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Soft power: comment le Qatar anticipe l’après-hydrocarbures

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JOL Press : Quels sont aujourd’hui les piliers de l’émirat qatari ?

Mehdi Lazar : C’est avant tout un État rentier, c’est-à-dire un état dont plus de 50 % des revenus sont issus de la rente des hydrocarbures. Mais le Qatar est un cas un peu particulier, puisqu’il s’appuie sur ses énormes réserves de gaz naturel. Il a les troisièmes plus grandes réserves de gaz naturel du monde, et il s’agit du premier exportateur de gaz naturel liquéfié, donc le premier pilier économique, c’est le gaz naturel.

Un deuxième pilier est la diversification de l’économie, notamment avec des investissements à l’étranger sous diverses formes : dans l’industrie, le luxe, le sport, l’agriculture même, à travers l’achat de terres arables en Afrique, les médias…

JOL Press : Le fait que le Qatar soit une monarchie est-il un vecteur de sa réussite ?

Mahdi Lazar : Dans une certaine mesure oui, car c’est un vecteur de flexibilité. D’autant plus que c’est une monarchie absolue, et qu’il n’y aucune représentation populaire. Le Qatar a connu très peu de régulation politique, les derniers changements ont été deux coups d’État.

Le nouvel émir est arrivé en 1995 avec une vision moderne, et l’existence d’un marché très centralisé fait que vous avez une structure souple. Concrètement, les gens qui prennent les décisions au Qatar se comptent sur les doigts de la main.

Un exemple : la stratégie économique du Qatar se fait via le fonds souverain qatari, qui est géré par le fils de l’émir. Chaque décision est donc prise très rapidement.

JOL Press : L’énergie représente actuellement environ 60 % du PIB du Qatar. Pourra-t-il un jour se passer des exportations de gaz naturel liquéfié ?

Mehdi Lazar : En tout cas, il le devra. La question est de savoir quand, et avec quelle modalité. Je ne crois pas que cela soit possible dans les vingt prochaines années, étant donné qu’il y a des réserves pour encore 100 ans.

L’idée du Qatar, c’est justement de baisser sa dépendance aux hydrocarbures : son objectif est de devenir une économie du savoir à l’horizon 2030. Il veut avant tout préparer l’avenir, parce qu’il sait qu’il est dépendant en cas de choc extérieur, et il sait par expérience que les ressources ne sont pas éternelles.

Le Qatar a déjà commencé à développer des activités à haute valeur ajoutée, et espère devenir une plaque tournante des finances. Il mise notamment sur la finance islamique et le tourisme haut-de-gamme. C’est une stratégie intéressante, puisqu’ils cherchent à récupérer une partie du trafic mondial de l’Occident vers l’Asie en imposant Doha comme une halte obligatoire.

Cette diversification passe aussi par l’industrie, et à ce niveau le Qatar se place déjà sur certains secteurs stratégiques : les médias, avec Al-Jazeera, les hydrocarbures, l’énergie solaire, ou la médecine haut-de-gamme.

JOL Press : Quel intérêt le Qatar a-t-il à s’investir dans tant de secteurs différents ?

Mehdi Lazar : Vous minimisez les risques en vous impliquant dans différents secteurs : il suffit d’observer l’économie occidentale. Beaucoup de pays n’excellent encore que dans un unique secteur, c’est le cas de la Chine. Le Qatar ne veut pas cela.

D’autre part, l’émirat doit envisager l’essoufflement de l’État-providence, et a donc besoin d’un développement équilibré. Et puis le Qatar peut le faire, donc pourquoi s’en priverait-il ?

Pendant les années 2000, il a amassé beaucoup d’argent avec le choc pétrolier. Et aujourd’hui, il jouit d’un positionnement géographique très intéressant : l’Atlantique n’est plus le centre du monde, c’est désormais le Pacifique, et le Qatar prend du relief dans ce nouveau contexte.

En réalité, il s’agit de mener une stratégie de diversification des sources de sécurité. Cela passe par un ciblage des investissements les plus rentables vers les États-Unis, la France et le Royaume-Uni. En réalité, le Qatar a très peur pour son avenir, il cherche donc à intéresser les grandes puissances à son sort, à se rendre indispensable auprès d’elles.

Un dernier point : c’est une diversification intelligente, qui passe généralement par l’intégration de l’ensemble de la filière. Pour le sport par exemple, le Qatar a investi dans des équipes, des infrastructures, dans la publicité, l’évènementiel…

JOL Press : Finalement le Qatar a-t-il des limites ?

Mehdi Lazar : On a vu qu’il y avait des limites économiques : l’émirat doit limiter l’inflation et diversifier son économie. Mais on peut aussi parler de limites géographiques : c’est un territoire très aride, et situé dans une région en pleine effervescence, avec l’Iran et l’Arabie Saoudite comme voisins proches.

Et puis il y a aussi la question de l’identité : le Qatar doit encore trouver son modèle d’émancipation sociale. Il faudra que le pays s’interroge à terme sur le rythme des réformes sociales qui peuvent ébranler l’identité de la société qatarie, et réfléchir notamment à la place de la femme.

Propos recueillis par Antonin Marot pour JOL Press

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