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L’Arabie saoudite finance-t-elle les jihadistes de l’EIIL en Irak?

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Lors d’un entretien exclusif accordé à France 24, en date du 8 mars 2014, le Premier ministre chiite Nouri Al-Maliki avait directement accusé l’Arabie saoudite et le Qatar de déstabiliser l’Irak en soutenant des groupes d’insurgés sunnites.

Ce qui, avait-il martelé, revenait à déclarer la guerre à l’Irak. « Ils attaquent l’Irak, via la Syrie, et de manière directe, et ils ont déclaré la guerre à l’Irak », avait-il dénoncé. « Ces deux pays sont les premiers responsables des violences entre communautés, du terrorisme et de la crise de sécurité en Irak », avait-il insisté.

Le « choix dangereux » de Riyad

Cette attaque directe à l’encontre de ces deux puissances sunnites du Golfe intervenait alors que l’Irak s’enfonçait dans une nouvelle spirale de violences avec déjà plus de 1 800 morts depuis le début de l’année 2014.

Le chef du gouvernement irakien avait réitéré sa diatribe en fustigeant « le choix dangereux » de Riyad de « soutenir le terrorisme dans le monde – elle le soutient en Syrie, et en Irak, et au Liban, et en Égypte, et en Libye, et même dans les pays au-delà » du monde arabe, avait-il pris soin de préciser. L’Arabie saoudite et le Qatar fourniraient selon lui un soutien politique, financier et médiatique aux insurgés, et il n’hésitait pas à accuser les deux pays d’« acheter des armes au bénéfice de ces organisations terroristes ».

En janvier 2014, le Premier ministre irakien avait déjà dénoncé des pays arabes « diaboliques » et « traîtres » mais il s’était jusqu’à présent refusé à accuser directement des États en particulier. La situation a sans doute changé depuis qu’il a été déclaré vainqueur des élections législatives le 30 avril sur une base confessionnelle de plus en plus marquée et que la situation a dégénéré dans les provinces sunnites du Nord du pays avec la montée en puissance spectaculaire de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL).

L’Arabie saoudite, base arrière des insurgés sunnites ?

Le gouvernement irakien vient de relancer violemment la polémique, le 17 juin 2014, en accusant de plus en plus ouvertement « l’Arabie saoudite de soutenir financièrement les groupes insurgés en Irak ».

[image:2,s]De récents propos de l’Arabie saoudite montrent qu« elle se range du côté du terrorisme », a même indiqué dans un communiqué le bureau du Premier ministre Nouri al-Maliki.

Et d’ajouter : « Nous [la] tenons [l’Arabie saoudite] responsable des aides financière et morale que les groupes [insurgés] reçoivent ». Selon le bureau de Nouri al-Maliki, le royaume sunnite devrait également « être tenu pour responsable des crimes dangereux commis par ces groupes terroristes ».

Ce type d’accusation est récurrent depuis plusieurs années et il s’est trouvé renforcé à la faveur du soutien avéré apporté par les puissances sunnites, spécialement les pétromonarchies du Golfe, aux insurgés syriens dont une bonne partie a lié son sort à des groupes islamistes sinon salafistes, voire djihadistes comme ceux de l’EIIL, en contrepoint de l’affaiblissement d’une opposition « laïque » au fur et à mesure du durcissement du conflit.

De « généreux donateurs privés »

Mais l’action de l’EIIL ne se limite pas au seul théâtre syrien puisqu’il opère surtout depuis l’Irak. Or, un article récent du site WND affirmait que l’Arabie saoudite aurait directement financé l’EIIL en Irak justement pour faire contrepoids à la menace d’une supposée hégémonie chiite. La question est néanmoins complexe.

En effet, le soutien à ces divers groupes extrémistes sunnites se fait le plus souvent par le biais de « généreux donateurs privés » et n’engagent pas nécessairement les États en tant que tels.

Riyad a d’ailleurs beau jeu de déclarer haut et fort par la voix du prince Turki al-Fayçal invité à s’exprimer devant la Conférence annuelle (12-13 juin 2014) du Conseil européen pour les relations extérieures (ECFR), un Think-tank sur la politique extérieure européenne : « L’EIIL est sur la liste des organisations terroristes en Arabie saoudite, cela vous donne une idée de notre position dans cette affaire ».

L’Arabie saoudite dément et accuse Maliki

C’était une manière de rappeler que Riyad venait de faire entrer en vigueur le 3 février 2014 une nouvelle loi anti-terroriste censée sanctionner sévèrement les Saoudiens ayant participé au djihad à l’étranger – en l’occurrence en Syrie, voire en Irak – et les organisations qui les soutiennent dans leur démarche.

Il n’est pas anodin de souligner que le décret royal a été pris à un moment où l’Arabie saoudite se retrouvait de plus en plus critiquée pour son soutien appuyé aux groupes insurgés syriens, dont des groupes extrémistes sunnites relevant d’Al-Qaïda comme le Jahbat al-Nosra, apparu en janvier 2012, lequel a pris d’ailleurs également le nom d’AQAL, acronyme d’al-Qaïda Bilad ash-Sham (« al-Qaïda au Levant ») à partir de novembre 2013.

Toutes choses qui ne manquent pas d’affecter négativement l’image du royaume, lequel entend donc se départir des soupçons pesant sur lui, afin de mieux pouvoir faire porter la responsabilité de la situation, notamment irakienne, sur le Premier ministre chiite Nouri al-Maliki, accusé pour sa part à maintes reprises par ses détracteurs de « marginaliser » scandaleusement la minorité sunnite irakienne. Autant d’accusations qu’il a toujours réfutées, affirmant qu’elles étaient alimentées par « des personnes sectaires liées à des agendas étrangers, avec une incitation saoudienne et qatarie ».

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David Rigoulet-Roze est spécialiste de la région du Moyen-Orient et du golfe arabo-persique. Il est chercheur rattaché à l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS), chercheur associé à l’Institut prospective et sécurité de l’Europe (IPSE) de Paris, ainsi qu’à l’Institut européen de recherche sur la coopération méditerranéenne et euro-arabe (MEDA) de Bruxelles. Il est l’auteur de Géopolitique de l’Arabie saoudite, Armand Colin, 2005.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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