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Qui sont les islamistes de l’État islamique en Irak et au Levant?

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JOL Press : Qui sont les islamistes de l’État Islamique en Irak et au Levant et quel est leur projet politique ?
 

Romain Caillet : Avant de devenir l’État Islamique en Irak et au Levant (EIIL), l’État Islamique d’Irak (EII) est né en octobre 2006, de l’alliance de plusieurs groupes jihadistes irakiens, dont la branche d’al-Qaïda en Mésopotamie, avec une trentaine de tribus sunnites représentant environ 70 % de la population de la province d’al-Anbar [ouest de lIrak].

Il s’agit donc de l’intégration de jihadistes internationalistes au sein d’une coalition sous commandement irakien. Le premier Emir de l’État Islamique d’Irak fut d’ailleurs un ancien Colonel de gendarmerie de Saddam Husseïn, Hamid Zawi, qui prendra le nom d’Abu Omar al-Baghdadi et le titre de Commandeur des croyants (Amir al-Mu’minin). Depuis la mort d’Abu Omar en 2010, l’État Islamique est dirigé par Abu Bakr al-Baghdadi, que les services de renseignements arabes et occidentaux pensent avoir identifié sous le nom d’Ibrahim al-Badri bien qu’il demeure encore un doute sur sa véritable identité.

Élu leader de l’année au Moyen-Orient par les journalistes de The Independent, Abu Bakr al-Baghdadi se considère à la tête d’un véritable État qui constitue aux yeux de ses partisans le noyau du prochain Califat, raison pour laquelle l’État Islamique d’Irak a cherché à s’étendre en Syrie à la faveur de la révolution contre le régime de Bachar al-Assad.

JOL : Quels liens entretiennent-ils avec al-Qaïda ?
 

Romain Caillet : Contrairement à une idée reçue, l’EIIL n’est pas affilié à al-Qaïda, la branche irakienne de l’organisation fondée par Oussama Ben Laden ayant été dissoute au sein de l’État Islamique après l’allégeance de son dernier chef, l’Égyptien Abu Hamza al-Muhajir, qui devint ministre de la Guerre du gouvernement d’Abu Omar al-Baghdadi. Cette dissolution d’al-Qaïda en Irak avait d’ailleurs été reconnue officiellement en 2007 par Ayman az-Zawahiri, le chef d’al-Qaïda centrale, lors d’une interview au cours de laquelle il confirma qu’al-Qaïda n’existait plus en Irak depuis la proclamation de l’État Islamique.

Hormis la simple question organisationnelle, il existe également quelques divergences doctrinales et surtout stratégiques entre les deux formations jihadistes. Tandis qu’al-Qaïda prône un jihad global et déterritorialisé, l’EIIL vise, quant à lui, à établir une continuité territoriale et à exercer un véritable contrôle politique et judiciaire, à travers ses tribunaux appliquant strictement la loi islamique.

JOL Press : Que représentent pour eux les villes de Falloujah et Ramadi en Irak?
 

Romain Caillet : Bien davantage que Ramadi, qui constitue tout de même le chef-lieu de la région d’al-Anbar, berceau de l’EIIL, c’est surtout la ville de Falloujah qui constitue l’enjeu le plus important pour les combattants de l’État Islamique.

Bastion de la résistance contre l’occupation militaire américaine, qui avait dû se retirer de la ville à la fin du mois d’avril 2004 avant de parvenir à la reprendre sept mois plus tard, le 29 novembre, après plus de trois semaines de combats acharnés, Falloujah constitue donc le symbole d’une résistance « sunnite et anti-occidentale » que l’EIIL entend s’approprier. Si l’EIIL parvenait à remporter cette « troisième bataille de Falloujah », nul doute qu’il deviendrait alors la principale organisation jihadiste dans le monde, loin devant al-Qaïda.

JOL : Quelles conséquences a eu le conflit syrien sur la formation de ces groupes djihadistes ?
 

Romain Caillet : Quelques mois après les débuts de l’insurrection contre Bachar al-Assad, Abu Bakr al-Baghdadi a délégué un de ses lieutenants, Abu Muhammad al-Jolani, en Syrie avec pour mission d’y établir une branche de l’État Islamique d’Irak.

Cette extension de l’EII prendra le nom de Front du Secours (Jabhat an-Nusra), en guise de couverture pour ses activités militaires en Syrie. Devenu de plus en plus puissant, le chef de Jabhat an-Nusra a pris une indépendance vis-à-vis d’Abu Bakr al-Baghdadi devenant inacceptable pour ce dernier, qui décida le 9 avril 2013 de révéler au monde le rôle fondateur de l’EII dans la formation de Jabhat an-Nusra et d’annoncer que les deux organisations jihadistes porteraient désormais un seul et même nom : l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL).

Abu Muhammad al-Jolani, soucieux de conserver la direction de Jabhat an-Nusra, fit savoir qu’il ne répondrait pas favorablement à son appel et plaça son groupe sous l’autorité d’Ayman az-Zawahiri. Cette allégeance d’al-Jolani au successeur d’Oussama Ben Laden, qui sans surprise prit son parti contre al-Baghdadi, lui permettait ainsi de sortir du giron de l’État Islamique d’Irak et désormais du Levant, mais impliquait néanmoins que son organisation devienne la branche syrienne d’al-Qaïda.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Romain Caillet est chercheur, consultant sur les questions islamistes et spécialiste du salafisme. Il est notamment l’auteur d’une thèse sur Les nouveaux muhâjirun. L’émigration des salafistes français en « terre d’Islam », sous la direction de François Burgat, Université de Provence/IREMAM.

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