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Lutte contre l’EI: le retour de l’Iran au centre du jeu diplomatique?

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Les grandes puissances occidentales sont incapables d’assurer la sécurité au Moyen-Orient. Ce rôle doit revenir à l’Iran et à l’Arabie Saoudite, les deux puissances régionales. (Crédit : Shutterstock)

 

JOL Press : Le secrétaire d’Etat américain s’est dit opposé à toute coopération militaire avec l’Iran dans la lutte contre l’EI, mais ouvert à la « poursuite d’une conversation diplomatique » avec Téhéran. Cet appel du pied est-il une victoire pour l’Iran ?

 

Bernard Hourcade : On prend enfin l’Iran au sérieux. Cela représente une victoire pour l’Iran… mais aussi pour les Etats-Unis.

Cette évolution est le résultat d’une négociation diplomatique qui a commencé avec le discours du Caire de Barack Obama, il y a cinq ans, pour normaliser les relations avec l’Iran. C’est une victoire américaine contre ceux qui pensent que l’Iran, c’est le Diable, que l’Iran est responsable de tous les maux au Moyen-Orient – ce que pense Israël-, que le vrai danger au Moyen-Orient, c’est l’Iran. Alors que, on le sait pourtant, le 11 Septembre a été fomenté par des Saoudiens et des sunnites, de la même manière qu’on sait que l’EI est également soutenu par l’Arabie Saoudite dans ses fondements.

Bref, c’est une victoire de la diplomatie.

C’est aussi un contrat gagnant-gagnant. Le fait que l’Iran soit enfin pris au sérieux, c’est pour l’Occident, France comprise – qui ne voulait pas que l’Iran participe à la conférence sur la Syrie il y a quelques mois -, la preuve qu’on revient à une politique rationnelle. C’est une victoire de la raison des deux côtés.

L’Iran va bien évidemment tirer parti du nouvel état d’esprit, mais aussi les Etats-Unis et l’ensemble des pays concernés. Car on va vers une stabilisation de la région, qui se trouvait ravagée par un conflit Arabie-Saoudite/Iran – qui se manifestait en Syrie, à travers l’émergence de l’EI, au Yémen, dans le sud-Liban…

Il y avait une instabilité générale dans le Moyen-Orient parce que l’Iran était hors du jeu. Maintenant que l’Iran rentre dans le jeu, on va enfin pouvoir discuter des très graves problèmes qui se posent. C’est une victoire de la raison.

JOL Press : Dimanche 21 septembre, à New York, les ministres des Affaires étrangères iranien et saoudien ont eu de longs entretiens, qualifiés de part et d’autre de fructueux. Dans quelle mesure assiste-t-on à un rapprochement historique entre le royaume wahhabite et la république islamique ? Comment cela peut-il profiter à Téhéran ?

 

Bernard Hourcade : Cet événement est historique, effectivement. Depuis l’arrivée au pouvoir de Hassan Rohani, il y a un peu plus d’un an, la priorité de Téhéran était de normaliser les relations avec l’Arabie Saoudite. Rohani n’a pas réussi à le faire. Le blocage venait de l’Arabie Saoudite.

Quand la France a accepté il y a quelques jours que l’Iran participe à la conférence internationale sur l’Irak, le ministre saoudien de la Défense est venu à Paris huit jours plus tard… et a fait changer la France d’avis, excluant l’Iran de la conférence.

Aujourd’hui les choses ont évolué. L’Arabie Saoudite, enfin, revient dans la discussion avec des idées un peu plus rationnelles et accepte de discuter avec l’Iran.

Ces deux grandes puissances émergentes, l’Iran et l’Arabie Saoudite, sont, elles, sur le terrain, ce n’est pas la France avec quelques bombardements ou les Etats-Unis, avec les précédents échecs en Irak et en Afghanistan, qui peuvent stabiliser la région. Seules des puissances régionales sur le terrain peuvent faire quelque chose.

La rencontre des deux ministres des Affaires étrangères à New York dimanche dernier est effectivement un point de départ historique – si du moins il y a un appui international dynamique -, afin que les deux frères ennemis, les deux « gendarmes » du Golfe contribuent maintenant, malgré leurs rivalités et leurs identités différentes, à la stabilité de la région.

