Les 23 et 24 mai 2012, s’est tenu en Égypte le premier tour d’élections présidentielles historiques, un scrutin que les Égyptiens ont abordé avec beaucoup d’optimisme, un an et quelques mois après la Révolution qui a chassé du pouvoir Hosni Moubarak. Le second tour se déroulera les 16 et 17 juin. En lice, les deux candidats arrivés en tête du premier tour : Ahmed Shafiq, proche de l’ancien régime, et Mohamed Morsi, le candidat des Frères Musulmans. Pourtant, à moins d’une semaine de l’échéance, c’est la légitimité même de cette élection qui semble remise en cause. Un mauvais présage pour l’avenir de la démocratie dans ce pays.
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Trois semaines après le premier tour de l’élection présidentielle – les 23 et 24 mai derniers -, les Égyptiens se rendront de nouveau aux urnes les 16 et 17 juin prochains. Pour ce deuxième tour, ils auront à choisir entre les deux candidats arrivés en tête au premier tour : Ahmed Shafiq, représentant de l’ancien régime, et Mohamed Morsi, le candidat des Frères Musulmans.
De la légitimité du scrutin dépend la transition démocratique
Plusieurs facteurs semblent déjà porter atteinte à la crédibilité des résultats électoraux en Egypte : des manifestations régulières dans le centre du Caire, les divisions observées au sein même des forces politiques, et l’attente d’une décision cruciale de la Cour constitutionnelle, susceptible, le 14 juin – deux jours seulement avant ce deuxième tour -, de disqualifier Ahmed Shafiq, l’un des deux candidats à la course présidentielle.
Aucun doute ne doit porter sur la validité du processus électoral pour qu’un transfert effectif du pouvoir des militaires à une autorité civile, élue par le peuple, puisse intervenir, comme prévu, plus d’un an après les manifestations de masse qui ont conduit au départ de l’ancien dictateur Hosni Moubarak. Mais comment s’assurer de la légitimité de cette élection ?
Dispersion des voix et représentativité limitée des deux finalistes
Première crise de légitimité, le résultat du premier tour de l’élection conduisant au duel entre deux candidats qui, leurs votes rassemblés, ne représentent même pas la moitié du vote total.
« Le fait que des pans entiers de la société se sentent exclus du processus démocratique, qu’une crise de confiance politique demeure, affaiblit le vote de multiples façons, » a expliqué Michael Hanna, un confrère égypto-américain à la Fondation Century, groupe d’analystes politiques basé à New-York.
La faible participation des électeurs
Deuxième source de préoccupation: la faible participation au premier tour. Avec une participation de seulement 46% des 50 millions d’électeurs égyptiens, « c’est un signe de la poursuite de la crise que traverse la vie politique égyptienne depuis plus d’un an, » poursuit Hanna. « Cela handicapera sérieusement, le vainqueur, quel qu’il soit. »
Des soupçons de fraude planent sur le vote
Deux des candidats présidentiels éliminés, Hamdeen Sabbahi et Abdel Meneim Aboul Fotouh – qui ont réuni, à eux deux, 38% des voix – ont qualifié l’élection de frauduleuse et la considèrent, en conséquence, comme non valide. Mais, pour le moment, ils n’ont aucune preuve en main pour justifier leur accusation. Le Centre Carter, qui surveille les élections, a affirmé avoir été témoin de certaines irrégularités, mais a précisé qu’elles n’étaient pas suffisamment importantes pour affecter le résultat final du vote.
Les partisans de la révolution, destinés à l’opposition?
En face des ces deux candidats, une opposition est en train de s’organiser. Une alliance pourrait même voir le jour entre deux hommes politiques, tous deux favorables à la révolution, Sabbahi, un militant de gauche, et Aboul Fotouh, un Islamiste modéré indépendant .
« Pour la première fois, la révolution a une légitimité électorale, » a estimé Hani Shukrallah, auteur égyptien et rédacteur en chef d’Ahram Online, un site d’actualité égyptien traduit en anglais.
Il fait partie d’un mouvement, groupusculaire mais actif, qui prône le boycott des élections : la grève du bulletin de vote devant permettre d’exprimer ces dissidences.
