Site icon La Revue Internationale

Pourquoi la Russie soutient-elle toujours Assad ?

[image:1,l] La Syrie compte vraiment ses amis sur les doigts d’une main depuis quelques temps. Ses anciens alliés tout autour de la Terre se sont tous retournés les uns après les autres contre le régime du président Bachar al-Assad au fil de ces longs mois de répression.

Une fausse note dans le concert des nations

La Turquie, qui était auparavant un des plus grands partisans du président syrien, est devenue aujourd’hui son plus grand critique. De la même manière, l’Inde s’est retournée contre le régime.

Dans ce concert des nations contre la Syrie, la Russie, depuis le début de la révolte, en mars dernier, est toujours restée aux côtés de son partenaire économique, devenant ainsi son défenseur le plus ardent. Ce soutien n’a jamais été plus officiel que lors de la visite à Damas du ministre russe des Affaires étrangères, Sergei Lavrov, mardi 7 février, pour y rencontrer les leaders syriens.

Cette visite est intervenue à peine un jour après la fermeture, par les Etats-Unis, de leur ambassade en Syrie et le rappel de leur ambassadeur, et juste deux jours après le veto de la Russie au projet de résolution de l’ONU qui aurait enclenché des sanctions économiques de la communauté internationale contre le régime syrien.

Grand diplomate de la question syrienne

« Il est clair que les efforts pour mettre fin à la violence en Syrie doivent être accompagnés d’un dialogue entre les forces politiques », déclarait Sergei Lavrov dans un communiqué à la presse russe à la suite de sa visite. « Aujourd’hui nous avons reçu cette confirmation, le président syrien se prépare à coopérer dans cette voie. »

Une telle coopération semble pourtant improbable, compte tenu des récents bombardements sur Homs des forces armées syriennes qui ont faisait plusieurs centaines de morts ces derniers jours. Alors pourquoi la Russie s’acharne-t-elle à soutenir la Syrie ? Les contrats qui unissent les deux pays autour du gaz naturel et de l’armement sont une première réponse à cette question.

La Russie protège un gros client

En mai 2010, le président Dmitri Medvedev est devenu le premier chef d’Etat russe à visiter la Syrie, afin de cimenter les liens économiques et politiques entre les deux pays. Les discussions ont alors tourné autour de l’exportation d’armes russes vers la Syrie, qui ont considérablement augmenté depuis 2008, depuis que la Russie tente de rétablir son influence au Moyen-Orient.

La Russie est désormais le principal fournisseur d’armes de la Syrie, contribuant à hauteur de 65 % au stock d’armes du pays entre 2006 et 2012, selon la base de données du SIPRI (Institut international de la recherche sur la paix de Stockholm) sur les transferts d’armes.

Depuis plusieurs années, la Russie a vendu environ 2 000 missiles antitanks pour chars d’assaut T-72, 200 missiles sol-air Igla (SA-18) et 36 systèmes antiaérien de courte à moyenne portée Pantsir-S1, selon Oxford Analytica.

Les Russes ont continué à approvisionner le pays pendant la répression, citant des obligations contractuelles. Parmi les livraisons encore attendues sont prévus 200 SA-19 supplémentaires, quelques missiles Igla, deux intercepteurs MiG-31M, huit systèmes antiaériens Buk-M2E ainsi qu’un système de missiles antitanks 9M123 Khrizantema.

Pour la Russie, ce type d’équipement est destiné à la défense du pays et non à l’attaque contre les civils.

Russie et Chine s’engagent devant l’ONU

« Nous devons envoyer un message fort à toutes les parties en présence dans ce conflit », déclarait Dmitri Medvedev en septembre dernier. « L’intérêt de la Russie réside également dans le fait que la Syrie est un pays ami avec lequel nous avons construit de nombreux liens économiques et politiques. »

Le 4 octobre dernier, la Russie ainsi que la Chine opposaient leur veto à une précédente résolution rédigée par le Conseil de sécurité de l’ONU qui aurait ouvert les portes à des sanctions et interrompu partiellement, voire complètement, les relations économiques avec la Syrie.

A la suite du dernier veto en date, le représentant de la Syrie aux Nations Unies, Bachar al-Jaafari, a remercié la Russie et la Chine pour leur soutien. « Nous exprimons notre gratitude à ces pays qui protègent la sécurité et la paix internationale […] L’histoire se souviendra de leurs honorables prises de positions. »

Le souvenir brûlant de la Libye

La Russie s’était déjà soulevée contre l’intervention de l’OTAN en Libye et cherche désormais à éviter que la même chose se reproduise en Syrie. Le pays s’était abstenu, sans pour autant opposer son veto, d’autoriser une zone d’exclusion aérienne qui, une fois acceptée, avait permis à l’OTAN de mener une action afin de renverser le gouvernement de Mouammar Kadhafi.

« La Russie a soutenu la résolution 1970 du Conseil de sécurité et s’est abstenue lors de la résolution 1973 dans le but de protéger la population libyenne et d’empêcher l’aggravation du conflit », disait Dmitri Medvedev lors de la visite en Russie du secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, en mars dernier. « C’est quelque chose qu’on ne peut pas permettre. »

Après la mort de Kadhafi, la Russie a espéré que les nouvelles autorités libyennes honoreraient les accords énergétiques existants. Cela ne s’est pas produit et, finalement, la Russie a perdu environ 4 milliards de dollars de contrats, selon des données d’Oxford Analytica.

Pour certains analystes, ces évènements ont conduit la Russie à être plus volontaire dans ses objections aux résolutions de l’ONU concernant la Syrie. « Les leaders russes vont utiliser la crise en Syrie comme une opportunité pour montrer que leur pays est encore une force qui compte au Moyen-Orient », explique Dmitri Gorenburg, analyste à la CIA et spécialiste de la Russie.

Le nouveau mouvement antirusse des Syriens

Les positions de la Russie pourraient néanmoins se retourner contre elle. Le mouvement antirusse grandit rapidement en Syrie, depuis plusieurs mois, à mesure que la Russie continue à approvisionner le régime. Et le mois dernier, le Conseil national syrien (CNS), principal groupe d’opposition, a appelé les Syriens expatriés à organiser des manifestations pacifiques devant les ambassades russes de leur pays.

Dans l’une de ses plus fortes déclarations à ce jour, le CNS a condamné les gouvernements russe et chinois pour avoir bloqué le passage de la résolution de l’ONU. « Le CNS tient les deux gouvernements pour responsables des meurtres et du génocide en Syrie, et considère ce choix irresponsable comme étant une autorisation pour le régime syrien de tuer sans être reconnu coupable. »

Ce veto a également provoqué une vague de protestation dans tout le Moyen-Orient. Un petit groupe de manifestants a pris d’assaut l’ambassade de Russie en Libye, lundi 6 février, grimpant sur le toit du bâtiment à Tripoli, détériorant les caméras de sécurité et détachant le drapeau russe.

« Si certains ont l’intention d’utiliser la force à tous prix […] nous pouvons difficilement le prévoir », déclarait Sergei Lavrov. « Mais laissons les prendre leurs propres initiatives avec leur propre conscience. Ils n’auront jamais l’autorisation du Conseil de sécurité de l’ONU. »

Global Post/Adaptation Sybille de Larocque – JOL Press

Quitter la version mobile