L’Iran, en sortant de 35 ans d’ostracisme, de mise à l’écart de tout, tirera profit, bien sûr, de cette évolution, à condition toutefois que les pays occidentaux aillent jusqu’au bout de leur raisonnement, c’est-à-dire qu’ils contribuent à résoudre le problème du nucléaire iranien. Si le problème du nucléaire n’est pas résolu, rien ne le sera.

JOL Press : Dans le dossier du nucléaire iranien, Washington envisagerait de proposer un nouveau plan qui mettrait l’accent sur ​​la suppression des canalisations reliant les centrifugeuses. L’Iran sortirait-il renforcé des négociations ?

 

Bernard Hourcade : Le 24 novembre dernier, il y a eu un « cessez-le-feu » sur le nucléaire iranien. Un accord a été trouvé pour arrêter de faire la guerre sur ces questions là. Depuis lors, les techniciens ont travaillé d’arrache-pied pour trouver un accord technique. Ce qui manquait maintenant, ce n’était donc pas une solution technique, mais accord politique. L’émergence de l’EI et du drame syro-irakien a permis qu’on revienne à la raison.

Le « coup de pouce » politique qui fera qu’un accord pourra être signé vient d’être donné maintenant.

Il faut se souvenir que Rohani était négociateur lors de l’accord trouvé en 2003, lequel avait permis à l’Iran d’accepter le Protocole additionnel, qui permettait un contrôle total des activités iraniennes et empêchait toute arme nucléaire d’être fabriquée en Iran. Rohani sera à New York lors de la prochaine phase des négociations ; on peut donc imaginer qu’une décision historique soit prise pour régler enfin le problème technique du nucléaire et permettre à l’Iran et à l’Arabie Saoudite – les deux puissances régionales – de pouvoir mettre fin à leur guerre froide et trouver un moyen de cogérer la sécurité régionale.

L’Iran constate et ne cesse de le dire : Ben Laden n’était pas un Iranien, ni un chiite ; les responsables de l’EI ne sont pas des Iraniens chiites. C’est à chaque fois l’Arabie Saoudite qui est derrière. Le seul pays qui lutte contre le terrorisme islamique, c’est nous, ne cesse de répéter l’Iran. Donc, de voir, qu’enfin, les grandes puissances reconnaissent que l’Iran est un partenaire, avec ses défauts et ses qualités, mais un partenaire international normal, c’est effectivement une grande satisfaction pour l’Iran.

Pas seulement pour la République islamique d’ailleurs ; pour l’ensemble des Iraniens en réalité. La bourgeoisie iranienne pro-occidentalisée, qui est largement touchée par les sanctions internationales, qui en est la plus grande victime, sera en effet parfaitement satisfaite de cette évolution.

De même que les leaders de la République islamique : il y a un consensus national à Téhéran pour souhaiter le retour de l’Iran sur la scène internationale.

Le retour auquel on assiste est un retour « normal », ce n’est pas une victoire. C’est simplement un retour à la normale. 

JOL Press : Quelle place Téhéran a-t-il vocation à occuper dans la région à l’avenir et de quel poids pèsera-t-il sur la scène internationale ?

 

Bernard Hourcade : Ce qu’il faut imaginer pour l’avenir, ce n’est pas un Iran fort qui va dominer la région, ou une Arabie Saoudite qui va dominer la région, c’est un équilibre entre les deux.

Mais cela est beaucoup plus difficile que d’imaginer une domination chiito-iranienne ou sunnito-arabe !

Les grandes puissances occidentales sont incapables d’assurer la sécurité régionale. Il y a des pouvoirs émergents qui existent maintenant, on n’est plus en 1950. L’Iran et l’Arabie Saoudite doivent jouer leur rôle sur le terrain en matière économique, stratégique, militaire, de sécurité, dans tous les domaines.

 

Propos recueillis par Coralie Muller pour JOL Press
 
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Bernard Hourcade est directeur de recherche émérite au CNRS et spécialiste de l’Iran. Il a dirigé l’Institut français de recherche en Iran (1978-1993) et l’équipe de recherche « Monde iranien » (1992-2003). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont Géopolitique de l’Iran, Editions Armand Colin, 2010.
 
 
 
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