Bothaina Kamel est la première femme à avoir tenté de se présenter aux élections présidentielles égyptiennes. Un symbole de courage pour beaucoup de femmes et une ouverture d’esprit qui suscite l’espoir.
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Une femme charismatique
Le Caire, Egypte. La salle de la conférence TEDx Tanta est sombre et comble. L’assistance attend. Une voix annonce le nom de Bothaina Kamel. La foule est en délire. Elle quitte son siège du premier rang et monte sur la scène en pleine lumière. Sa tunique transparente et zébrée vient d’Inde et ses chaussures du Kenya, ses ongles sont manucurés, mais elle ne porte pas de vernis.
« Il faut rêver » dit-elle à son public, un large sourire aux lèvres.
Une pionnière
Elle applique ce qu’elle préconise : cette grande rêveuse est la première femme à avoir tenté de se présenter à l’élection présidentielle égyptienne. Bien que sa campagne ait déclenché un véritable engouement –ainsi qu’un intérêt tout particulier de la part des médias internationaux –, elle n’a pas réussi à obtenir les 30 000 signatures requises avant le 8 avril pour pouvoir rester dans la course.
Sans surprise. Tous, y compris ses partisans, savaient qu’elle n’y arriverait pas, mais ce n’était pas le plus important. Elle s’est présentée, a montré que les femmes ne sont pas totalement exclues de la vie politique. Elle a suscité un débat.
Une femme engagée
« J’aime le peuple égyptien et je sais qu’il a beaucoup souffert et qu’il mérite la liberté et la dignité, » lance-t-elle.
Sa récente conférence TEDx n’est qu’une de ses nombreuses apparitions publiques depuis sa démission du poste de présentatrice du journal télévisé pour se consacrer à sa carrière politique. Avec des conférences au Syndicat de Presse et un flux constant d’interviews, Bothaina Kamel a su rester visible auprès du public. Elle a choisi de le faire à sa manière.
L’intégrité avant tout
En 2005, elle quitte son poste de présentatrice du journal télévisé pour ne pas continuer à dire « des mensonges », comme elle le dit elle-même, en songeant aux fausses informations dictées par le gouvernement. « C’était très dur pour moi, j’aime travailler à la télévision pour échanger, expliquer et communiquer avec le peuple. » Mais cette situation avait assez duré : « Je suis arrivée à un point de non-retour. Si j’avais continué sur cette voie, je ne me le serais jamais pardonné ».
La même année, aidée par deux autres femmes, elle fondait l’organisme de surveillance « Shayfeen » (« On vous surveille »), pour veiller au bon déroulement de l’élection présidentielle égyptienne. Le lien qu’elle a tissé avec les Egyptiens est palpable et elle est ne cesse de leur déclarer son attachement, à tel point qu’il est écrit sur sa carte de visite : « L’Egypte est ma priorité ».
Un militantisme qui ne date pas d’hier
Alors qu’elle tourne les pages d’un album-photo où l’on peut y voir des images de la Place Tahrir pendant la révolution de 2011, la lumière scintille sur le grand pendentif en cuivre qu’elle porte autour de son cou. On peut y lire en arabe « la fin de l’oppression militaire ».
Pendant les 18 jours de manifestations qui ont abouti à la chute de l’ancien dictateur égyptien Hosni Moubarak en février 2011, mais aussi pendant les mois de tension qui ont suivi, Bothaina Kamel a toujours été parmi les premières à descendre manifester dans les rues, à chanter à l’unisson avec le peuple, à porter un masque à gaz, à tenir des banderoles – comme l’image très connue où elle se tient sur un balcon, en dessous duquel une véritable marée humaine manifeste dans les rue du Caire.
Une révolution qu’elle a vécue au plus près
Elle se souvient être entrée sur la Place Tahrir le 2 février 2011, après la « bataille des chameaux », lors de laquelle les révolutionnaires avaient réussi à combattre les partisans de Moubarak qui venaient les attaquer à dos de chameaux. Elle se rappelle être entrée en chantant « Sois fier d’être égyptien » sous le drapeau de l’Egypte. « Un grand moment ».
Quand on lui demande si la révolution a changé quelque chose pour elle, Bothaina Kamel se contente de répondre, en riant : « C’est la vie ! Il y a du changement, c’est comme ça ! ».
L’envie de changer les choses
Après le départ de Hosni Moubarak, elle espérait revenir à son poste de présentatrice. « J’étais naïve. Je me disais qu’il me fallait revenir à la télévision officielle égyptienne pour changer les choses. » C’était sans compter sur le Conseil suprême des forces armées qui avait pris le pouvoir au lendemain du départ de Moubarak et qui ne comptait pas redonner sa place à l’information libre.
Bothaina Kamel est issue d’une lignée de femmes révolutionnaires. Sa grand-mère était parmi ceux qui s’opposèrent aux Britanniques lors de la Révolution égyptienne de 1919 et sa mère a repris ses études après avoir donné naissance à ses enfants, ce qu’aucune femme ne faisait en Egypte à cette époque-là.
