L’Amérique n’a pas peur de la vitesse, c’est ce que l’on a constaté une fois de plus au début du XXIe siècle… avant que la finance américaine ne provoque, cette fois, la crise la plus grave depuis les années 1930. Mais Barack Obama a-t‑il remis la finance sous contrôle, avec la loi Dodd-Frank ? Éclairage avec Jacques Mistral, docteur en sciences économiques et directeur des études économiques à l’IFRI. Extraits de « Grandeur et misère de la finance moderne – Regards croisés de 45 économistes » (Eyrolles).
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Les auteurs du Cercle Turgot livrent une lecture d’ensemble des chocs successifs qui ont affecté le monde de la finance au cours des vingt-cinq dernières années, et explorent le profond changement de paradigme en cours.
Cette mutation conduit à repenser complètement les systèmes de régulation financière, mais aussi les visions communément admises de l’entreprise et de la banque. Issus des mondes de la finance, de l’industrie, de la haute administration ou de l’université, les auteurs esquissent, par leurs analyses croisées, le « monde d’après » et ses implications économiques et sociales. Ils émettent des signaux annonciateurs des évolutions ou des crises futures.
Accompagnant la 25e édition du prix Turgot du meilleur livre d’économie financière, cet ouvrage offre au lecteur une vision d’ensemble originale des grandes problématiques financières contemporaines.
Extraits de Grandeur et misère de la finance moderne – Regards croisés de 45 économistes (Eyrolles)
Le quasi-effondrement du système financier à l’automne 2008 a placé Washington devant des choix drastiques. Après bien des tergiversations, le sauvetage des banques était finalement assuré au printemps 2009 par l’opération stress tests et les recapitalisations. Mais le sauvetage sur fonds publics des plus grandes institutions financières et la crise du crédit qui s’ensuivit ont ravivé, comme après la grande dépression, l’opposition latente entre Main Street et Wall Street. L’idéologie de la régulation ultralégère des marchés financiers, en vigueur pendant des années, en a été sérieusement ébranlée. La révolte des contribuables atterrés poussait Washington à repenser la réglementation de l’industrie financière. Dénonçant l’impéritie des interventions gouvernementales, l’industrie financière a de son côté immédiatement organisé la résistance, profité d’un retour rapide à meilleure fortune et repoussé les principales menaces qui auraient pu menacer la poursuite de ses activités lucratives et risquées. Les profits et les rémunérations extravagantes sont de retour ; au printemps 2012, la crise semblait appartenir au passé. La perte de 2 milliards de dollars annoncée par J.P. Morgan début mai a, dans ce contexte, ravivé de sinistres souvenirs. Malgré la loi Dodd- Frank, la finance américaine échappe-t-elle à nouveau à tout contrôle ?
La réforme a commencé avec la publication dès le printemps 2009 du rapport du groupe de travail présidé par le secrétaire au Trésor Tim Geithner. Mais ce n’était que le début d’un processus politique qui allait se révéler particulièrement tortueux. Le Congrès a été agité pendant des mois par la préparation chaotique de la loi sur la santé qui n’a débouché qu’en février 2010 dans un climat politique détestable. Dans la foulée, Barack Obama donnait un coup d’accélérateur à la réforme financière en prononçant un discours combatif à Wall Street même. L’affaiblissement de la majorité démocrate au Sénat à la suite de la disparition de Ted Kennedy, remplacé par un élu républicain, puis par celle du sénateur Robert Byrd a fait monter la tension du fait de la menace de blocage des débats (filibustering). D’intenses marchandages ont été nécessaires pour obtenir le soutien de trois élus républicains modérés. La signature de la loi Dodd-Frank s’est finalement déroulée le 21 juillet 2010.
La loi Dodd-Frank – de son vrai nom Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act – a étendu la réglementation des activités financières au-delà de ses limites traditionnelles. Elle encadre les activités de marché à haut risque et impose de nouvelles règles aux échanges de produits dérivés qui devront pour une part substantielle se dérouler sur des marchés organisés. Elle inclut une version atténuée de la règle dite Volcker Rule disposant que les activités de marché pour compte propre seraient prohibées pour les banques couvertes par le mécanisme fédéral d’assurance des dépôts. La loi aborde la question des institutions financières too big to fail ou systématiquement importantes (SIFIs) en autorisant les régulateurs à imposer des restrictions supplémentaires à l’activité de ces sociétés, elle crée une procédure pour organiser la liquidation éventuelle d’institutions en faillite sans coût pour le contribuable. La loi tente de mettre un terme aux pratiques de crédit abusives et crée un nouveau régulateur (abrité par la Fed) chargé de la protection des consommateurs dans le domaine financier.
Toute l’activité du crédit au logement connaîtra de profondes transformations. Chacun de ces thèmes a donné lieu à d’intenses tractations, particulièrement vives à propos des responsabilités de la Fed ; l’intention initiale du président était de renforcer ses pouvoirs au sommet de l’édifice complexe des régulateurs du système financier ; mais pour en arriver là, il a fallu mener une lutte active contre les accusations de myopie et d’incompétence largement répandues après le désastre financier (et pas seulement chez les libertariens comme Ron Paul, qui veut tout simplement supprimer la Fed). La loi crée enfin un nouveau Conseil de supervision financière (le Financial Stability Oversight Board) présidé par le secrétaire au Trésor qui a pour mission de coordonner la détection et le suivi des risques portés par le système financier dans son ensemble.
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Successivement conseiller économique du Premier ministre Michel Rocard, conseiller spécial du ministre des Finances Laurent Fabius, puis conseiller financier à l’ambassade française de Washington, Jacques Mistral est aujourd’hui membre du conseil d’analyse économique et du Cercle des économistes. Chroniqueur à Radio Classique et France Culture, il est par ailleurs l’auteur de l’ouvrage Le G20 et la nouvelle gouvernance économique mondiale, publié aux éditions PUF en septembre 2011.
Grandeur et misère de la finance moderne – Regards croisés de 45 économistes, Eyrolles (3 janvier 2013)
Le Cercle Turgot rassemble les meilleurs experts francophones du monde de la finance, universitaires, dirigeants d’entreprises et d’institutions réputées, dont plusieurs auteurs des derniers best-sellers économiques. De grands acteurs de la finance sont ainsi rassemblés dans cette initiative inédite coordonnée par Jean-Louis Chambon et Jean-Jacques Pluchart.