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Syrie: les clés du conflit sont dans les mains de ses voisins

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JOL Press : Le nouveau gouvernement de coalition formé au Liban il y a trois semaines, qui rassemble en son sein des pro-Assad et des soutiens de l’opposition syrienne, pourrait-il servir de modèle pour la Syrie ?
 

Fabrice Balanche : Non. Le Liban a été pressé de former un nouveau gouvernement devant la crainte de la communauté internationale de voir le pays sombrer à son tour dans la guerre civile. L’absence de gouvernement commençait en effet à poser problème face à l’afflux de réfugiés syriens et au développement de groupes terroristes liés au conflit syrien (de nombreux attentats ont récemment frappé la banlieue sud de Beyrouth, contre les bastions chiites). Le but est donc de stabiliser le Liban en évitant la vacance du pouvoir. Des membres du Hezbollah [parti chiite libanais qui soutient le régime syrien] côtoient ainsi au sein de ce nouveau gouvernement des proches de l’ancien Premier ministre Saad Hariri, qui soutiennent l’opposition syrienne, même s’ils n’envoient plus d’armes et ne la soutiennent plus aussi violemment. Ce gouvernement de coalition ne servira cependant pas de modèle à la Syrie, où les rapports de forces sont fondamentalement différents.

JOL Press : Pourrait-on imaginer un retrait du Hezbollah de Syrie ?
 

Fabrice Balanche : Le Hezbollah n’obéit qu’aux ordres de Téhéran, donc il se retirerait de la Syrie seulement si Téhéran lui ordonnait. Or l’Iran soutien le régime syrien et ne le lâchera pas ; au contraire, c’est l’Iran qui a demandé au Hezbollah de s’investir avec force en Syrie. Pour le Hezbollah, rester en Syrie est aussi une question de sécurité interne, car si le régime syrien tombe, il sait qu’il sera la prochaine cible.

JOL Press : Les religieuses de Maaloula, enlevées par le Front al-Nosra en décembre dernier, ont été libérées lundi 10 mars. Le Qatar a-t-il selon vous payé le groupe islamiste pour leur libération ?
 

Fabrice Balanche : La libération des religieuses de Maaloula, qui avaient été enlevées et gardées en otage par des membres du groupe islamiste Al-Nosra, pour éviter qu’ils ne soient bombardés par l’armée syrienne, s’est faite en échange de prisonniers. Le Qatar, qui a servi d’intermédiaire dans la négociation, a sûrement dû donner une somme d’argent au Front Al-Nosra, comme il l’avait fait au mois d’octobre lorsque des pèlerins libanais avaient été enlevés par des islamistes – le Qatar avait payé 150 millions de dollars. Ils ont également dû négocier une sortie de certains rebelles de Yabroud, la ville où étaient retenues les religieuses, dernière ville du Qalamoun qui n’a pas été reprise par l’armée syrienne. Dans la zone rebelle, il n’y a presque plus de chrétiens ni de chiites. Il y a encore quelques familles chrétiennes à Raqqah, qui vivent sous la charia. On leur fait payer une taxe parce qu’ils sont chrétiens, et ils n’ont pas droit de pratiquer leur culte en dehors de leurs maisons.

JOL Press : Plus d’un million de Syriens ont trouvé refuge au Liban. La semaine dernière, le président libanais Michel Sleimane a averti que cet afflux de réfugiés constituait un danger pour l’unité libanaise. Que peut faire la communauté internationale face à cette crise humanitaire ?
 

Fabrice Balanche : Continuer d’apporter de l’aide, parce que les réfugiés syriens au Liban vivent dans des conditions horribles. Il n’y a pas de camps au Liban. Les réfugiés sont donc dispersés dans des camps informels et certains profitent de leur misère : pour pouvoir poser une tente sur un terrain, il faut parfois payer 100 ou 150 dollars par mois à un propriétaire libanais, qui exploite la main d’œuvre agricole dans ses propriétés. Les salaires ont été divisés par deux ou par trois dans l’agriculture : les enfants travaillent pour 4 dollars par jour, les hommes pour 10 ou 15 dollars. À cela s’ajoutent les vols, une augmentation de l’insécurité et des problèmes avec les populations locales qui voient arriver d’un mauvais œil ces réfugiés syriens.

On ne peut empêcher l’afflux de réfugiés syriens au Liban. Il existe en effet un traité de fraternité entre la Syrie et le Liban qui stipule que les Libanais et les Syriens peuvent passer la frontière sans restriction, d’où l’afflux de réfugiés. Les combats dans les zones proches de la frontière libanaise poussent également les Syriens à venir se réfugier au Liban. Cela dit, si le régime syrien parvient à reprendre le contrôle de toutes les zones frontalières, il y aura moins de réfugiés au Liban parce que les zones d’où ils proviennent seront plus sécurisées. Mais les flux de réfugiés risquent alors de se diriger vers la Turquie, vers l’Irak ou vers la Jordanie.

JOL Press : Le conflit syrien est aujourd’hui totalement dans l’impasse. Que risque le pays si la guerre perdure ?
 

Fabrice Balanche : Il y a trois scénarios : le premier serait la chute rapide du régime d’Assad. Cela n’est pas réaliste, parce que le régime est toujours soutenu par la Russie et par l’Iran, et l’opposition syrienne n’est pas capable de s’unir et de représenter une alternative politique et militaire viable. Donc le régime ne tombera pas. Aujourdhui, la majorité de la population syrienne veut la paix et la sécurité, et le régime apparaît comme le meilleur garant de la sécurité – mais pas de la justice. Les Syriens préfèrent le « moins pire », c’est-à-dire le régime, parce que les zones tenues par le régime sont beaucoup plus sûres que celles tenues par l’opposition. À partir de là il y a deux autres scénarios : le régime d’Assad se rétablit rapidement (environ deux ans), à condition que les États-Unis et l’Arabie saoudite arrêtent de soutenir les rebelles. S’ils continuent à les soutenir, cela durera beaucoup plus longtemps.

Ce qui peut également durer longtemps, c’est une sorte de partition du pays : l’est du pays serait tenu par des groupes islamistes qui resteraient indépendants du régime syrien, la zone kurde se détacherait et le gouvernement de Damas continuerait à contrôler la partie ouest du pays. Faire des projections au-delà de cinq ans est néanmoins très difficile, tant les paramètres géopolitiques sont mouvants. La Russie va-t-elle conserver sa puissance ? Quelles vont être les conséquences de la baisse des prix du pétrole et du gaz à l’horizon de dix ans ? Comment vont évoluer les relations entre l’Iran et les États-Unis ? L’Arabie saoudite aura-t-elle toujours les moyens et l’envie de financer les rebelles syriens ? Les clés du conflit échappent en grande partie aux Syriens. Cela va vraiment dépendre de facteurs extérieurs même si le régime est aujourd’hui dans une dynamique de victoire sur le terrain et de consolidation de sa ligne de force.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Fabrice Balanche est maître de conférences à l’Université Lyon 2 et directeur du Groupe de Recherches et d’Etudes sur la Méditerranée et le Moyen-Orient à la Maison de l’Orient. Agrégé et docteur en Géographie, il a fait de nombreux séjours au Moyen-Orient depuis 1990. Il a publié en 2006 La région alaouite et le pouvoir syrien puis Atlas du Proche-Orient arabe en 2011.

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