La Grèce a inventé la tragédie et la philosophie.
La tragédie ? Nous n’en sommes pas très loin aujourd’hui, quand on assiste à l’effondrement financier de l’archipel hellénique, qui s’il n’est pas aidé, risque d’entraîner d’autres économies dans sa chute inéluctable.
La philosophie ? La Grèce antique a posé le principe d’une pensée universelle, mondialisation idéologique avant l’heure et créé la démocratie. Quelques siècles plus tard, les extraordinaires intuitions des philosophes grecs ne cessent de nous éclairer. Aujourd’hui, plus que jamais relisons Platon qui dans « La République » note dans sa description de la société des hommes que « les déséquilibres et les conflits apparaissent à la suite de l’instauration de la monnaie ».
Des dérives de la Finance aux dérives des États
Il n’est pas besoin de jouer les Cassandre pour affirmer que la crise grecque ne représente que les prémices d’une situation dont la gravité peut entraîner une modification fondamentale des économies des pays développés. Pourquoi ? Car elle incarne aujourd’hui, non pas un simple accident, mais la conséquence des dérives de la finance, qui ont conduit en 2008 l’ensemble de nos économies au bord du gouffre. Sans l’intervention des États, en effet, aucun sauvetage de banques n’aurait été envisageable. Et aujourd’hui sans l’aide étatique, c’est un État lui-même qui pourrait sombrer.
Le temps des nouvelles vulnérabilités
Or, le paradoxe de la situation actuelle est que si la Grèce est dans cette situation, c’est en partie parce que la Finance n’a pas hésité à s’attaquer aux États, ceux-là mêmes qui l’avaient protégée. On connaît les effets en chaîne d’un défaut de confiance et les dramatiques conséquences que la diffusion de propos alarmistes sur tel ou tel état de santé d’une entreprise peut provoquer. Il en est de même pour les États. Si certaines agences de notation par exemple s’acharnent pour discréditer un pays, celui-ci se retrouvera acculé aux mêmes effets désastreux. Le résultat ? Le monde financier risque de scier la seule branche qui garantissait son système : la toute confiance dans la pérennité étatique. Comment ne pas s’inquiéter alors, devant le risque d’une nouvelle vulnérabilité générale, face à ce nouvel effet pervers d’un système qui finit par agir sans raison ? Car qui volera désormais au secours des banques en cas de nouvelles difficultés ? Quel sera l’ultime recours de garantie en cas de défaillance ?
Le bal des Sophistes
Tout cela doit nous conduire à une remise en cause des modalités de fonctionnement de nos sociétés. Face à cette succession de crises, nous assistons à un phénomène très particulier, que nous pourrions appeler « le bal des Sophistes ». Les sophistes étaient ces penseurs tant décriés par Socrate qui aimaient à construire des démonstrations jusqu’à l’absurde, uniquement parce qu’elles étaient fondées sur de belles logiques. Or, les experts financiers ne seraient-ils pas les sophistes d’aujourd’hui ? Ce sont eux qui n’ont rien prévu en 2008, tout en ayant toujours démontré que les économies s’autoréguleraient sans problème. Les mêmes qui, après 2008, totalement déstabilisés pour ne pas dire décrédibilisés, feignent désormais d’être capables d’appréhender les tenants et les aboutissants de tous les soubresauts du marché financier. Tels des sycophantes avides, ils dénoncent les dérives d’un libéralisme financier dont la cupidité a été le moteur principal de tous les excès. Tout en les soutenant…
Les États, nouvelles victimes de la Finance ?
Car, pour autant, loin d’avoir tiré les enseignements de ce que nos économies ont subi au cours de ces dernières années, qui a provoqué la disparition d’un quart environ du PNB mondial, les mêmes, toujours, se lancent dans la spéculation à grande échelle, tel un Phénix qui renaît de ses cendres.
Sans limite, après avoir mis dans les rues des millions d’individus à travers la planète, la spéculation financière s’attaque maintenant aux États qui ont contribué par leur soutien à son sauvetage. Car ne nous trompons pas, la Grèce n’est que la première d’une longue liste de victimes. Les chiffres de progression de la puissance financière témoignent d’un basculement des pouvoirs qui pourrait devenir rapidement irréversible.
