« Le capitalisme du XXe siècle est-il en train de flouer la société du XXIe siècle ? »,
« Risques globaux en 2012 : les graines de la désillusion » ou encore « Réparer le capitalisme »… Les thèmes à l’ordre du jour du Forum économique mondial 2012 en disent long sur les inquiétudes des organisateurs. Les quelque 2 600 participants –
le gratin mondial des affaires – venus en débattre à Davos, du 25 au 29 janvier, partagent-ils ce défaitisme ? La 15e enquête annuelle du cabinet d’audit PricewaterhouseCoopers fournit de précieux éléments de réponse.
[image:1,l]« Le monde est dans un état de burn-out (épuisement) total », a déclaré, fin décembre 2011, Klaus Schwab, le président-fondateur du Forum économique mondial (Word Economic Forum, WEF) de Davos. « Nous avons échoué à retenir les leçons de la crise financière de 2009. Une transformation mondiale doit avoir lieu d’urgence et cela doit commencer en rétablissant une forme de responsabilité sociale », a-t-il ajouté il y a quelques jours.
Il n’est pas le seul à se livrer à un tel diagnostic. Son pessimisme est partagé par l’élite mondiale des affaires, ces grands chefs d’entreprises internationaux, présents dans la station de sports d’hiver suisse. Comme chaque année depuis quatorze ans, le cabinet international d’audit financier PricewaterhouseCoopers (PwC) a publié, mardi 24 janvier, à la veille de l’ouverture du Forum économique mondial de Davos, son enquête d’opinion. Un baromètre annuel pour lequel 1 250 hommes d’affaires ont été interrogés dans 60 pays.
Seuls 15 % d’entre eux prédisent une amélioration de la situation internationale en 2012 – et 34 % n’entrevoient pas de changement.
Le pessimisme gagne du terrain
« Les dirigeants sont près de trois fois plus confiants dans les perspectives de leur entreprise que dans celle de la croissance de l’économie mondiale », note PwC. Près de 40 % envisagent une hausse de leur chiffre d’affaires. Ce résultat est bien inférieur au chiffre de 2011 (48 %) et cache de nombreuses disparités régionales.
Sans surprise, c’est en Europe que le pessimisme est le plus marqué. Un chef d’entreprise européen sur quatre se déclare « confiant » dans la hausse du chiffre d’affaires de son entreprise contre 40 % l’an dernier. Ailleurs, on constate des chutes de moral conséquentes. Même les pays émergents sont gagnés par le pessimisme. En Chine, seuls 51 % des entrepreneurs se déclarent aujourd’hui « confiants » pour les douze prochains mois, contre 72 % l’an dernier. En Inde, la proportion s’effondre de 88 % à 55 % en un an.
Le cycle long de ralentissement économique, responsable de tous les maux
En tête des inquiétudes : une croissance économique incertaine (pour 80 % des dirigeants interrogés), la réponse des pouvoirs publics aux déficits budgétaires et à la dette (66 %), l’instabilité des marchés financiers (64 %), la volatilité des taux de change (58 %) et l’excès de réglementation (56 %).
En ce qui concerne les principaux freins à l’activité, 55 % citent les hausses d’impôts, 53 % le risque de pénurie de talents, 50 % l’évolution des comportements des consommateurs, 46 % le coût de l’énergie et 40 % l’incapacité à financer la croissance.
Les patrons restent plus confiants pour leurs entreprises que pour l’économie mondiale
Trois raisons expliqueraient ce paradoxe. Tout d’abord, l’effet de surprise de 2008 ne joue plus. Les chefs d’entreprise qui ont souffert de la crise financière se sont adaptés afin de pouvoir affronter une nouvelle crise que, dans leur ensemble, ils estimaient prévisible. Les entreprises apparaissent mieux à même de faire face à la volatilité des marchés. Leurs bilans sont plus solides, la trésorerie est le plus souvent abondante et la productivité s’est améliorée. Confrontés à un environnement défavorable, les chefs d’entreprise ont été contraints à une gestion plus rigoureuse. 45 % des dirigeants interrogés affirment avoir déjà pris des mesures pour surmonter la crise de la dette et 70 % prévoient d’adapter à nouveau leur stratégie dans les douze mois à venir.
Le mirage chinois continue à opérer
Plutôt confiants pour leurs affaires, les chefs d’entreprises comptent avant tout sur le dynamisme des pays émergents. Mais pas seulement. Le mirage chinois continue d’opérer puisque 30 % des chefs d’entreprise comptent sur ce pays pour se développer. Les États-Unis se placent en seconde position avec 22 % des sondés pariant sur ce pays pour accroître leur activité. Viennent ensuite le Brésil (15 %), l’Inde (14 %) et l’Allemagne (12 %). La France n’arrive qu’en huitième position (5 %).
Une guerre des talents
Les chefs d’entreprise ont un réel souci : le recrutement des talents. 43 % des patrons estiment qu’il est devenu plus difficile désormais de recruter dans leur secteur. On assiste bel et bien à une guerre des talents sans merci. En Chine, par exemple, le turnover des équipes est considérable. Ce qui aboutit dans certains cas à des hausses de salaire pouvant aller jusqu’à 30 %. Selon ce sondage, un quart des chefs d’entreprise a dû abandonner une opportunité ou reporter une initiative stratégique par manque de talents.
L’ébauche d’une démondialisation ?
Le développement des entreprises repose d’abord sur les gains de parts de marché et sur le développement de nouveaux produits et services. Dans ce sondage, les patrons évoquent la « délocalisation locale », curieux concept qui désigne la création d’une activité dans un pays donné avec des produits spécifiques destinés à ce marché local et fabriqués par une main-d’œuvre locale. Il ne s’agit pas seulement d’adapter des produits existants ou de créer de nouveaux produits et services, mais de revoir leur production, leur distribution et la stratégie marketing qui les accompagnent – soit leur business model en intégralité. Comme si, dans les faits, une sorte de démondialisation était déjà en route !