Alors que la Corée du Nord semble avoir réussi son troisième essai nucléaire, le monde s’inquiète des avancées de la dictature communiste dans son programme de recherche nucléaire. Le Dr Jim Walsh est expert en sécurité globale et l’un des rares Américains à avoir voyagé en Iran et en Corée du Nord pour discuter nucléaire avec les dirigeants. Il est en outre associé de recherche au programme sur la sécurité des technologies à l’Institut de Technologie du Massachusetts, et chercheur au centre des études internationales du MIT. Il a accepté de répondre aux questions de Global Post/ JOL Press.
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Mardi 12 février, Kim Jong-un a déclenché la détonation d’une arme nucléaire que le site de Pungyye-ri, en Corée du Nord. Cet essai semble plus concluant que les deux précédentes explosions, et aurait pour origine un « dispositif nucléaire plus léger et plus puissant », selon l’agence de presse nord-coréenne.
Dramatique certes, mais avouons-le : les ambitions nucléaires de la Corée du Nord ne datent pas d’hier. Alors pourquoi ce dernier essai inquiète-t-il ? Le monde est-il vraiment devenu plus dangereux aujourd’hui qu’hier ?
Global Post/JOL Press : Pourquoi les essais nucléaires de la Corée du Nord sont-ils si importants ? Pourquoi les Américains devraient-ils s’inquiéter ?
Dr Jim Walsh : Ne donnons pas à la Corée du Nord plus de crédit qu’elle ne le mérite. Cet essai ne change pas complètement la donne. Cependant, le monde est en effet plus dangereux aujourd’hui qu’hier, et ceci pour deux raisons.
Premièrement, il semble que la Corée du Nord ait pris la décision de construire des missiles à longue portée et de miniaturiser une ogive nucléaire de façon à ce que celle-ci puisse être transportée par un missile. Ils n’ont pas encore réussi, et n’y parviendront peut-être jamais, mais ils essayent. Le test de [mardi] était une étape de ce processus.
Nous en saurons bien davantage sur cet essai dans la semaine qui vient, une fois que les données des « avions renifleurs » auront déterminé quels matériaux ont été utilisés. S’agissait-il de plutonium, comme lors des précédents essais ? S’agissait-il d’uranium enrichi, d’une combinaison des deux ?
La deuxième raison est que les quatre principaux acteurs de la région ont tous de nouveaux dirigeants : la Chine, la Corée du Nord, la Corée du Sud et le Japon. Il y a donc une grande part d’incertitude. Le test nucléaire a attisé les sentiments nationalistes au Japon et ailleurs. Il est dangereux de lancer des provocations dans une zone où il y a tant de dirigeants inexpérimentés et où la situation pourrait leur échapper et se terminer en une spirale que personne ne souhaite.
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Global Post/JOL Press : Qu’est-ce que cela révèle de Kim Jong-un ? Qu’espère-t-il en se lançant dans de tels essais nucléaires ? Au début, il y avait pourtant l’espoir qu’il soit un réformateur…
Dr Jim Walsh : La vérité, c’est que nous n’en savons absolument rien. Il n’y a pas beaucoup d’humilité lorsque l’on tente d’analyser la Corée du Nord. Mais il est important de se souvenir que nous savons très peu de choses sur ce pays.
Ceci dit, on peut imaginer beaucoup de raisons qui ont pu le motiver à effectuer ce test nucléaire.
Vous avez raison de dire que nous avons reçu des signes contradictoire de sa part. C’est un type qui avait des effigies Disney pendant les spectacles auxquels il assistait. Il a admis que le premier essai avec des missiles avait échoué : nous n’avions jamais vu tant de franchise auparavant. Il est davantage public, et a parlé de redynamiser le Parti, agonisant depuis plusieurs années.
Pourtant, il y a aussi sa rhétorique, ainsi que ces essais nucléaires et ces tirs de missiles. Il est difficile d’y voir clair dans tout ça.
