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«L’Arabie saoudite est obnubilée par l’affaiblissement du Hamas»

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Convergence dintérêts
 

JOL Press : Depuis le début de l’opération menée par Israël contre Gaza, on évoque le soutien de l’Arabie saoudite à l’État hébreu. Qu’en est-il réellement ?

Karim Sader : Plutôt que de parler de soutien, il faut parler de convergence d’intérêts entre l’action menée par Israël contre la bande de Gaza et l’agenda politique saoudien. Cette convergence est simple : elle se fonde sur la volonté d’Israël d’affaiblir au maximum le Hamas, émanation des Frères musulmans, qui sont l’ennemi juré des monarchies conservatrices du Golfe (à l’exception du Qatar).

Les récentes tensions entre le Qatar et ses voisins, Arabie saoudite en tête, étaient d’ailleurs liées au soutien qu’apportait le petit émirat à la confrérie des Frères musulmans. Ces derniers, considérés comme la seule alternative crédible d’islam politique au wahhabisme saoudien, sont ainsi dans la ligne de mire de l’Arabie saoudite.

Aujourd’hui, les frappes israéliennes sur Gaza font donc l’affaire de la monarchie saoudienne. Bien sûr, cette position doit se jouer avec une certaine subtilité, car il est hors de question, pour l’Arabie saoudite, de montrer ou d’afficher au grand jour une quelconque connivence avec l’État hébreu. L’Arabie saoudite soutient par ailleurs traditionnellement l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas.
 

LIran tire profit
 

JOL Press : Quelles conséquences cette stratégie adoptée par l’Arabie saoudite pourrait-elle avoir ?
 

Karim Sader : Les Saoudiens sont obnubilés par le fait de voir les Frères musulmans et le Hamas affaiblis. Cela a commencé en Égypte, lorsqu’ils ont soutenu le coup d’État du maréchal al-Sissi pour mettre fin à la courte expérience politique des Frères musulmans à la tête de l’Égypte. Avec les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite s’était rapidement substituée à l’aide financière qu’apportaient jusque-là les Qataris aux Frères musulmans, en soutenant l’armée égyptienne.

Aujourd’hui, la monarchie saoudienne fait preuve d’un silence complice à l’égard de la campagne israélienne menée contre le Hamas. Mais cette stratégie ne sera pas forcément payante. Il faut d’abord savoir qu’il y a toujours eu un fossé immense entre une « rue arabe » très sensible au sort des Palestiniens – les rues européennes et américaines y deviennent aussi sensibles – et des dirigeants arabes totalement silencieux, impuissants et sans volonté visible de faire quoi que ce soit, ni politiquement, ni militairement, ni diplomatiquement.

Ce fossé-là peut accentuer la crise de légitimité des régimes arabes qui s’est déjà fait ressentir durant les révolutions arabes et entraîner l’hostilité de leur population. C’est un risque de retour de bâton  que l’Arabie saoudite doit prendre en compte.

Le deuxième facteur de risque qu’elle doit prendre en considération, est lié au rival iranien risquant de tirer profit de cette crise. L’Iran recouvre en effet cette fameuse posture pro-palestinienne, qui fait son succès auprès de la « rue arabe ». Cette posture de l’Etat « résistant » qu’endossait à une certaine période Mahmoud Ahmadinejad, dans ses discours hostiles à Israël, est susceptible de rassembler, ou du moins de capter une frange de la rue arabe exaspérée par la paralysie de leurs propres dirigeants.

JOL Press : Quel serait l’objectif défendu par Israël et l’Arabie saoudite derrière l’affaiblissement du Hamas ?
 

Karim Sader : Les Saoudiens croient, à l’instar des Israéliens, que cette offensive peut mener à l’éradication du Hamas. Mais cela semble peu défendable aujourd’hui, en tout cas uniquement par des moyens militaires.

L’objectif, derrière cette offensive, serait qu’un nouveau gouvernement émerge à Gaza, de nouvelles forces, contrôlées cette fois-ci par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, d’où l’appel de certains dirigeants israéliens à faire intervenir ces acteurs-là une fois que les opérations seront terminées, afin de faire émerger une force alternative au Hamas.

On retrouve encore une fois cette convergence d’intérêts entre Israël et les régimes arabes alliés des Etats-Unis.
 

Redistribution des cartes
 

JOL Press : Face aux prises de position pro-palestiniennes de l’Iran, du Qatar et de la Turquie, principaux soutiens du Hamas, l’Arabie saoudite pourrait-elle se trouver isolée dans la région ?
 

Karim Sader : Parler d’un bloc « Turquie-Qatar » n’est plus selon moi la bonne grille de lecture des événements. Les Frères musulmans sont quasiment défaits aujourd’hui, et ce, dans l’ensemble de la région. Le Qatar ne peut plus jouer le même rôle qu’il a joué à une époque : son jeune émir est isolé sur le plan diplomatique dans le Golfe et ne peut plus se mettre à dos ses voisins pour parier, en tout cas publiquement, sur une carte aujourd’hui quasiment désuète. La Turquie a, de son côté, beaucoup de difficultés à régler sur le plan intérieur.

On pouvait encore parler du tandem « Turquie-Qatar » pendant le Printemps arabe, du fait de leur volonté de propager le modèle des Frères musulmans, qui a réussi à s’imposer par le biais des urnes mais dont l’expérience a tourné court.

La seule crainte que l’Arabie saoudite peut avoir aujourd’hui est que l’Iran engrange en effet un certain succès en termes d’image. Car chacun des pays va se servir du sort tragique des Palestiniens pour marquer des points : quand la Turquie, par exemple, s’affiche aux avant-postes de la cause palestinienne, il y a évidemment de l’empathie, mais c’est aussi un moyen de montrer au monde sunnite que c’est la puissance qui hausse le plus le ton contre Israël.

JOL Press : L’Arabie saoudite pourrait-elle jouer le rôle de médiateur dans ce conflit ?
 

Karim Sader : Non elle ne peut pas être médiatrice, puisqu’elle est partie prenante dans ce conflit où son ennemi juré est en train de se faire bombarder. Israël voudrait néanmoins en faire un médiateur, pour que l’Arabie saoudite appuie un mouvement alternatif au Hamas, principalement le Fatah de Mahmoud Abbas, pâle héritier de Yasser Arafat. C’est pour cela que les Israéliens ont cité l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis afin qu’ils jouent un rôle dans l’après-conflit.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Karim Sader est politologue et conseille des groupes industriels européens présents dans le Golfe et au Moyen-Orient.

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