Site icon La Revue Internationale

Dorothée Schmid: «La Turquie n’interviendra pas en Syrie»

[image:1,l]

Mercredi 3 octobre, la Syrie attaquait un village à la frontière avec la Turquie. Depuis, la Turquie réplique coup pour coup et a attaqué à plusieurs reprises des positions de l’armée fidèle au régime de Bachar al-Assad.

Mercredi 10 octobre, la Turquie a intercepté un avion de ligne qui effectuait le trajet entre Moscou et Damas, le suspectant de transporter des armes ou du matériel de transmission à destination de la Syrie.

Un dernier épisode est survenu les 13 et 14 octobre. Successivement, les autorités turques et syriennes ont fermé leur espace aérien à leurs avions respectifs.

La tension entre les deux pays frontaliers est à son comble et un conflit direct semble s’amorcer. Pourtant, si la Turquie utilisent tous les leviers de pression à sa disposition, elle n’est pas prête à s’engager dans un conflit bilatéral. Derrière ces attaques, la Turquie cherche à ne pas laisser un conflit se propager au-delà des 900 km de frontière qui la sépare de la Syrie.

Dorothée Schmid est spécialiste des politiques européennes en Méditerranée et au Moyen-Orient, elle dirige le programme « Turquie contemporaine » de l’Institut français des relations internationales (IFRI).

Qui a vraiment bombardé le village turc ?

Le 3 octobre dernier, l’armée syrienne bombardait un village turc situé à la frontière avec la Syrie. Durant les jours qui ont suivi, l’armée turque a répliqué par de nouveaux bombardements sur des positions de l’armée fidèle à Bachar al-Assad. Ce premier incident n’a-t-il pas été un prétexte, pour les autorités turques, afin d’attaquer le régime de Bachar al-Assad ?

Ce n’était pas un prétexte car la Turquie n’a pas intérêt à provoquer une escalade de tensions et de violences. La Turquie a réagi car elle est motivée par sa peur de voir le conflit syrien déborder au-delà de la frontière turque. Or, depuis plusieurs semaines, les incidents se multiplient en Turquie, en écho au conflit syrien.

La Turquie partage 900 km de frontière avec la Syrie et les combats se rapprochent de plus en plus de cette frontière. Pour les autorités turques le conflit ne doit pas durer trop longtemps car la Turquie pourrait s’enflammer à son tour.

À l’est de cette frontière, la Turquie voit ressurgir la question kurde, puisque les combattants kurdes syriens se sont rendus maîtres de plusieurs points stratégiques. Les Turcs craignent que la jonction ne se fasse avec la guérilla du PKK, qui a repris ses opérations sur le territoire turc.

Dès l’attaque du village, la Turquie a répliqué en visant les positions de l’armée de Bachar al-Assad, mais sait-on vraiment qui a envoyé ces obus ?

C’est une question essentielle. Connait-on vraiment la cause de ces incidents ? Il y a trois hypothèses.

Il pourrait s’agir d’une erreur de tir de l’armée syrienne. Cette hypothèse est la plus probable. Une seconde hypothèse, qui n’est pas mise en avant par la Turquie, mettrait en cause les Kurdes. Il pourrait s’agir dans ce cas d’une provocation.

Il y a également une troisième option, peu plausible : que les obus aient pu être envoyés par l’Armée syrienne libre afin d’obliger la Turquie à s’engager sur le terrain syrien.

Impliquer la communauté internationale dans le conflit syrien

Après avoir répliqué par des tirs, la Turquie a également intercepté un avion de ligne syrien, accusé de transporter des armes de Moscou à Damas. Un évènement considéré comme une nouvelle provocation à l’égard du gouvernement syrien. Quelle est la stratégie internationale de la Turquie ? Tente-t-elle de pousser la communauté internationale à intervenir sur le terrain ?

La Turquie, depuis le début du conflit, essaie d’impliquer ses partenaires internationaux. Ces tentatives se sont souvent soldées par des échecs. La Turquie soutient tout d’abord les efforts de la Ligue arabe. Puis elle a tenté de faire entendre sa voix en soutenant le groupe des Amis de la Syrie, tout en s’adressant aux Nations Unies. C’est ainsi que le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, face aux vetos opposés par la Chine et la Russie à l’ONU à des résolutions contre la Syrie, a récemment appelé à une réforme du Conseil de sécurité de l’ONU.

La Turquie se retrouve face à un même blocage à l’OTAN, même si l’institution l’a assurée de son soutien.

Les Etats-Unis sont très réticents à l’idée d’intervenir dans un nouveau conflit au Moyen-Orient ; la campagne présidentielle bat son plein et la politique étrangère n’est pas un point fort du bilan de l’administration Obama.

Parmi les autres partenaires de l’OTAN, rappelons que la France et le Royaume-Uni ont été échaudés par les effets de leur intervention en Libye. L’opération a certes permis de faire tomber le régime de Kaddhafi, mais l’instabilité politique et la violence règnent désormais, comme en témoigne l’assassinat récent de l’ambassadeur américain.

Sans ses partenaires, la Turquie ne peut rien faire, car elle veut éviter de se retrouver piégée dans un conflit bilatéral avec la Syrie.

Au-delà de ces partenaires, quelles sont les relations de la Turquie avec les ennemis de la Syrie tels que l’Arabie Saoudite ou le Qatar ?

La Turquie est en position de concurrence sur le plan régional avec ces deux puissances. Leurs relations sont bonnes même s’il n’y a pas de détails forts pour développer ces relations. En revanche, nous savons qu’un bon pourcentage des armes qui arrivent en Syrie transitent par la Turquie. Et ces armes sont notamment financées par le Qatar et l’Arabie Saoudite.

Tous les moyens sauf la guerre ouverte

Récemment, la Turquie et la Syrie ont décidé de fermer leur espace aérien à leurs avions respectifs. Cette décision marque-t-elle véritablement un tournant dans les relations entre les deux pays ?

Ce n’est pas un tournant car l’hostilité entre la Syrie et la Turquie est déjà complète. Les Turcs utilisent tous les leviers qu’ils ont à leur disposition pour faire pression sur le régime syrien. Après les déclarations réitérées d’hostilité, les propositions de solutions diplomatiques (remplacer Bachar al-Assad par son vice-président Farouk al-Chareh), la Turquie décide de fermer son espace aérien aux avions syriens, ce qui est un moyen très concret de déranger le régime de Damas.

La Turquie essaye d’éviter la guerre ouverte avec la Syrie. L’armée turque va donc continuer de mener des opérations de « nettoyage » sur la frontière, et le gouvernement met en place de nouveaux niveaux de sanctions.

Le gouvernement turc devait de toute façon absolument réagir après le bombardement d’Akçakale. L’opinion publique est très inquiète. Selon les récents sondages, les Turcs n’ont plus confiance en leur gouvernement pour la gestion de la crise syrienne. La popularité et la légitimité nationale de l’AKP (parti post-islamiste au pouvoir) sont désormais en jeu.

> Retour au dossier : Un an passé en Syrie, et le chaos règne toujours

Quitter la version mobile