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État islamique: la menace djihadiste touche aussi la Russie

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(Crédit photo: Oleg Zabielin / Shutterstock.com)

JOL Press : La Russie est le premier pays musulman d’Europe. Où se trouvent principalement les communautés musulmanes en Russie, et quels sont les principaux peuples musulmans russes ?
 

Xavier Le Torrivellec : La principale région musulmane de Russie, en termes démographiques, même si on en parle peu, est la région Volga-Oural, envahie par les Tatars et les Mongols au XIIIème siècle, qui se sont installés dans cette région. A part les Tatars, il existe également une autre communauté musulmane, les Bachkirs. Cette région et ses différentes républiques – Oudmourtie, Tchouvachie, Mordovie, oblasts russes… – sont le cœur de l’islam de Russie.

L’autre grande région musulmane russe, que l’on évoque plus souvent dans les médias à cause de l’instabilité qui y règne, est la région du Caucase, avec toutes ses républiques, dont la Tchétchénie. La présence musulmane y est forte, et la région soulève d’importantes problématiques autour de l’islam radical, de la lutte entre le soufisme et les mouvements wahhabites, au Daguestan notamment.

Ailleurs, il y a une présence de musulmans autochtones un peu partout en Russie, notamment en Sibérie et dans les grandes villes comme Moscou. Il faut ajouter à cela – et c’est une évolution récente – l’arrivée de « nouveaux musulmans », c’est-à-dire des migrants venus pour la plupart d’Asie centrale, qui viennent travailler en Russie et s’installent surtout dans les grandes villes.

JOL Press : Des djihadistes de l’Etat islamique en Syrie ont récemment diffusé une vidéo dans laquelle ils mettent en garde Vladimir Poutine contre des actes terroristes et leur possible arrivée dans le Caucase. Les autorités russes doivent-elles prendre ce genre de menaces au sérieux ?
 

Xavier Le Torrivellec : La Russie est habituée à ce genre de menaces, régulièrement adressées par les groupes extrémistes du Caucase. La menace et les tensions sont permanentes, et les violences sont quotidiennes au Daguestan. L’expansion des djihadistes de l’Etat islamique en Irak et en Syrie pose néanmoins un problème pour la Russie, qui a d’ailleurs appelé très tôt à les combattre. Rappelons que la situation en Syrie a provoqué une tension entre la Russie, qui soutient le président Bachar al-Assad, et les Occidentaux, qui soutiennent l’opposition au président syrien.

Dès le départ, la Russie a pris position contre les courants sunnites radicaux présents au sein de l’opposition au pouvoir syrien. C’était une question vitale pour la Russie. Avec 20 millions de musulmans dans son pays, cette problématique est au cœur de la politique étrangère russe. La Russie craint en effet la diffusion, vers le nord, des courants sunnites radicaux, notamment en provenance du Golfe, qui se répandent maintenant en Syrie et en Irak.

C’est pour cela que l’alliance avec l’Iran et la Syrie est stratégique pour Moscou : il y avait un arc chiite entre Damas et Téhéran qui protégeait le Caucase et la Russie de l’influence sunnite radicale venue des pays du Golfe. Avec l’installation de cet Etat islamique en Syrie et en Irak, cet arc est fragilisé et la menace est évidemment très forte sur la Russie.

JOL Press : Les groupuscules islamistes présents en Russie ont-ils les mêmes objectifs que l’Etat islamique, notamment en termes idéologiques ?
 

Xavier Le Torrivellec : En termes de positionnement idéologique anti-occidental, les recoupements sont évidents et les similitudes sont fortes. Les groupuscules sunnites de tendance radicale ont tous la volonté de revenir aux textes sacrés et condamnent toutes les traditions et arrangements qui ont été adoptés au cours de l’Histoire. Ils souhaitent le retour à un islam pur.

Dans le Caucase, les groupuscules radicaux sont issus d’une influence très forte du wahhabisme des pays du Golfe : ce sont eux qui ont envoyé des enseignants dans les nouvelles medrese [écoles coraniques, ndlr] de Russie après la chute de l’Union soviétique. Il manquait également des imams dans les mosquées, et la plupart sont venus d’Egypte et des pays du Golfe.

En termes dalliances stratégiques et de contacts directs entre les leaders de l’islam radical au Caucase et ceux de Syrie et d’Irak, cela reste encore flou. Mais la menace est sérieuse, et c’est aussi pour cela que la Russie a toute sa place pour combattre le terrorisme en Syrie et en Irak.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Xavier Le Torrivellec est maître de conférence à l’université d’Etat de Voronej, chercheur associé à l’IFG, au CERCEC, au CETOBAC et à l’INALCO, spécialiste de l’islam de Russie.

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