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«Les jihadistes ne seront défaits que par une action conjointe Irak-Syrie»

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JOL Press : L’objectif premier de Baghdadi est d’établir un califat, notamment en abolissant la frontière entre la Syrie et l’Irak. Qu’est-ce qui pourrait contrecarrer ses plans ? Une intervention militaire américaine ? Un conflit ouvert avec les groupes djihadistes syriens rivaux ? Un soulèvement des populations vivant sur les territoires conquis par l’EIIL et sur lesquelles les djihadistes imposent une version ultra-rigoriste de la Charia ?
 

Richard Barrett : Al-Baghdadi ne reconnaît effectivement pas la frontière entre la Syrie et l’Irak, qu’il considère comme une division administrative, legs du passé colonial – ce qu’elle est indéniablement [La frontière est issue des accords secrets négociés en 1916 entre l’officier britannique Sir Mark Sykes et le diplomate français François-Georges Picot, ndlr]. Son projet de fonder un Etat islamique pourrait être contrarié à la fois par l’opposition des peuples syrien et irakien et par les gouvernements de ces deux pays. C’est la combinaison de ces deux résistances qui, je le crois, pourrait détruire l’EIIL.

Je doute par contre que d’autres groupes rebelles combattant en Syrie puissent déloger l’EIIL de ses bastions. Cela leur coûterait trop cher en hommes et en équipements ; un prix trop lourd à payer alors même que leur principal ennemi, Bachar al-Assad, est toujours au pouvoir à Damas. Il y a de fortes chances qu’ils se contentent d’empêcher toute nouvelle progression de l’EIIL sur leur territoire ; leur réaction face à l’EIIL dépend donc en fin de compte de l’action de celui-ci.

Un mouvement populaire contre l’EIIL devra être coordonné et non pas surgir de manière spontanée. Car une force désorganisée ne pourra venir à bout des djihadistes. Si l’EIIL est attaqué en Irak ou en Syrie, un soulèvement populaire pourrait réussir à repousser les djihadistes affaiblis et distraits hors des villes conquises par eux – le problème, par la suite, étant bien sûr de parvenir à les empêcher de revenir.

Il est improbable que le gouvernement syrien de Bachar al-Assad attaque l’EIIL, à moins que celui-ci ne cible des positions gouvernementales majeures.

En Irak, l’EIIL pourrait être battu par l’armée irakienne, si celle-ci se réorganise et se regroupe, ou par ses alliés temporaires, qui proviennent de l’ancien parti Baas [de Saddam Hussein, ndlr] ou des milices tribales, si ceux-ci décident de se tourner contre lui. Une attaque contre l’EIIL recueillerait certainement un soutien populaire si elle est organisée rapidement.

Il est peu probable que l’EIIL puisse être détruit complètement ; il devrait garder le contrôle de larges portions de territoire le long de la frontière syrienne et de villes comme Fallouja. Pour détruire complètement l’EIIL, il faudrait que la Syrie et l’Irak mènent une opération conjointe.

Une invasion militaire américaine pourrait permettre de disperser l’EIIL, mais ne lui porterait pas un coup fatal, et risquerait de susciter encore plus de vocations et donc de gonfler ses rangs.

JOL Press : L’autre objectif capital de Baghdadi est de contenir « l’expansionnisme iranien », « l’impérialisme safavide ». Les ambitions du leader djihadiste vont-elles au-delà de l’établissement d’un Etat islamique en Syrie et en Irak ?
 

Richard Barrett : Al Baghdadi aspire à créer un Etat islamique qui inclurait la plus grande partie de la Syrie et de l’Irak d’abord, la Jordanie et Israël à l’ouest et le Koweït à l’est ensuite. Enfin, il espère étendre plus tard cet Etat à d’autres pays musulmans, Iran compris.

Al Baghdadi est viscéralement opposé au chiisme, et considère qu’Iran et chiisme, c’est la même chose. Son plan consiste donc autant à éradiquer la présence iranienne (chiite) en Irak qu’à détruire le chiisme. Il considère ces deux objectifs comme des pas, des étapes complémentaires sur le chemin de son projet.

JOL Press : Après l’invasion américaine, Baghdadi, qui avait pris les armes, fut arrêté par les Américains en 2005 et enfermé dans la prison de Bucca, en Irak. Au moment de sa libération, en 2009, il aurait salué le personnel pénitentiaire par un « Les gars, on se revoit à New York ». Le groupe de Baghdadi, souvent jugé moins anti-américaniste qu’Al-Qaeda, pourrait-il en réalité avoir le projet de frapper l’Occident ?
 

Richard Barrett : Baghdadi partage la même vision du monde qu’Al-Qaeda et considère les Etats-Unis comme son ennemi. Reste que ses objectifs immédiats sont l’Irak et la Syrie. Quand il est relâché de Bucca, en 2009, il est alors encore un membre d’Al-Qaeda [L’EIIL est l’ancienne branche d’Al-Qaeda en Irak, entrée en dissidence en avril 2013 sous l’impulsion de Baghdadi, ndlr] et les Américains contrôlent la majeure partie de l’Irak : à ce moment, il pense davantage à frapper l’Occident qu’il ne le songe maintenant.

Pour le moment, il a les mains liées en Irak, et ne peut planifier une attaque sur New York, à moins que les Etats-Unis deviennent partie prenante directe au conflit en Irak en envahissant de nouveau le pays.

Il se peut toutefois qu’il donne son accord à d’autres membres de l’EIIL désireux de frapper l’Amérique, mais il soupèsera alors minutieusement les dividendes qu’il peut en escompter par rapport aux risques de rétorsions.

 

 

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