Regardons ces chiffres en face : aux États-Unis, le PNB a été multiplié par 3 depuis 1971, alors que dans le même temps la masse monétaire a progressé de 14 fois.
Comment ne pas parler de déséquilibre ? Face à cette nouvelle vulnérabilité, la seule arme de dissuasion massive dont disposent encore nos États est la fiscalité, pour autant que ceux-ci acceptent de s’en servir. Mais, quel autre choix ? La réforme fiscale est la seule solution au maintien durable de la paix sociale.
Faut-il changer la règle du jeu économique ?
Ne cédons pas au catastrophisme : nous surmonterons une fois de plus la crise économico-financière que nous affrontons, mais nous le ferons que si nous acceptons de changer la règle du jeu économique.
Rien ne sera plus comme avant, l’incompréhension, face à cette alliance objective entre le pouvoir et le monde de la finance, alimente l’amertume et contribue à déstabiliser les fondations de nos sociétés. Ceci est une situation de fait.
Le débat ne se limite plus donc à une simple relance de l’offre ou de la demande.
La crise a créé des situations de détresse telles que notre priorité doit se tourner vers ceux qui travaillent et ne peuvent plus vivre du fruit de ce travail.
L’urgence d’une adaptation de la fiscalité pour lutter contre les excès des inégalités
Il existe aujourd’hui une inégalité dans les sources de création de richesse. La convergence de l’évolution de la démographie de nos pays développés et d’une fiscalité très favorable a contribué au déséquilibre de la répartition des fruits de notre croissance dans les cinquante dernières années.
Priorité a été ainsi donnée aux revenus non gagnés, générés par la seule détention d’une valeur d’actif de quelque nature que ce soit. « La rente » au détriment des revenus gagnés, dont l’origine réside dans la valeur ajoutée, qui en est le fait générateur.
Société libre ou libéralisme ?
Un homme avait perçu les risques que pourraient entraîner les dérives de ce principe : Maurice Allais, Prix Nobel d’économie. Dans son ouvrage écrit en 1977, L’impôt sur le capital et la réforme monétaire, il stigmatisait les erreurs qui prévalaient à la définition des politiques fiscales qui se sont succédé depuis le milieu du vingtième siècle, et la charge sans cesse croissante qu’elles faisaient peser sur les forces vives de nos sociétés.
Force est de constater que notre économie de reconstruction a fait la part belle à la création de richesses en général et au capital en particulier. Comme en témoigne toute notre fiscalité, qui depuis sa conception et au cours de toute son évolution, a toujours favorisé les revenus du capital au détriment des revenus du travail. Si bien que nous sommes arrivés à une situation paradoxale, où ceux qui ont des besoins n’ont pas de moyens et ceux qui ont des moyens n’ont plus de besoins.
Vers une revalorisation de la valeur travail
La lecture de ce remarquable ouvrage met en évidence certaines vérités qui trouvent dans les circonstances actuelles tout leur sens. Lorsque Maurice Allais nous dit qu’il ne faut pas confondre « société libre et libéralisme », il expose l’un des principes d’une doctrine que nous n’avons pas su ou voulu respecter. L’économiste nous rappelle que le fonctionnement de toute économie libérale ou collectiviste peut se caractériser par la recherche de surplus réalisable ou valeur ajoutée. Les grands équilibres se doivent de respecter ce principe fondamental que nous n’avons pas voulu appliquer, avec les conséquences que nous connaissons aujourd’hui. En améliorant la valeur travail, nous apporterons une réponse constructive à la destruction systématique de notre outil industriel.
La fiscalité au secours d’un meilleur équilibre
La crise revêt un caractère mondial, offrant ainsi une opportunité exceptionnelle de réformer en profondeur les règles de gouvernance politique et sociale.
Nous devons remettre le clocher au milieu du village en redonnant sa place à l’individu, le centre de toutes nos préoccupations. Pour cela, seule une refonte de la fiscalité des grandes puissances mondiales permettrait d’ouvrir la voie au retour de la confiance, maître mot de toute sortie de crise.