurs idées destructrices. Notre but est de montrer la vérité à propos de la « révolution syrienne », une insurrection armée qui cherche à mener la Syrie vers une épouvantable anarchie », ainsi se présente la brigade Al-Rachidoune.

Dans cette tâche, largement soutenue et appuyée par le régime Assad, la brigade Al-Rachidoune a une cible privilégiée, la chaîne d’information panarabe Al-Jazeera.

Entre assaut sur Alep et piratage informatique

Le 9 septembre dernier, le système d’alerte SMS de la chaîne était piraté. Ce jour-là, tous les abonnés de la chaîne d’information ont reçu une alerte les informant que le Premier ministre du Qatar avait été victime d’une tentative d’assassinat. Quelques jours auparavant, les hackers syriens sont parvenus, par une autre cyberattaque à pirater la page d’accueil des versions anglophone et arabe du site. Les internautes qui ont tenté de se connecter à ce moment sur le site ont été directement redirigés sur une page où un message du groupe est apparu à côté d’un drapeau syrien. Et de la mention « hack », (piratage électronique).

Rien de nouveau pourtant, car, depuis le début du conflit, la chaîne Al-Jazeera a été à plusieurs reprises la cible de ces hackers loyalistes. Fin janvier notamment, Al-Rachidoune avait réussi à entrer dans la version anglaise d’Al-Jazeera afin de poster des messages pro-Assad, accusant la chaîne de désinformation et de parti pris flagrant.

Al-Jazeera et Al-Arabiya prennent les armes contre Bachar al-Assad

Car là est la raison pour laquelle les Syriens pro-Assad s’attaquent autant à la chaîne qatari. Al-Jazeera, première chaîne du monde arabe auprès de son homologue saoudienne Al Arabiya sont largement accusées de prendre les armes, à leur manière, dans le conflit syrien.

Al-Jazeera comme Al-Arabiya ont été fondées par les familles royales respectives du Qatar et d’Arabie Saoudite. Largement arrosées de fonds gouvernementaux, les chaînes d’informations sont rapidement devenues les agences de communication, non pas de leur pays, mais des intérêts géopolitiques inhérents aux volontés de leurs fondateurs.

Désinformation, parti pris, Al-Jazeera et Al-Arabiya se font remarquer sur la scène de l’information internationale depuis plusieurs mois par un certain manque de professionnalisme dont Sultan Al Qassemi, commentateur politique basé aux Émirats arabes unis se faisait le témoin dans une chronique publiée sur Slate, le 18 août dernier.

« Il n’est pas rare de zapper sur l’une de ces deux chaînes et de tomber, pendant les vingt premières minutes d’un journal télévisé, sur des activistes syrienscertains ayant des antécédents suspects – basés soit à l’intérieur soit à l’extérieur de la Syrie et rapportant, via Skype, des évènements censés s’être déroulés à plusieurs centaines, voire des milliers de kilomètres de là », écrit Sultan Al Qassemi.

« S’il arrive qu’Al-Arabiya et Al-Jazeera commentent directement ce qui se passe en Syrie, les chaînes ont tendance à minimiser les défauts des rebelles et à mettre en avant les lignes de faille religieuse du conflit », poursuit-il dans sa chronique.

Le professionnalisme des chaînes pétromonarchiques en question

Les faits se vérifient. Si les chaînes de télévision des pétromonarchies du Golfe montrent beaucoup de laxisme lorsqu’il s’agit de vérifier les sources des vidéos qu’elles trouvent sur YouTube, elles font preuve d’un soin tout à fait méticuleux lorsqu’il s’agit de filtrer un certain nombre d’informations.

Lorsqu’après plusieurs mois de conflit les médias occidentaux ont commencé à regarder avec beaucoup de distance les chiffres provenant du nébuleux Observatoire syrien des droits de l’Homme – qui fait du calcul des morts en Syrie un véritable art – les chaînes panarabes n’en n’ont pas dit un mot.

Lorsque la présence avérée de membres d’al-Qaïda a été révélée au sein des rangs de l’opposition en Syrie, les chaînes panarabes se sont tues.

Autre caractéristique : le discours double-face. Alors que la version anglophone de la chaîne Al-Jazeera se montre plus tempérée sur de nombreux sujets, la version arabe utilise un ton beaucoup plus militant devant ses téléspectateurs.

Quand l’information est contrôlée par les familles royales saoudiennes et qataries

Un discours militant pour une chaîne politisée. Récemment, la chaîne a confié son bureau syrien à un certain Ahmed Ibrahim, qui n’est autre que le frère d’Anas al-Abdah, membre du Conseil national syrien, principal organe d’opposition au régime syrien et largement dominé par la confrérie des Frères musulmans.

Alain Gresh, spécialiste du Proche-Orient pour le Monde Diplomatique et auteur du blog Nouvelles d’Orient, était invité au micro de RFI, il y a quelques mois. À cette occasion, il avait soulevé l’enjeu du conflit syrien pour les pétromonarchies du Golfe.

« Il faut quand même s’interroger sur le poids que jouent aujourd’hui l’Arabie saoudite et le Qatar dans l’aide à l’opposition syrienne, cela laisse planer quelques doutes. On a du mal à croire que l’objectif essentiel de l’Arabie saoudite soit la démocratie en Syrie quand on sait qu’il n’y a pas d’élections en Arabie Saoudite. Il faut quand même voir aussi le cynisme de certains partis extérieurs qui sont prêts à jouer avec l’avenir du peuple syrien pour des raisons géopolitiques, à savoir l’affaiblissement de la Syrie, l’affaiblissement de l’Iran. »

Objectif : la fin des alaouites

Pour Alain Gresh comme pour de nombreux autres spécialistes, la clé du conflit syrien réside notamment du côté de l’Iran. Dans cette guerre, plusieurs enjeux se recoupent pour n’en former qu’un. Entre enjeux géopolitiques et enjeux religieux, les pays sunnites, Arabie Saoudite et Qatar en chefs de file, ont tout intérêt à éliminer leur ennemi chiite/alaouite de la carte du Moyen-Orient.

« Il faut faire passer les alaouites dans un hachoir à viande et transformer leur chair en pâtée pour chiens », a ainsi affirmé l’extrémiste sunnite Adnane al-Arour dans une tribune diffusée sur Al-Jazeera et dont les propos sont rapportés par Sultan al Qassemi.

La guerre est bien là, et les droits de l’Homme n’y ont définitivement pas leur place. Pour détruire le trio Iran/Syrie/Hezbollah libanais, tous les moyens sont bons, à commencer par la guerre médiatique. Al-Jazeera et Al-Arabiya ne sont que des armes.

> Retour au dossier : Un an passé en Syrie, et le chaos règne toujours

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