Il vient tout juste de s’installer au pouvoir, et cherche une certaine crédibilité. Il ne peut prétendre que la Corée du Nord est plus en avance que la Corée du Sud. Oui, la Corée du Sud a une meilleure économie et une puissance militaire supérieure, mais la Corée du Nord a désormais à son actif des essais nucléaires que la Corée du Sud n’a pas. Cela peut-être une façon de d’obtenir le soutien de l’armée dans un pays dont le slogan est « le militaire d’abord ». Je suppose que son principal objectif et de s’accrocher au pouvoir.
Ainsi, si Kim Jong-un est un réformateur, il doit trouver les moyens de favoriser le changement sans provoquer de révolte. Cela signifie retirer le pouvoir à l’armée ou y installer des proches pendant qu’il s’attache à reconstruire le Parti. Il souhaite probablement adopter des réformes économiques, parce qu’il ne veut pas que le pays s’effondre.
La Corée du Nord avait déjà tenté de lancer de telles réformes : un fonctionnaire avait été abattu pendant la réforme monétaire tellement celle-ci avait échoué. Réformer économiquement un État totalitaire est une affaire délicate.
Global Post/JOL Press : Quelles sont les options de l’administration Obama pour répondre à cet essai ?
Dr Jim Walsh : Aucune option n’est vraiment séduisante. Nous avons suivi une politique stratégique de patience pendant cinq ans. Je comprends pourquoi nous l’avons fait lors du dernier essai nucléaire de 2009. Nous ne voulions pas récompenser les mauvais comportements, mais cette politique a échoué. Il y a eu des provocations suivies de sanctions suivies de provocations suivies de sanctions suivies de provocations…
D’autre part, ceux qui critiquent Obama, généralement à droite, affirment que la politique du Président a échoué et sont favorables à davantage de sanctions. Je ne m’attends donc pas à de réels changements de ce côté-là. Je pense que les deux partis sont dans une impasse.
Des sanctions ne forceront jamais la Corée du Nord à s’effondrer parce que la Chine ne laissera jamais faire une telle chose. Elle n’aime pas la Corée du Nord, mais ne veut pas non plus d’un État en lambeaux à sa frontière.
Global Post/JOL Press : Ces dernières semaines, la Chine a intimé l’ordre à la Corée du Nord de ne pas effectuer ses essais nucléaires, mais Kim Jong-un l’a fait quand même. Qu’est-ce que cela révèle des relations entre la Chine et la Corée du Nord, et comment Pékin est-il susceptible de répondre ?
Dr Jim Walsh : Je ne m’attends pas à ce que la Corée du Nord se lance dans une attaque suicidaire contre la Corée du Sud. L’armée sud-coréenne est meilleure que celle du nord, même sans l’aide des États-Unis. La Corée du Nord perdrait toute guerre décisive, mais dès lors vous auriez un grand cratère en Corée du Sud, ce qui suffit à dissuader cette dernière de toute frappe préventive.
Mais si le Nord ne peut pas envahir le Sud – parce qu’il perdrait – et si le Sud ne veut pas envahir le Nord – parce que même en cas de victoire, cela lui coûterait très cher – alors comment la guerre pourrait-elle se dérouler ?
Une guerre éclate parce que quelqu’un se trompe dans des calculs, adopte des doctrines militaires qui mènent à l’escalade d’un conflit – je pense qu’il y a des chances pour que cela arrive.
Global Post/JOL Press : Est-ce que cet essai nucléaire a des répercussions sur les efforts internationaux pour mettre fin aux recherches sur l’arme nucléaire de l’Iran ?
Dr Jim Walsh : Pour la plupart des gens, il s’agit d’histoires séparées, avec des groupes distincts d’acteurs motivés par des raisons différentes. Je pense que la Chine pourrait, au moins en théorie, servir de garantie pour la Corée du Nord. Il n’y a pas cette garantie pour l’Iran. Il n’y a personne qui puisse intervenir et aider l’Iran à obtenir ce qu’il veut, car tout le monde déteste l’Iran.
D’autre part, le nœud du problème est différent. L’Iran avait un programme d’armement nucléaire, et y a mis fin en 2003. Désormais il a un programme d’enrichissement d’uranium très actif – bien plus que nécessaire – mais il n’a pas encore pris la décision de se lancer dans la construction d’une arme nucléaire, tandis que la Corée du Nord a clairement construit des engins nucléaires.
Globalpost / Adaptation : Antonin Marot pour JOL Press