« Si on additionne les suffrages Sabbahi et Fotouh, on peut largement estimer que la majorité a été mise de côté dans ces élections, ». Il affirme. « On peut créer une voix solide avec ça, et cristalliser la volonté du vote révolutionnaire. »
Le Parlement impuissant face à une justice corrompue
Sabbahi et Aboul Fotouh appellent maintenant à la création d’un conseil présidentiel civil formé d’une coalition de figures politiques pour mettre la pression sur le gouvernement militaire pour disqualifier le candidat en course et ancien représentant du régime, Ahmed Shafiq. Leur cause est portée par les récentes manifestations sur la, désormais iconique, place Tahrir.
En avril, le Parlement, dominé par les Frères Musulmans, a promulgué une loi pour empêcher les figures de l’ère de Moubarak, dont Shafiq, de se présenter aux postes dirigeants importants.
Shafiq, ancien Premier ministre et ministre de l’aviation civile d’Hosni Moubarak, devrait donc faire face à cette loi. La Cour constitutionnelle, selon un média dirigé par l’État, est prête à ouvrir la discussion – mais pas forcément à appliquer la loi du 14 Juin, juste deux jours avant le second tour !
Le régime de Moubarak en toute impunité
Des appels à la disqualification de Shafiq – alors qu’il doit faire face au candidat des Frères Musulmans, Mohamed Morsi – se sont fait entendre ce week-end, après que six chefs de la police, accusés d’avoir tué des manifestants pendant les 18 jours de la révolte d’il y a un an, aient été acquittés.
Beaucoup ont vu dans le verdict un autre signe de ce que le régime de Moubarak et tous ceux qui en ont profité continuent d’opérer en toute impunité.
Des milliers de manifestants se sont rassemblés place Tahrir, venus de tous les quartiers du Caire, mardi 5 juin, pour demander que les responsables policiers acquittés soient rejugées, mais aussi pour que soit mise en œuvre la loi votée par le Parlement.
« Je ne veux pas que Shafiq soit seulement disqualifié [de la course], » a dit un manifestant de 23 ans, Ibrahim Abu Zahar. « Je veux le voir en prison. »
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La majorité des suffrages exprimés, le seul élément qui compte en démocratie…
Certains s’inquiètent aussi de la possible mise à l’écart des millions de citoyens qui ont voté pour Shafiq au premier tour, si ce dernier se voyait exclu des présidentielles et de la vie politique égyptienne.
« Je pense que ça devrait être la sortie aux urnes qui gouverne. Ces protestations [contre Shafiq], elles arrivent trop tard. Elles auraient dû se passer avant le premier tour, » a dit un scénariste de 23 ans, Ahmed Ali. Il admet avoir participé à la manifestation de Tahrir, ce mardi 5 juin, afin de mieux comprendre les demandes politiques du mouvement.
« Nous devrions respecter ce que les gens veulent, » dit-il. « Nous ne devrions pas minimiser leur choix. »
…sauf si le cadre politique est biaisé
Mais, selon Hanna, l’accession de Shafiq au statut de favori à la présidentielle, avec une campagne autour de la restauration de la loi et de l’ordre avec une main de fer, ne s’est pas déroulée dans le cadre d’un discours politique juste.
Les militaires au pouvoir en Égypte ont « encadré l’environnement politique et influé sur l’évolution de la compétition, » écrit Hanna dans une récente chronique dans la Revue de l’Actualité Internationale du Caire, une revue semestrielle publiée par l’Université Américaine au Caire.
Corruption: des médias, à la justice, en passant par la bureaucratie
Hanna pointe du doigt l’utilisation de médias contrôlés par l’État pour mettre en avant des manoeuvres favorables à Shafiq.
« Si l’on se penche sur le rôle des médias publics, des cours de justice et des institutions bureaucratiques, et sur le manque de transparence dans leur manière d’agir – toutes ces choses sont des cibles légitimes si l’on veut critiquer la nature démocratique et juste du processus, » poursuit le jeune révolutionnaire.
« Et tout ceci ne vient pas de nulle part. [La corruption] existe depuis longtemps, mêlée à la fraude électorale [durant l’ère de Moubarak]. Les perceptions sont importantes pour juger de la légitimité d’un processus électoral. »
Global Post / Adaptation Annabelle Laferrère – JOL Press