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Abandon des kurdes : une injustice lourde de conséquences

Lors d’un appel avec le Président turc, Recep Tayyip Erdogan, la semaine dernière, Donald Trump a annoncé le retrait de quelques 1000 soldats en faction au nord de la Syrie. La décision du dirigeant américain a été prise sans prévenir son ni son état-major ni sa diplomatie, et pourtant ses conséquences sont sismiques : ce petit contingent faisait tampon entre les kurdes et les turcs, ennemis héréditaires. La réaction côté turc ne s’est pas fait attendre : Ankara a immédiatement lancé une incursion dans le nord-est de la Syrie contre la milice kurde des Unités de protection du peuple.

Cette opération militaire, baptisée « Source de paix », a déjà provoqué le départ dizaines de milliers de kurdes, fuyant les bombardements à l’aveugle de l’armée turque – des journalistes occidentaux ont également accidentellement été pris pour cible. Le presse sur place parle déjà d’expulsion de masse – avec une stratégie de ciblage des centre urbains. La méthode rappelle l’attaque de la ville syrienne d’Afrin en mars 2018, qui avait permis une confiscation des biens des kurdes comme le rapportait Amnesty international. L’objectif étant ici de les remplacer par les quelques 3,5 millions de réfugiés syriens présents en Turquie.

« Recep Tayyip Erdogan souhaite contrôler la région à l’aide d’une zone tampon à sa frontière et soulager la Turquie des deux millions de réfugiés syriens, qui sont pour la plupart arabes. Il s’agit d’éliminer les Kurdes et de les remplacer par des arabes qui seront redevables à Erdogan. Ça n’est rien de moins que du nettoyage ethnique », estime ainsi le chroniqueur international Gauthier Rybinski. Une opération qui pourrait fracturer le territoire un temps pressenti pour venir un nouveau Kurdistan au lendemain de la guerre contre Daech – il regroupe le sud-est de la Turquie et une partie de l’Iran.

Des conséquences importantes pour l’occident

Au-delà de la tragédie kurde, cette opération aura des conséquences importantes en Europe.  Déjà, il y a la question des douze mille (10 mille syriens, 2 mille étrangers, dont des étrangers) de djihadistes retenus prisonniers dans les prisons kurdes, qui risquent de se retrouver dans la nature. Si ces derniers sont libérés, le risque de représailles pour les pays de la coalition qui a permis de défaire Daech est réel – et l’Europe est de fait plus accessible que les Etats-Unis. Mais plus largement, il s’agit d’un abandon qui risque bien de fragiliser la crédibilité déjà entamée des occidentaux dans la région.

Plus de 11 000 kurdes sont morts en menant la guerre de terrain qui a permis de défaire Daech. Ils se sentent aujourd’hui justement abandonnés. « Les Kurdes ne nous ont pas soutenus lors de la seconde guerre mondiale » justifie Trump, hors de propos. Si l’invasion a déclenché un tollé international, la réponse des alliés européens, si ferme soit-elle, n’est pas beaucoup plus glorieuse. L’Allemagne et la France ont choisi de mettre en place un embargos d’armes « susceptibles d’être utilisées » par la Turquie dans cette offensive.

« Depuis que nous avons lancé notre opération, nous faisons face à des menaces de sanctions économiques ou d’embargos. Ceux qui pensent pouvoir nous contraindre à reculer avec ces menaces se trompent » a raillé Erdogan. Il refuse toute tentative de médiation. Afin d’éviter toute représailles de Bruxelles, ce dernier menace d’ouvrir les vannes et de « déverser » sur l’Europe les « 3,6 millions de réfugiés » qui se trouvent actuellement en Turquie. Un moyen de chantage efficace au vu de la réponse de l’UE, où on voit encore les traces profondes laissées par la crise migratoire.

Un échec stratégique total

Faute de soutien occidental, dimanche 13 octobre, les force de défense kurdes ont conclu un accord avec le régime d’Assad pour obtenir le déploiement de l’armée syrienne à leurs côtés. Seule une force militaire de soutien terrestre est susceptible de s’opposer à l’avancée rapide des troupes turques dans la région. « Nous savons que nous devrons faire des compromis douloureux », mais « entre les compromis et le génocide de notre peuple, nous choisirons la vie » expliquait ce matin le haut commandant des FDS Mazloum Abdi.

Une déclaration qui souligne cruellement l’inefficacité des condamnations et initiatives onusiennes portées par l’Union européenne et la France. Elle met en lumière l’absence de ligne politique européenne – et plus largement occidentale – dans la région. Si Trump houspillé par ses équipes diplomatiques, son état-major et jusqu’à dans son propre camp politique pour son abandon. Pour autant, il ne semble être intéressé que par des questions de politique intérieure. Les européens paieront également leur manque de vision et de courage.


Washington, Bruxelles, Londres – présente sur le terrain mais totalement obnubilée par le Brexit – et l’OTAN risquent une perte totale d’influence dans la région. Laissé seul face à son ennemi héréditaire, le plus proche allié des occidentaux dans la région semble en passe de prendre le parti de Damas de et Moscou. Si la tendance se consacrait, elle signifierait l’échec stratégique total de l’occident au proche orient.

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