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L’Europe, mauvaise élève de l’Otan

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En 1954, seulement cinq ans après la création de l’Organisation du Traité de l’Atlantique-Nord (Otan), le secrétaire à la Défense de Dwight Eisenhower, John Foster Dulles, menaçait l’Europe d’une « révision radicale » de l’engagement américain dans l’alliance nord-atlantique si les membres européens ne commençaient pas en assumer le poids financier.

Réprimandes habituelles contre les Européens

Depuis, voyager en Europe pour réprimander les alliées des États-Unis à propos de leur sous-investissement dans le budget militaire est devenu une tradition pour les chefs de la défense américaine, déclenchant une angoisse rituelle et de mauvais pressentiments chez les Européens.

C’est précisément dans ce contexte que Leon Panetta, l’actuel chef du Pentagone, qui a annoncé sa démission dans les prochains mois, fait sa propre visite d’adieu au vieux continent.

Avec son potentiel successeur, l’ancien sénateur Chuck Hagel, désigné par Obama la semaine dernière, Leon Panetta devrait profiter de ce voyage pour mettre un terme au chagrin de Washington, causé par la grande disparité dans le pourcentage de PIB que les États-Unis et les membres européens de l’Otan attribuent à la défense.

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« On ne peut pas être assuré et demander aux autres de cotiser ! »

Aujourd’hui, les États-Unis consacrent près de 4,8 % de leur produit intérieur brut à la défense, contre seulement 1,7 % pour les Européens de l’Otan. Et selon les données de 2010, seuls six des 26 pays européens atteignent l’objectif des 2 % du PIB consacrés à la défense.

Tout comme les secrétaires à la Défense Bill Gates, Donald Rumsfeld, William Cohen, Caspar Wainberger, et une demi-douzaine de leurs prédécesseurs, Leon Panetta prêchera des convertis lors de ses visites à Londres, Madrid, Berlin et Rome.

Beaucoup sont en effet d’accord avec l’ancien ministre de la Défense britannique, Liam Fox, selon qui les membres européens de l’Otan ne sont pas à la hauteur de leurs responsabilités envers l’alliance nord-atlantique. « Vous ne pouvez pas profiter d’une police d’assurance et demander aux autres de cotiser pour vous ! » avait-il lancé.

Des disparités mortelles sur le champ de bataille

À propos des écarts de dépenses et de capacités entre les États-Unis et l’Europe, le secrétaire général néerlandais Anders Fogh Rasmussen avait déclaré lors d’un sommet de l’Otan en novembre qu’il était nécessaire « d’arrêter ce déclin et de l’inverser. »

Si ce déséquilibre semble simplement étonnant sur le papier, selon les responsables américains, il peut être mortel sur le champ de bataille. Les faibles niveaux de dépenses et le manque de modernité dans la tactique et l’équipement des européens ont rendu plus difficile l’interopérabilité des militaires de l’Otan (excepté la Grande-Bretagne) avec leurs homologues américains.

« Franchement, si vous mettez une compagnie espagnole ou canadienne hors-réseau à côté d’un compagnie américaine moderne, il y a un risque élevé que notre armement soit incapable de distinguer l’allié de l’ennemi, explique un haut fonctionnaire du Pentagone sous couvert d’anonymat, en raison de la sensibilité du sujet. C’est pourquoi, malheureusement, nous envoyons les Européens au milieu de nulle part, et que quand ils n’y sont pas il y a tant d’accidents liés à des tirs amis. »

L’Europe en retard militairement

Pendant la première guerre du Golfe, les troupes américaines avaient tué plus de soldats britanniques que les Irakiens uniquement à cause d’erreurs de ciblage. Tirant des leçons de ces chiffres, la Grande-Bretagne avait immédiatement mis à niveau ses systèmes et avait accompagné les États-Unis dans de nombreuses missions. Mais certains membres de l’Otan ne connaissent toujours pas ces nouveautés tactiques et technologiques.

En Libye, par exemple, après qu’Obama avait insisté pour que l’Europe prenne la tête des interventions, les stocks américains de bombes et de missiles intelligents avaient été rapidement épuisés une fois les réserves françaises et anglaises vidées.

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Ce sont les États-Unis qui en font trop ?

