Site icon La Revue Internationale

Révolution syrienne : les scénarios de la suite

[image:1,l]La révolution syrienne est entrée dans sa deuxième année et, à plus de 8000, le décompte des morts ne cesse de croître. Alors que la situation sur le terrain paraît bloquée, que bombardements et manifestations se succèdent, que ni l’ONU, ni la Ligue arabe ne parviennent à imposer une solution négociée, plusieurs scénarios pourraient se dessiner dans les prochains mois. 

Le scénario à l’algérienne

En Algérie, au printemps 1991, le 1er tour des élections législatives avait placé les islamistes du Front islamiste du salut (FIS) largement en tête, avec 47% des voix. Leur victoire finale semblait assurée, mais le scrutin a été annulé et le pays s’est alors enfoncé dans la guerre civile.

S’il y a bien eu un conflit, les islamistes ont été laminés avec le soutien explicite de la France et celui, implicite, des Etats-Unis. La mort de dizaines de milliers de civils et de membres des forces de sécurité a été justifiée dans les chancelleries occidentales par la légitimité d’un régime à combattre les terroristes et les extrémistes sur son territoire, dans les frontières d’un Etat souverain.

Le régime de Bachar al-Assad pourrait compter sur la Russie et la Chine pour lui fournir une couverture similaire qui l’autoriserait à « terminer le travail ». Il espère que l’intransigeance manifestée par Moscou devant le Conseil de sécurité continuera à se traduire par un veto stratégique à toute intervention militaire étrangère/occidentale en Syrie.

Bachar al-Assad estime probablement que le soutien russe permet aux forces d’élite et à la garde républicaine syriennes d’écraser la révolution de la même manière que le soutien français aux généraux algériens a rendu possible la purge de l’opposition au début des années 1990.

Il y a 20 ans, comme aujourd’hui, les responsables occidentaux, russes et chinois feindraient d’ignorer le débat politique et moral autour des morts civils, laissés à l’état de « dommages collatéraux ».

Mais, à la différence de l’opposition algérienne en 1991-1992, le soulèvement syrien de 2011-2012 ne sera pas maté par la force. Les temps ont changé. Le Printemps arabe a balayé la région, les consciences se sont éveillées – et, dans le monde 2.0, les rapports de force ont changé. Mais, le temps et le sang coulent.

Le scénario à la libyenne

Les responsables de l’opposition syrienne espèrent, sans doute, que la pression exercée par la Ligue arabe et, en particulier, par les pays du Golfe, que les récentes déclarations de diplomates russes et chinois et la détermination croissante des pays occidentaux à peser sur leurs homologues du Conseil de sécurité des Nations unies, alors que la violence en Syrie ne cesse de croître, pourraient conduire à un consensus général de la communauté internationale en faveur d’un isolement du régime syrien.

Un nombre croissant de membres de l’opposition comptent sur le fait qu’un tel scénario puisse mener à un accord large en faveur d’une intervention militaire internationale en vertu du « droit à la protection des civils » sur le modèle libyen – et que cela comprendrait une zone d’interdiction de survol, comme en Libye au printemps 2011.

Le coût humain serait probablement élevé : si entre 25 000 et 40 000 Libyens sont morts au cours de l’intervention de l’OTAN, le nombre de victimes en Syrie seraient très probablement nettement supérieur. Il est aussi très incertain que le régime implose, en conséquence de bombardements étrangers. Par ailleurs, pour certains analystes, la destruction des capacités militaires syriennes conduirait à une remise en cause de l’équation stratégique de tout le Moyen-Orient puisque l’Iran se trouverait exposée par la perte de son principal allié : Téhéran pourrait être tentée de lui venir en aide, Israël pourrait en profiter pour attaquer l’Iran. Le risque d’escalade serait grand.

Autre risque : cela pourrait renforcer la théorie, qui circule déjà largement au sein de la rue arabe, selon laquelle il existerait une conspiration américano-israélienne contre le régime d’Assad, et avoir des répercussions à travers tout le monde arabe.

Mais, pour cela, encore faudrait que l’OTAN, un après la Libye, soit prête à – et ait les moyens de – s’engager dans un nouveau conflit. En pleine crise économique et financière.

La version « cauchemar serbe »

Le régime d’Assad mise sur le scénario algérien et l’opposition parie sur le scénario libyen, mais les puissances régionales et occidentales pourraient leur préférer la version Serbie/Kosovo.

A la fin des années 1990, pendant plus d’un an, l’opposition à Belgrade au sein du Kosovo – région autonome de Serbie à majorité albanaise considérée par les Serbes comme abritant le berceau de leur identité nationale – avait reçu des livraisons d’armes. En 1998-1999, elle a combattu contre les forces du gouvernement serbe. Lorsque la situation humanitaire et sécuritaire s’est trouvée dégradée de manière intolérable, une coalition occidentale est intervenue sans attendre une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, contre laquelle la Russie, au nom de la solidarité orthodoxe, aurait très probablement utilisé son veto de membre permanent.

S’en sont suivi 70 jours de bombardements, essentiellement américains, suivis d’une intervention directe au Kosovo de l’OTAN jusqu’à la partition de fait du pays. La coalition a estimé, à l’époque, que son intervention était « légitime même si elle n’était pas nécessairement légale ».

C’est ce qui pourrait advenir en Syrie. On observe des efforts croissants pour financer et armer l’opposition, associés à une pression diplomatique pour isoler Damas, discréditer et affaiblir le régime d’Assad.

La détérioration de la situation humanitaire – les plus de 8000 morts déjà recensés – pourrait alors être utilisée comme alibi pour une intervention du type Serbie/Kosovo ou Bosnie,avec potentiellement les mêmes conséquences durables : un nettoyage ethnique, une partition du pays.

Si on peut douter que la Syrie puisse connaitre une partition semblable à celle observée dans l’ex-Yougoslavie, les conséquences n’en seraient pas moins terribles. Un cauchemar – éventuellement interminable.

Le dernier recours pour Assad : la carte patriotique

La révolution syrienne est beaucoup plus lente que les autres révolutions arabes en raison de l’unité du régime et des divisions de l’opposition. Malgré une forte rhétorique nationaliste et laïque, longtemps une considérable source de légitimité dans un pays comme la Syrie et au-delà au Proche-Orient – de l’Egypte à l’Irak -, le régime repose sur des loyautés personnelles et confessionnelles.

Depuis plus de quarante ans, les Assad père puis fils ont veillé à ce qu’il n’y ait aucune distinction entre le chef, la famille, le clan, la minorité religieuse, le régime, l’armée et l’Etat. Ces différents niveaux de pouvoir et d’allégeance ont assuré la position de la famille et du clan Assad à la tête du pays. Mais cela a aussi justifié une terrible répression et de formidables injustices.

Contrairement à l’idée dominante, autant de sunnites que d’alaouites ont bénéficié des largesses du régime et, en réalité, de nombreux alaouites, coreligionnaires du chef, demeurent pauvres et marginalisés dans la Syrie d’Assad.

Bachar al-Assad a, dès lors, une porte de sortie : plutôt que de sacrifier son clan et son pays pour son seul pouvoir, il peut accepter de renoncer à son autorité pour sauver le pays qu’il prétend aimer et défendre. A ce jour, il semble bien qu’il ne soit pas encore prêt à ce sacrifice patriotique.   

S’il n’est pas prêt à le faire de son plein gré, les alaouites et l’armée pourraient être tentés, pour sauver au moins une partie de leur position et, surtout, l’unité du pays, de sacrifier leur chef. Bachar al-Assad ne peut ignorer comment termine les tyrans fous qui s’obstinent.

Quitter la version mobile