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Conflit syrien: quand l’Occident s’est trompé sur l’opposition syrienne

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(Crédit photo: Asaf Eliason / Shutterstock.com)

Extrait de « Syrie, pourquoi l’Occident s’est trompé » de Frédéric Pichon, Éditions du Rocher, mai 2014

« Dès les débuts du conflit, la diplomatie française s’est illustrée sur le dossier syrien par son audace et son caractère extrêmement offensif envers le régime de Damas. Cette attitude d’activisme tous azimuts, mélange d’indignation morale, d’agressivité verbale et d’impuissance militaire, aurait de quoi faire sourire s’il n’avait pas mené la France à une impasse, jusqu’aux derniers développements de septembre 2013 on aura vu un président français attendre le coup de fil d’Obama et assister impuissant à la conclusion d’un accord entre Russes et Américains.

Dès les débuts de la révolte en Syrie, certains observateurs ont mis en garde contre le risque de guerre civile en cours tandis que la France ne voulait voir dans les insurgés syriens que des « révolutionnaires » et des activistes. Pourtant, dans d’autres pays où avaient eu lieu les « printemps arabes », les signes étaient très clairs. Au lendemain de la chute de Moubarak, le 26 février 2011, le prédicateur al Qaradawi dirigeait la prière place Tahrir au Caire. Ce même Qaradawi qui allait prendre la tête de la puissante campagne de dénigrement et d’encouragement à renverser Assad dans l’ensemble du monde arabe, grâce à son émission du jeudi sur Al Jazeera.

Il a fallu à la diplomatie française plus d’un an pour admettre et reconnaître à demi-mot que l’opposition armée à Bachar al Assad était totalement multiforme, surtout pas le fait unique d’une « Armée syrienne libre » aux contours assez flous, mais de plus en plus le fait de groupes armés d’inspiration djihadiste.

Sans doute que la situation chaotique qui règne dans la Libye « démocratique » post-Kadhafi avait pu faire réfléchir les responsables français. La France entretenait l’illusion que les aspirations démocratiques des Syriens pouvaient être portées par des puissances aussi peu crédibles sur le plan des droits humains que les Saoudiens et les Qataris. La diplomatie française a ensuite, en janvier 2012, à la suite de l’Arabie Saoudite, tout fait pour enterrer et faire passer pour un échec la mission des Observateurs de la Ligue Arabe, mission certes imparfaite, mais qui donnait un autre son de cloche sur la réalité du terrain.

[image:2,s]Ensuite, la France avait aussi fait une erreur en soutenant le mauvais cheval dès le début, dans une configuration où la reconnaissance par la « communauté internationale » tenait lieu de représentativité populaire. En effet, on ne peut qu’être étonné de la reconnaissance précipitée dès novembre 2011 du Conseil National Syrien (CNS). Parallèlement, la France cesse tout dialogue avec d’autres groupes d’opposants. Elle privilégie des Syriens émigrés en Occident de longue date, sans véritables contacts avec les réalités du terrain.

De surcroît, ces derniers comptent, sans le dire, sur une intervention étrangère que les Syriens rejettent vigoureusement. Plus largement, cette reconnaissance permet aux Frères musulmans et aux puissances sunnites du Golfe d’exercer une large influence au sein de ce même CNS. Pourtant, dès septembre 2011 s’était constitué autour de l’intellectuel Michel Kilo un groupe d’opposants historiques, tolérés par le régime.

En voyage en France en octobre, le groupe avait sollicité en vain d’être reçu au Quai d’Orsay tandis qu’on lui refusait de donner une conférence de presse dans le Centre d’accueil de la Presse Étrangère. Est-ce parce que ce groupe d’opposants refusait la violence et toute ingérence étrangère ? La France s’est ainsi privée d’une opposition domestique, historiquement incontestée et prête à dialoguer avec le pouvoir. On a beau jeu à présent d’expliquer que le régime a tout fait pour que la révolte se militarise.

Mais il faudra un jour pointer les responsabilités historiques de l’Occident et notamment de la France dans l’exclusivisme de ses choix pour représenter l’opposition syrienne. De nombreux opposants refusent jusqu’à présent toute forme de violence. Étrangement, les médias occidentaux et arabes ne relaient nullement cette démarche pacifique ni le travail mené sur le terrain par ces acteurs, certes, nettement moins spectaculaires que les conférences ultra-médiatisées de ceux qui continuent à apparaître comme des exilés sans prise avec les réalités sur le terrain.

Les Occidentaux ont certes dû imposer des mesures cosmétiques pour obliger le Conseil National Syrien puis la Coalition Nationale Syrienne à masquer ses oripeaux islamistes. Mais cela ne trompe personne, pas même certains diplomates français. « Qui peut croire une seconde, en effet, que le régime saoudien cherche à instaurer la démocratie à Damas, lui qui ne reconnaît aucune assemblée élue ? Lui dont le ministère de l’intérieur vient de déclarer que les manifestations dans l’est du pays étaient “une nouvelle forme de terrorisme” », rappelait Alain Gresh sur son blog en 2012 ?

Au printemps 2013, la France refusait toujours d’admettre qu’il n’y avait aucune articulation entre cette opposition et les groupes armés sur le terrain. Entre-temps, l’infiltration djihadiste encouragée par la lutte sourde entre le Qatar et l’Arabie Saoudite a fini par transformer la Syrie en terrain de jeu régional pour les islamistes du monde entier. »

[Cet extrait a été publié avec lautorisation des Editions du Rocher]

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Frédéric Pichon est docteur en Histoire contemporaine. Auteur d’une thèse sur la Syrie, il est chercheur associé à l’Equipe Monde Arabe Méditerranée de l’Université François Rabelais (Tours). Consultant médias pour la crise syrienne et le Moyen-Orient, il donne régulièrement des conférences sur les sujets en lien avec la géopolitique de la région où il a fait de nombreux séjours.

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