Difficile, voire impossible, d’être une journaliste « honnête » en Russie sous Vladimir Poutine. Pari relevé par Anna Politkovskaïa, engagée pour le respect des droits de l’homme, qui n’a jamais hésité à dénoncer les atrocités de son gouvernement, quitte à recevoir des menaces, et finalement à en perdre la vie.
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D’où vient la liberté de penser d’Anna Politkovskaïa ? Peut-être de ses parents, tous deux diplomates, et de sa culture américano-russe, qui lui a sans doute permis une ouverture d’esprit que ses compatriotes ont peu la possibilité de développer sous Vladimir Poutine.
Un journalisme droit
Mais c’est bien elle qui décide d’entamer des études de journalisme à Moscou et de rejoindre, une fois diplômée, le journal Izvestia. Depuis toujours, elle tient à exposer les faits et rien que les faits, qu’ils plaisent ou non, qu’ils donnent une bonne image de la Russie, son pays… ou non.
Novaïa Gazeta, ou la lutte pour la vérité
En 1999, elle décide d’écrire pour le journal en ligne Novaïa Gazeta. Créé en 1993, le tabloïd trihebdomadaire a pour vocation de dénoncer les problèmes de la société russe. Un objectif qui colle à la perfection à ceux de la journaliste, engagée dans une lutte acharnée pour le respect des droits de l’homme.
La Tchétchénie, son combat
Son principal combat : la Tchétchénie, où elle enchaîne les reportages pour montrer l’horreur de la situation. Consciente que c’est un sujet tabou sous Vladimir Poutine, elle n’hésite pourtant pas aller au fond du problème. Elle explique ainsi : « Plus d’un million de troupes russes ont été envoyées en Tchétchénie. Ils ont pris de très mauvaises habitudes : « Je vole si je veux. Je tue si je veux, je viole si je veux ». » Honteuse que de telles exactions soient commises avec le soutien des contribuables russes (dont elle fait partie), elle s’attache à filmer les horreurs sur le terrain pour rendre une forme de justice et de visibilité à ce peuple maltraité.
Anna Politkovskaïa a pleinement conscience de la gravité de la situation tchétchène. Elle tente, par sa voix journalistique, de montrer à ceux qui la lisent, que ces personnes, « qui vivent dans des conditions drastiquement différentes », qui « survivent à peine », sont en fait des Russes au même titre que les autres. Pourtant, elle dénonce un génocide et insiste sur le caractère xénophobe de la décision de Vladimir Poutine d’y faire la guerre et d’y décimer la population.
Elle sait que ses opinions la placent dans une situation très risquée. Mais si elle dit essayer de ne pas y penser, les menaces de mort qui lui sont adressées sont nombreuses, et elle sait que chacune de ses prises de parole attise un peu plus la colère du gouvernement à son égard. Elle s’estime même « miraculée » de ne pas avoir été tuée dès ses premiers reportages.
Cet état de grâce ne dure malheureusement pas, et Anna Politkovskaïa est assassinée dans la cage d’escalier de son immeuble le 7 octobre 2006. Partout, les témoignages de tristesse se font entendre, et tous regrettent la flamme de liberté qui s’éteint dans la nuit noire russe. La presse s’indigne, le meurtre de la journaliste a clairement été commandité par le Kremlin . Mais celui-ci dément toute implication dans l’affaire. Vladimir Poutine appellera même à trouver les coupables.
Un enquête qui traîne
L’enquête patauge pourtant et, trois ans après sa mort, les coupables présumés sont acquittés, et le vrai meurtrier court toujours. Son nom serait Roustam Makhmoudov, enfui à l’étranger pour éviter toute sanction – aidé par des complices au sein du gouvernement, selon certains. Le journal Novaïa Gazeta relance sans cesse l’enquête pour que justice soit faite, mais rien ne bouge, et le sentiment d’impunité est total.
En 2011 pourtant, le présumé coupable est arrêté.
Le 7 octobre 2011, Lom-Ali Gaïtoukaïev, originaire de Tchétchénie, est inculpé pour avoir reçu l’ordre de tuer la journaliste. Il aurait contacté un lieutenant-colonel de la police de Moscou, Dmitri Pavlioutchenkov, pour assurer la logistique de l’assassinat, et l’ex policier Sergueï Khadjikourbanov ainsi que les frères tchétchènes Roustam, Djabraïl et Ibraguim Makhmoudov, pour procéder au meurtre. Mais les commanditaires restent inconnus.
En matière de justice ou de journalisme, personne n’est libre de faire son travail en toute objectivité en Russie, comme l’explique Anna Politkovskaïa elle-même.
En l’espace de neuf ans, Novaïa Gazeta a subi de multiples pertes parmi ses rangs. En 2000, l’assassinat d’Igor Domnikov, en 2003, celui de Iouri Chtchekotchikhine. En 2009, trois journalistes sont tués la même année : Stanislav Markelov, Anastasia Babourova et Natalia Estemirova.
La mort d’Anna Politkovskaïa est le symbole d’une presse qu’on fait taire lorsqu’elle dérange. Reporters Sans Frontières dénonce encore aujourd’hui, en 2012, des assassinats de journalistes à travers le monde. A croire que les hommes n’accepteront jamais d’être placés face aux atrocités dont ils sont responsables.