Avec «Rien ne se passe comme prévu», publié chez Grasset, Laurent Binet s’est pris pour Yasmina Reza qui, rommancière elle aussi, avait suivi la campagne présidentielle victorieuse de Nicolas Sarkozy – dans «L’aube, le soir et la nuit». L’auteur de «HHhH» a parié sur François Hollande et, introduit par Valérie Trierweiler qui l’avait interviewé pour Paris-Match, il a accompagné le candidat pendant près d’un an, de la campagne pour la primaire citoyenne aux premières du jour d’après la victoire, place de la Bastille. Morceaux choisis.
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Sous les perches des preneurs de son, on l’aperçoit parfois au milieu du cordon des gardes du corps. Des adolescents hystériques jurent qu’ils ne se laveront plus jamais la main après avoir serré la sienne. Des journalistes sont prêts à me piétiner pour rester au contact du candidat. Des ouvriers en colère hurlent, menaçants, qu’ils auront la peau des journalistes.
Hier à Lyon, aujourd’hui à Florange, demain à Varsovie ou à Londres, Marseille, Boulogne-sur-mer, Trappes, Rouen, Berlin, la Guadeloupe, la Guyane, le soleil ne se couche jamais sur la campagne présidentielle.
Hollande, président ? On rêve. Les ennemis d’hier sont les alliés d’aujourd’hui. Valls monte la garde. Montebourg se prend pour César.
En face, l’adversaire brûle ses vaisseaux. A la télé, on disserte sans fin sur sa stature ou sur le halal. Pendant ce temps, Mélenchon récite des pages de Victor Hugo. Ceux qui trouvent la campagne chiante en parlent pendant des heures, des jours, des mois.
Des hélicoptères tournent dans le ciel de Tulle. Tout est normal.
Extraits de Rien ne se passe comme prévu, de Laurent Binet.
On m’avait dit deux choses : il sait haranguer les foules et il est drôle (d’où son surnom de « Monsieur Petites Blagues »).
Une triple occasion m’est donnée de pousser l’analyse un peu plus loin, avec coup sur coup le Libé spécial Hollande, le documentaire de Canal + sur la primaire et le troisième et dernier débat télévisé.
C’est là que je commence à percer l’un des secrets de sa rhétorique : dans le débat, François Hollande fonctionne comme au judo, c’est-à-dire qu’il utilise la force de l’adversaire. Il n’esquive pas les attaques mais au contraire les encaisse, les absorbe et les reprend à son profit. Le procédé a le mérite d’être à la fois spectaculaire et d’une grande élégance. Dans Libération, lorsque Nicolas Demorand l’accuse d’être un « Chirac de gauche inexpérimenté », il dit : « Un de ces mots est devenu président de la République. Ce n’est déjà pas si mal… » Le soir même, dans le documentaire sur la primaire, on lui demande de commenter ces propos de Fabius : « Franchement, vous imaginez Hollande président ? On rêve ! » Et lui de répondre, avec une ironie teintée de lyrisme : « Eh bien, je garde le mot : c’est un beau rêve. Je suis content qu’il y participe. » Enfin, le lendemain, lors des débats, il nous offre une version plus burlesque du procédé.
Lorsqu’on lui rapporte une attaque de Ségolène Royal qui a dit : « Hollande, c’est un notable. Avec lui, c’est “dormez, braves gens !” », il répond gaiement : « Sur la question du sommeil, je le confirme, il faut dormir de temps en temps pour récupérer[1] ! »
Indépendamment des qualités de chacun, je me rends compte que Martine Aubry ne sait pas faire ça. A plusieurs reprises, je l’ai entendue reprendre les propos de son adversaire, mais sans les réutiliser à son profit, ne sachant pas trop qu’en faire, gratuitement, en quelque sorte. Lors du premier débat, par exemple, elle avait attaqué Hollande sur le nucléaire. Elle lui reprochait ses propositions trop frileuses et, un instant, on a cru qu’elle le tenait mais, desserrant alors d’elle-même la mâchoire qu’elle était en train de refermer sur lui, elle déclara soudain : « J’espère qu’on sera à une part du nucléaire encore plus basse que 50 % en 2025, mais c’est un bon objectif… » Hollande, qui n’en demandait pas tant, a évidemment saisi la balle au bond : « Ah bon ? Ah ben voilà, ça y est, très bien, j’ai obtenu ma réponse et nous sommes tous d’accord ! »
Lors du troisième débat, de façon encore plus surprenante, elle reprend à son compte une déclaration de François Hollande qu’on avait pourtant beaucoup reprochée à celui- ci : « J’ai une vie simple et normale, comme dit François Hollande… »
On voit la différence : là où lui récupère, elle concède.
[1] Ce procédé déteint même sur ses partisans comme en témoigne cet échange entre deux internautes, lu sur le site du Nouvel Observateur : « Les pro- Hollande vont rester comme deux ronds de Flanby. » Réponse : « C’est bon, Flanby ».