Les dés sont jetés. D’ici quelques heures, les Français auront voté. Et viendra alors le temps, tant béni pour tout amateur des joutes politiques, de la soirée électorale. Le temps des commentaires et des commentateurs… Un soir de premier tour, la prudence s’impose mais, d’ores et déjà – à quelques heures de l’instant fatidique -, on peut aisément imaginer l’essence, l’essentiel des analyses de ces messieurs – et quelques dames.
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Une affaire de personnes, un jeu de séduction « à la française »
Ils nous rappelleront d’abord que c’est une affaire de personnes et de personnalités que cette invention française qu’est l’élection présidentielle au suffrage direct – masculin d’abord en 1848 puis, après un empire et deux républiques, elles-mêmes vaccinées par le césarisme de l’expérience précédente, authentiquement universel, depuis 1965, en conséquence de la réforme constitutionnelle portée par le général de Gaulle en 1962.
Une invention française, éminemment française, un jeu de séduction : une affaire de destin, l’histoire d’une rencontre entre un homme – ou une femme – et la France, les Français. Droit dans les yeux, comme sur toutes ces affiches placardées dans les rues de nos villes et villages, nos 36 000 communes. En préambule, on peut parier que nos experts invoqueront, pour une part, l’irrationnel, le coup de foudre ou le dépit amoureux. Chabada-bada, chabada-bada !
Quels que soient les résultats, parions que, forcément, l’un aura été trop dur ou l’autre trop mou, qu’ils auront perdu à droite ou à gauche les points glanés au centre – ou inversement. Comme souvent dans les histoires de cœurs, l’entourage aura joué un rôle… Capulet ou Montaigu auront encouragé ou découragé la belle idylle, selon qu’ils aient tiré les leçons des échecs précédents ou misé sur d’autres alliances à d’autres échéances. Une fois épuisé ce registre sentimentalo-polémique viendra l’argument de poids : la crise !
« It’s the economy, stupid ! »
« C’est l’économie, stupide ! », la formule est de James Carville, grand stratège de la première campagne victorieuse de Bill Clinton en 1992. C’est ainsi qu’il avait alors expliqué la défaite de George Bush Sr, dans sa tentative de réélection après un mandat plutôt honorable et face à candidat charismatique mais plutôt inexpérimenté.
Ce soir, les résultats – quels qu’ils soient – pourront donc se lire au regard de la crise, cette crise sans précédent depuis la Grande dépression, les années 30. Deux rhétoriques au choix. L’une statistique : Brown, Berlusconi, Zapatero, Papandréou… La liste est longue des grands – ou moins grands – politiques tombés au champ d’honneur de la crise. Oui, depuis 24 mois en Europe, la mode est à la sortie des sortants. Pas une seule majorité sortante n’a été reconduite. Mais, la crise a le dos large et, si besoin, elle pourra aussi servir à expliquer que, devant tant de difficultés et d’incertitudes, les Français aient tourné le dos à l’aventure pour lui préférer la garantie de l’expérience et l’assurance de services déjà rendus.
Forcément, dans un sens comme dans l’autre, ils auront raison. Au pire, ce sera la faute des sondeurs et nous nous en satisferons. Pourtant, il est un élément rarement évoqué, peut-être parce qu’il est un peu compliqué. C’est une intuition qui n’explique pas tout, peut-être même rien, mais qui permet de porter un autre regard sur la campagne écoulée.
L’argutie constitutionnelle
A bien y réfléchir, cette élection présidentielle est la première du genre… Automne 2000. A l’invitation du tandem exécutif Jacques Chirac-Lionel Jospin, la France, sans se bousculer, votait et adoptait à une large majorité, le quinquennat. La durée du mandat présidentiel était alors ramenée de sept à cinq ans. Détail, diriez-vous ? Pas tant que ça… Si c’est la troisième fois, déjà, que le président élu le sera pour cinq ans, c’est la première fois qu’un président élu pour cinq ans sollicite un deuxième et dernier mandat et c’est la première fois que l’on perçoit dans leur ensemble les effets de la réforme constitutionnelle précitée.
Désormais, le président est élu pour cinq ans mais, en plus, dans la foulée de son élection, l’Assemblée nationale est renouvelée pour cinq ans aussi. Plus encore que la pratique – hyper ou omni-présidence, admirée ou décriée -, c’est ce mécano institutionnel qui a fait basculer la France d’un régime semi-présidentiel à un régime présidentiel et personnalisé encore davantage l’élection présidentielle.
L’alternance permanente
Les deux présidents français, parvenus jusque-là à être réélus – François Mitterrand et Jacques Chirac -, l’ont été aux termes de périodes de « cohabitation ». En 1988 et 2002, les « sortants » étaient les premiers ministres. Jacques Chirac et Lionel Jospin ont été battus.
A bien y regarder, jamais depuis 1978 – et il s’en est fallu de peu – une majorité sortante, celle qui, présidentielle ou parlementaire, exerçait de fait le pouvoir, n’a été reconduite. Et 2007 ? Subtilement, l’alternance avait eu lieu en interne. « Déchiraquisée », l’UMP était devenue sarkozyste et son candidat, lui-même, assumait, incarnait la rupture. C’est cette rupture qui a porté la victoire – plus encore que la faiblesse de son adversaire et le désir de perdre du compagnon et des camarades de celle-ci.
De ce fait, la réélection, à l’avenir, pourrait se révéler de plus en plus périlleuse. La démocratie contemporaine est une démocratie du zapping.
La preuve par l’étranger… le présidentialisme à l’américaine
Et aux Etats-Unis, me direz-vous ? Aux Etats-Unis, justement, la réélection s’explique souvent par la faiblesse de l’adversaire – John Kerry en 2004 ne faisait pas le poids même face à George W. Bush, pas plus que Bob Dole face à Bill Clinton en 1996. Et puis, aux Etats-Unis, il y a à mi-parcours du mandat de 4 ans, systématiquement, des « mid-term elections », le renouvellement pour partie du Congrès. Souvent, en conséquence, le président « cohabite » avec un Sénat ou une Chambre des représentants qui lui est défavorable. Mais, dans un système authentiquement présidentiel, il continue à tenir les rênes du pays.
La particularité du quinquennat à la française, renforcée par la pratique de ces cinq dernières années, c’est l’absence totale de fusibles, mais aussi – et surtout – d’élections intermédiaires. Tout se joue en un mois pour cinq ans. Et des candidats présidents qui peineront à s’élever au-dessus de leurs camps pour incarner le rôle de « père de la Nation », autre invention si française.
La preuve par l’étranger… les régimes parlementaires
Au Royaume-Uni ou en Allemagne, le Prime Minister et le chancelier sont issus directement de majorité parlementaire. Plus facile de gagner une majorité de centaines de scrutins qu’une seule élection sur son seul nom. Et puis, il y a aussi les « combinazione » à l’italienne, le soutien de quelques députés marginaux pour sauver in extremis une majorité.
La France n’a rien de tout cela. Le quinquennat à la française personnaliserait, comme jamais, l’élection présidentielle, la polariserait et, surtout, favoriserait le vote de rejet plutôt que celui d’adhésion. Cinq années sans véritable respiration, sans fusible, cinq années où le président gouverne davantage qu’il ne préside, cela pourrait expliquer que la France entre dans un cycle d’alternance permanente. Or, nul ne pourrait nier que, à la tête d’un Etat, comme pour tant d’autres choses, il est bon parfois de favoriser la durée. Donner du temps au temps…