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«En Irak et en Syrie, la France suit la stratégie militaire américaine»

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JOL Press : La France a déjà livré des armes en Irak ces dernières semaines. Lundi, elle accueille la conférence internationale sur la sécurité de l’Irak. Quelles vont être ses prochaines actions dans le pays ?
 

Myriam Benraad : Il est question de continuer à livrer des armements, autant que faire se peut puisque la France dispose en réalité de moyens limités. L’idée, pour Paris, c’est de se ranger du côté d’une intervention de longue durée, telle qu’elle été annoncée par Barack Obama. Elle pourrait également mener des frappes aériennes si nécessaire, et dans le cadre de la légalité, comme l’a précisé l’Élysée.

Au-delà, il y a peut-être l’idée d’envoyer des forces spéciales au sol, mais ce n’est pas du tout envisagé pour le moment. Ce serait vraiment en dernier recours. Pour l’instant, la France apporte plutôt un appui logistique à l’intervention américaine. Par ailleurs, sur le plan politique, le fait que François Hollande effectue une visite en Irak le 12 septembre, juste avant la conférence internationale du 15, est un signal politique fort envoyé aux Irakiens pour leur signifier le soutien français.

JOL Press : Les États-Unis semblent prêts à agir aussi en Syrie contre l’État islamique. En sera-t-il de même pour la France ?
 

Myriam Benraad : La France est celle qui a appelé, en août 2013, à intervenir en Syrie, moins contre l’État islamique que contre le régime d’al-Assad. Cette option est soutenue par les Français qui considèrent qu’il n’y a pas de solution à la crise irakienne sans une solution en Syrie, et qui considèrent que la lutte contre les djihadistes doit aller de pair avec une lutte contre le régime syrien.

Elle considère en effet qu’il faut un changement de régime à Damas pour permettre non seulement une transition politique, mais aussi la mise en échec de l’État islamique. C’est la perspective française et on peut voir qu’Obama, dans des termes peut-être différents, se range de ce côté en axant désormais sa stratégie sur le principe de frapper les positions de lEI en Syrie.

JOL Press : En Irak, la France peut compter sur le gouvernement irakien pour mener cette action. En Syrie, c’est différent. Sur qui la France pourrait-elle s’appuyer pour lutter contre l’EI en Syrie ?
 

Myriam Benraad : En effet, la France ne s’appuiera pas sur Bachar al-Assad. L’idée, c’est de renforcer l’opposition syrienne dite « modérée », qui est en réalité aujourd’hui assez mince, a été mise en échec et est lourdement affaiblie, à la fois par la reprise en main du régime syrien et par les conquêtes djihadistes, dont celles de l’EI.

La France souhaite conjurer la reculade d’Obama en 2013 en encourageant l’entraînement et le renforcement de ce qui reste de l’opposition modérée. C’est d’ailleurs tout le sens de la mission d’entraînement que l’Arabie saoudite va assurer aux rebelles syriens sous supervision américaine.

JOL Press : L’Arabie saoudite devient donc un partenaire de taille pour la France et les États-Unis ?
 

Myriam Benraad : La France comme les États-Unis veulent favoriser l’implication des puissances régionales dans cette crise, et notamment l’Arabie saoudite qui devrait avoir un rôle non plus d’appui implicite aux groupes djihadistes, mais d’allié stratégique des Occidentaux contre ces groupes qui se réclament d’un certain islam rigoriste qui vient précisément du royaume saoudien, il faut le rappeler. Il y a donc une volonté de réengager l’Arabie saoudite de manière plus positive contre l’État islamique et ses ramifications. C’est aussi le sens de la récente visite saoudienne en France.

JOL Press : Certains hauts gradés français rappellent cependant qu’il ne faut pas oublier les leçons de la Libye, et envisager « l’après État islamique ». Les puissances occidentales ont-elles un projet politique pour l’Irak ?
 

Myriam Benraad : Non, l’idée c’est de laisser la main libre aux Irakiens pour décider de leur sort. Certes, il y a eu des pressions politiques de la part de Barack Obama en vue d’un nouveau gouvernement et de l’éviction de Nouri al-Maliki [lex-Premier ministre irakien, ndlr], mais nous ne sommes pas du tout dans un contexte d’ingérence ou de « regime change » comme en 2003, où les États-Unis entendaient opérer un changement de régime. Là, on vient combattre une organisation transnationale et transfrontalière, avec en arrière-fond un appui au processus politique, mais ce n’est qu’un appui, et non une ingérence.

Néanmoins, là où le bât blesse, c’est en Syrie. Ne pas coopérer avec Bachar al-Assad est une chose, mais ignorer la présence du président syrien en est une autre. La réelle question, aujourd’hui, c’est de savoir si une intervention contre l’État islamique en Syrie peut, par ricochet, conduire à un changement de régime. Car quand la France parle de soutenir l’opposition modérée, c’est aussi en vue, même implicitement, de se débarrasser de Bachar al-Assad qui n’est pas considéré comme une alternative à l’État islamique.

Les frappes en Syrie iront-elles au-delà de l’État islamique pour amorcer une transition politique ? Nous n’y sommes pas encore. Mais la stratégie des Occidentaux d’ignorer la présence d’Assad pourrait être une stratégie de changement de régime qui ne dit pas son nom.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Myriam Benraad est politologue, spécialiste de l’Irak. Elle est chercheuse au CERI (Centre d’études et de recherches internationales) de Sciences Po et à l’IREMAM (Institut de Recherches et d’Etudes sur le Monde Arabe et Musulman). Elle est, depuis plusieurs années, experte et consultante sur la problématique irakienne et le monde arabe auprès de différentes agences et organisations internationales, et pour de nombreux médias français et internationaux.

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