Une famille de révolutionnaires
Née en 1962 au Caire, elle a grandi dans une « famille traditionnelle égyptienne », comme elle aime à le souligner. Son père voulait éviter qu’elle rencontre des garçons, d’où son inscription à une école française pour filles en Egypte. Sa mère, qui ne partageait pas cette idée, emmena sa famille dans un centre culturel public, où Bothaina Kamel put se rendre compte, pour la première fois, des différentes catégories qui composent la population égyptienne.
« Quelle découverte pour moi… Apprendre l’art et en même temps pouvoir tisser des relations amicales avec des garçons…de toutes catégories sociales… J’ai commencé à comprendre ce qu’était ma société et je suis devenue amie avec toutes sortes d’enfants de mon âge. »
Une ouverture d’esprit qui fâche
Sa capacité à voir au-delà des classes n’a fait que s’amplifier avec le temps. Ces parents lui ont appris l’Islam mais elle soutient l’anti-sectarisme et porte elle-même le croissant de l’Islam et la croix du Christ. Cette vision libérale du monde n’a pas été sans conséquences pour elle, de lourdes conséquences.
« Je me souviens que mon père me faisait constamment des réflexions. Même pour des détails, comme croiser mes jambes, il avait son mot à dire. Il trouvait que je manquais de politesse, mais j’ai toujours été une âme libre, et je souffrais de ces critiques qu’il me faisait souvent en public, et qui me mettaient très mal à l’aise. Très jeune, dès l’adolescence, j’ai pris la décision de ne plus lui parler, de m’isoler de ma famille, parce que j’étais blessée par cette oppression constante. »
La liberté de penser
Cette ouverture d’esprit a continué dans la famille : la fille de Bothaina Kamel, qui termine ses études à l’Université américaine du Caire, ose contredire sa mère. « Elle est toujours contre moi » explique-t-elle, en parlant de sa fille, en riant. « Elle me dit : « Je ne vais pas faire partie de ta campagne juste parce que je suis ta fille. » »
Pour cette maman, c’est la preuve qu’elle l’a bien élevée : « C’est très sain de penser par soi-même » dit-elle.
Et la jeune fille est tout sauf dépendante des autres. Dans une conférence de presse, ou parmi la foule, elle sait exactement où elle veut aller et à quel moment. Elle prend les choses en mains.
Une vocation qui ne fait pas l’unanimité
Bothaina Kamel ne souhaitait pas être journaliste, mais c’est arrivé « par hasard » dit-elle. Celle qui se décrit comme une personne timide ne s’était jamais imaginée devant les caméras : « J’essaie juste de toujours savoir la vérité, c’est tout ».
Et ses actes en sont la preuve : de 1992 à 1998, elle présente une émission radio, « Eterafat al Layali » (« Confessions nocturnes ») dans laquelle les gens appellent pour partager leurs histoires personnelles. Une opportunité pour l’animatrice d’aborder des sujets tabous en Egypte comme le sida, les relations familiales compliquées et le sexe. L’émission finit par être retirée des ondes suite à des plaintes dénonçant l’émission comme « contraire aux valeurs traditionnelles de l’Egypte ».
Certains Egyptiens la rejettent, prétextant qu’elle est davantage connue à l’international que dans son propre pays. D’autres, au contraire, ont été fortement touchés par sa personnalité.
L’espoir donné à la jeunesse féminine
Noha Gamal, une jeune étudiante, voit en Bothaina Kamel une pionnière et un exemple pour toutes les femmes égyptiennes. « Elle a toutes les qualités d’une future présidente. Elle est un modèle pour toutes ces femmes qui veulent occuper des positions importantes dans la société, ces places qui sont réputées pour être réservées aux hommes. Elle ouvre la voie à d’autres femmes qui pourraient faire partie du gouvernement ou être à la tété d’entreprises… Elle est un exemple pour chaque fille qui aspire à cela. »
Dans le Top 3 des modèles de Bothaina Kamel, on retrouve Mère Teresa, le prophète Mahomet et Jésus-Christ. Nelson Mandela et Gandhi les suivent de très près. « Je n’ai pas de modèle en politique par contre » confie-t-elle.
Une future femme politique ?
Rien n’est sûr quant à l’avenir politique de Bothaina Kamel : sera-t-elle un acteur majeur de la vie politique égyptienne où les hommes dominent ? A la question « Vous représenterez-vous aux prochaines élections ? », elle se tourne vers un ami pour lui demander son avis. Il hausse les épaules, acquiesce. Elle grimace avec humour et laisse entrevoir un sourire qui sous-entend que cette option n’est pas tout à fait écartée.
Bothaina Kamel ne déserte pas pour autant. Elle entend faire « profil bas » mais souhaite continuer de s’exprimer et de communiquer avec un grand public, « via Twitter, via les médias, mais le plus important est que les Egyptiens aient un média indépendant ».
Elle reste également active sur la scène politique : elle vient de rejoindre le parti de Mohamed El Baradei, l’Association nationale de changement, qui vise à réformer la scène politique. Une chose est sure, elle compte bien faire partie de l’histoire à sa façon.
GlobalPost / Adaptation Amélie Garcia – JOL Press
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