Site icon La Revue Internationale

Barah Mikaïl: «le Printemps arabe n’est pas terminé»

1couv_mikail.jpg1couv_mikail.jpg

[image:1,l]

« Il y a lieu de se réjouir des soulèvements initiés par le monde arabe en 2011. Mais leurs conséquences et leurs évolutions sont aussi à étudier avec beaucoup de recul. » Barah Mikaïl, directeur de recherche pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient pour le think tank espagnol Fride publie son dernier ouvrage « Une relecture nécessaire du Printemps Arabe ».

Un ouvrage qui entend faire la lumière sur les évènements qui ont secoué de nombreux pays arabes depuis plus d’un an. Car, s’il faut regarder les « exclusions de dictateurs et leaders autoritaires au profit d’une donne politique plus ouverte et légitime » avec satisfaction, il ne faut pas oublier que « la récupération politique reste de mise et, avec elle, le développement d’analyses et de perceptions qui passent souvent à côté de ce qu’il convient de réellement comprendre ».

L’effet domino que le monde attendait

Quelles sont, selon vous, les grandes lignes de l’après-Printemps Arabe ?

Il est trop tôt pour donner de vraies conclusions en dehors de la satisfaction que l’on peut tirer de cet élan global en faveur de la démocratie et de l’ouverture politique. En revanche, on peut soulever certaines nuances d’appréciations. L’effet domino qui était attendu pour le Printemps arabe n’a pas été au rendez-vous et, si certains pays se sont soulevés, d’autres ont étouffé leur révolte.

Si, en Tunisie et en Égypte, les populations ont écarté leur leader par eux-mêmes, les Libyens ont dû compter sur une intervention de l’Otan. Au Yémen, l’Arabie Saoudite a géré la crise à ses propres conditions ; et au Bahreïn, toute potentielle intervention à l’encontre du pouvoir en place a été contrée par son véto.

La Syrie est aujourd’hui devenue le théâtre d’une véritable foire d’empoigne entre les grandes puissances internationales que sont les États-Unis, l’Union européenne, la Russie et la Chine.

Et puis, il y a encore d’autres pays, tels que l’Iran, l’Arabie Saoudite ou le Qatar, que la vague des Printemps arabes n’a pas réussi à atteindre.

Peut-on dire que les sociétés qui se sont construites à la suite des mouvements du Printemps arabe sont fidèles aux revendications initiales des manifestants ?

Il y a un décalage. En Tunisie, la révolte était générale. Dans un pays aussi petit, l’engouement pour provoquer la chute de Ben Ali était national.

En revanche, dans un pays plus grand comme l’Égypte, les soulèvements se sont centralisés au Caire et dans les grandes villes. Et c’est le mouvement de la Place Tahrir qui a fait la différence. Dans le reste du pays, les villages et la campagne, une grande part de la population était indifférente au maintien au pouvoir de Hosni Moubarak.

En cela, le Printemps égyptien n’a pas représenté la totalité de la population du pays, bien qu’aujourd’hui ils soient peu nombreux à vouloir revenir à l’ère Moubarak.

Surprise islamiste en Égypte et en Tunisie

Dans de nombreux pays du Printemps arabe, les islamistes ont créé la surprise en réalisant de très bons scores lors des élections. Le Printemps arabe a-t-il finalement été un Printemps islamiste ?

Sur cette question, il faut apporter quelques nuances. Ce qui est vrai pour l’Égypte, la Tunisie et le Maroc ne l’est pas, par exemple pour la Libye.

En Tunisie, le parti islamiste Ennahda a créé une véritable surprise en étant propulsé au pouvoir. Un choix surprenant puisqu’il va à l’encontre de la tradition laïque de la société tunisienne.

En Égypte, la victoire des Frères musulmans était plus prévisible. En revanche, le score des salafistes aux élections législatives, un peu plus de 25%, est effectivement une grande surprise car, avant ces évènements, personne n’avait jamais vraiment entendu parler de ce mouvement.

Finalement, cette victoire pousse à relativiser une victoire « islamiste » des Frères musulmans. En effet, le scénario du pire devait venir des Frères musulmans, il est finalement nuancé par le score de plus extrémistes qu’eux.

Vers une deuxième phase du Printemps arabe

Compte tenu de l’évolution dramatique du conflit en Syrie, peut-on encore dire que le pays vit un Printemps arabe ?

La Syrie est bel est bien dans la droite ligne du Printemps arabe. Car, sans les premiers mouvements au Maghreb, les Syriens ne se seraient jamais soulevés. Il y avait, au départ, une profonde sincérité des Syriens dans leur volonté de changement. Mais la crise a rapidement été instrumentalisée et aujourd’hui le mouvement est bloqué.

Paradoxalement, c’est l’exemple du Printemps libyen qui empêche, en partie, le conflit syrien d’aboutir. L’un des torts de la communauté internationale dans le Printemps arabe est d’être intervenue – à travers l’Otan – pour régler la crise libyenne. Aujourd’hui, les décisions sont bloquées au sein du Conseil de sécurité de l’ONU car les grandes puissances que sont la Chine et la Russie ne veulent pas s’engager militairement pour régler la crise syrienne.

Cette intervention trop rapide de l’Otan en Libye a d’ailleurs effrayé le reste de la région, elle est sans doute la conséquence de l’étouffement du Printemps arabe en Algérie.

Dans le cas de la Syrie, de nombreuses puissances interagissent pour préserver leurs intérêts. Les puissances arabes s’engagent pour la chute du régime de Bachar al-Assad quand la Russie et la Chine craignent qu’une victoire des rebelles face au gouvernement n’apporte à terme des conséquences néfastes sur leur propre territoire. La situation est donc bloquée.

Le Printemps arabe est-il aujourd’hui terminé ?

Il n’est pas terminé, mais sa première phase est en passe de s’achever. Il faut désormais attendre que les situations se stabilisent, notamment en Syrie, au Bahreïn ou encore en Jordanie.

De grands mouvements de réformes se sont engagés, comme en Arabie Saoudite mais également dans de nombreux autres pays.

Il ne faut pas s’attendre à ce que cette parenthèse soit close, car il faudra désormais régler les conséquences du Printemps arabe, qu’il s’agisse de la situation au Mali ou de l’immigration depuis la Libye vers l’Europe, par exemple.

[image:2,s]Le Printemps Arabe ne se réglera pas du jour au lendemain et il faudra du temps pour clarifier les évènements. Dans les cinq à dix ans à venir, nous pourrons examiner ces clarifications. Nous pourrons observer quelle légitimité acquièrent les politiques et de quelle manière les orientations vont se déterminer.

Le Printemps arabe aura changé beaucoup de choses, pour le meilleur et pour le pire. Il faut se réjouir de cette première phase, mais les pays sont actuellement en transition, et une régénération des classes politiques est désormais nécessaire.

Une crise de succession est entamée en Arabie Saoudite et personne ne peut prédire les évolutions de cette situation. Mais cet évènement combiné à d’autres pourrait donner de nouvelles impulsions régionales et, pourquoi pas, lancer la deuxième phase du Printemps Arabe à terme.

Quitter la version mobile