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Crise migratoire : une faute européenne

La reprise de l’offensive du régime de Bachar el-Assad appuyé par ses alliés russes, iraniens et du Hezbollah libanais a provoqué des tensions extrêmement fortes avec la Turquie, qui était chargée de superviser cette région. Ankara n’est en effet pas parvenue à faire rendre les armes aux factions djihadistes qui s’y sont repliées à mesure que le conflit tournait à l’avantage du régime de Bachar el-Assad. On compte aujourd’hui environ 900 000 déplacés dans la province, dont la grande majorité fait mouvement vers la frontière syro-turque en tentant d’échapper aux bombardements des forces syriennes loyales au régime. Or, la Turquie, qui accueille déjà environs 4 millions de réfugiés veut à tout prix éviter à tout prix un nouvel arrivage massif, qui serait désastreux pour la popularité d’un Erdogan, déjà largement fragilisée. Aussi, ce dernier a fermé sa frontière, laissant les syriens à leur sort.

Dans ce contexte difficile, la Turquie et la Russie se sont accordées hier sur l’arrêt des combats à Idlib. Un cessez-le-feu qui cache la faiblesse de l’armée syrienne – il aura fallu une intervention de milices iraniennes et du Hezbollah pour stopper la contre-offensive turque. La Russie, qui épaule les syriens depuis le début de la guerre, s’est toutefois gardée de réagir lors de cet épisode. Il faut y voir une concession de Moscou : laisser les turcs se venger de la mort de trente-quatre soldats turcs, jeudi 27 février, avant de venir à la table des négociations. Cela permettait à Erdogan de sauver la face avant d’enclencher le retrait progressif des troupes turques de la province. Et si le conflit larvé n’aurait probablement pas dégénéré en guerre ouverte – Ankara est après tout encore un membre de l’Otan – le spectre d’une escalade, désastreuse pour la population civile, est désormais écarté.

Un chantage migratoire

« Bachar a gagné la guerre, désormais il faut gagner la paix » comme l’a très justement résumé Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS et spécialiste du Moyen-Orient. La question est en effet aujourd’hui : que faire de tous ces déplacés ? Car si le conflit – et les exactions du régime syrien qui l’accompagnent – est bien la principale cause des départs, il apparait de plus en plus évident que les réfugiés ne rentreront pas en Syrie. Le régime ne veut en effet pas du retour d’opposants sur son territoire, et les réfugiés refusent de revenir et à la merci d’un pouvoir qui a déjà commis les exactions les plus ignobles – et ne se gênera certainement pas pour continuer. Et si l’actualité donne des impressions de déjà-vu, c’est qu’elle rappelle furieusement 2015, lorsque l’Union européenne avait fini par signer un pacte migratoire avec la Turquie pour ce celle-ci gère seule les déplacés, moyennant financement.

La situation diffère toutefois sur un point majeure cette fois-ci : non seulement Ankara n’arrête plus les migrants qui veulent se rendre en Europe, mais la Turquie a commencé à affréter des cars afin d’envoyer les migrants présents depuis des années sur son territoire vers la Grèce. Elle a ainsi annoncé avoir déplacé quelques 150 000 personnes aux frontières de l’Europe, avec l’injonction de s’y rendre – un chantage assumé afin d’obtenir le soutien de Bruxelles pour gérer la situation. La Turquie rappelle ainsi que sur les 6 milliards d’aide convenus dans son pacte migratoire avec l’UE, seule la moitié a été versée. Mais cette fois, elle réclame également un soutien humanitaire et militaire, ainsi que la participation à des négociations avec la Russie pour désamorcer l’escalade dans la région d’Idlib.

La non-politique migratoire européenne

Cette instrumentalisation des réfugiés, si révoltante soit-elle, n’est pas une grande surprise. Les composantes de la crise se sont en effet accumulées au fil de neuf années d’une gestion totalement inique côté européen. Et ce dernier développement vient souligner à quel point la position de Bruxelles est intenable – il est illusoire de penser qu’on peut stopper les vagues de migration avant qu’elles n’atteignent le continent. En outre, cette approche ne règle rien. « Depuis la vague migratoire de 2015, l’Europe n’a jamais pu définir une politique commune. Elle est de nouveau en mode panique face à ces événements, à devoir gérer une situation qui la dépasse, et qu’elle a laissé pourrir » résumait l’analyste Pierre Haski sur France Inter. Cette crise migratoire nécessité en effet une véritable coopération solidaire avec la Turquie – c’est d’ailleurs ce que demande Erdogan avec ses méthodes de petit chef.

De même, la Grèce, directement confrontée à des arrivées massives de réfugiés, appelle à l’aide. Pour l’heure les autres européens répondent en annonçant de nouvelles mesures sécuritaires aux frontières de l’Europe, sans remettre en question la politique plus globale de délégation des contrôles à nos voisins. Pourtant, se servir de pays comme des zones tampon pour empêcher l’arrivée sur le territoire européen, accorde pouvoir immense à ces derniers. Erdogan l’a compris et il a décidé de faire monter les enchères. « A force de ne pas se vivre comme une puissance, elle est contrainte de subir les décisions des autres : c’est exactement ce qui se produit aujourd’hui avec le Président Erdogan. » conclut justement Pierre Haski. On ne saurait mieux dire.

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