Bien que les responsables européens de la défense soient désireux d’apaiser Leon Panetta, les États-Unis ont déjà tout entendu. De plus, en Europe – en proie à une crise souveraine de la dette, et ne subissant aucune menace venant d’une puissance militaire traditionnelle –, rares sont les politiciens qui ont prévu d’augmenter les dépenses militaires de leur pays.

Pour beaucoup, ce sont les États-Unis qui sont disproportionnés ; ils dépenseraient autant dans le domaine de la défense que les 10 plus grandes puissances militaires réunies.

En effet, si l’Europe était bien obligée de s’équiper pendant la Guerre Froide, l’effondrement de l’URSS aurait rendu impossible de lui soutirer une quelconque augmentation des investissements dans la défense.

L’Italie, l’une des puissances les plus ambitieuses du continent, a ainsi diminué ses dépenses de 10 %. Le Royaume-Uni a mis au rencart son dernier porte-avion, et des coupes de budget ont réduit la contribution de l’Espagne et des Pays-Bas.

La Russie surveillée de près

Selon les stratèges américains – et de nombreux responsables européens de la défense seraient d’accord – la contribution américaine à l’Otan permet de maintenir ouvertes bon nombre de voies maritimes, de dissuader des terroristes islamiques déjà à l’origine de centaines de morts à Londres et à Madrid dans la dernière décennie, et surtout, de permettre au pétrole et au gaz de continuer à circuler (et à prix stables) dans le golfe Persique.

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Plus récemment, de chaque côté de l’Atlantique, des analystes de la défense se soucient de l’évolution future de la Russie. La Pologne, en particulier, mentionne la guerre engagée en 2008 par la Russie contre la Géorgie, ainsi que ses tentatives d’intimidation dirigées vers les États baltes et l’Ukraine.

Le ministre polonais des Affaires étrangères, Radek Sikorski, a été particulièrement ferme à ce propos, citant de récents jeux vidéo basés sur un scénario qui aboutissait à l’invasion des pays baltes et au bombardement nucléaire de Varsovie. Exhortant l’Allemagne à dépenser davantage dans la défense, il avait déclaré : « je serai probablement le premier ministre polonais des Affaires étrangères de l’histoire à parler ainsi, mais voilà : je crains la puissance de l’Allemagne bien moins que je ne commence à craindre son inactivité. »

La défense américaine réduit elle aussi ses dépenses…

Mais de telles situations hypothétiques ont tendance à tomber dans l’oreille d’un sourd quand l’économie du continent est chancelante. Leon Panetta, tout comme ses prédécesseurs, fera une fois de plus pression pour davantage de dépenses – mais aussi pour que les Européens cessent de protéger les petits fabricants d’armes locaux au lieu d’acquérir des armes standardisées chez de gros fabricants, ce qui est l’origine d’un gaspillage de plusieurs milliards de dollars.

Mais alors même que Washington rejoint le débat sur les dépenses de l’Europe, la trajectoire suivie par le propre budget militaire des États-Unis semble également se diriger vers le bas. Cette tendance est certes le résultat naturel de la fin des conflits en Irak et en Afghanistan, mais la dette souveraine des États-Unis en est la cause principale.

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Vers un relâchement de l’alliance américano-européenne ?

Il y a peu de temps, un journaliste du site Bloomberg.com avait demandé à Leon Panetta les raisons budgétaires de sa tournée dans les quatre villes européennes, faisant allusion à l’héritage italien de Panetta et suggérant que la sécurité nationale n’avait aucune vraie raison de dépenser cet argent. Cette question avait provoqué un léger rire parmi les journalistes, mais laissait en réalité entrevoir à la fois le désintérêt progressif de l’Europe vis-à-vis de ce que pensent les États-Unis et la période économiquement difficile.

Alors que le Pentagone est plutôt de nature à éviter la « séquestration » de son budget, la plupart de ses analystes prévoit une réduction d’au moins 500 milliards de dollars dans les dépenses des prochaines décennies. Et avec l’intérêt croissant que portent les États-Unis à l’Asie de l’Est, ce qui restera ne sera probablement pas destiné à l’Europe.

GolbalPost / Adaptation : Antonin Marot pour JOL Press

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