Le N-ième mouvement de grève chez Presstalis, principalement localisé au sein des centres d’Île de France, a provoqué un nouveau blocage de la distribution des quotidiens en France. Il y a plusieurs manières de commenter ce nouvel incident mais il est difficile en tout cas de ne pas être effaré par les dégâts qui sont en train de se produire, dont on voudrait espérer qu’ils ne seront pas irréversibles.
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Les données objectives sont dramatiquement simples : une érosion sans précédent et sans répit des volumes de ventes qui se traduit par une chute dramatique sur la décennie.
Depuis 12 ans, aucune année n’a été supérieure à la précédente, chacune a même signifié un nouveau recul, et sur la période 25% des volumes de la presse quotidienne nationale ont disparu des kiosques.
Et les tendances ne s’inversent pas : le patron du syndicat des diffuseurs, G.Proust, a fait part d’un recul en 2012 de 6% des volumes traités par les kiosquiers.
Face à cette chute continue, l’entreprise Presstalis s’est-elle adaptée ?
L’actuel plan de départ est… le 5ième de la décennie
Apparemment, beaucoup a été fait puisque l’actuel plan de départ est… le 5ième de la décennie. Chacun ayant été extrêmement coûteux, on peut même dire que de très importants moyens ont été consacrés à l’adaptation de l’entreprise.
Je voudrais pourtant faire quelques observations :
- devoir conduire un 5ème plan de réduction des effectifs en aussi peu de temps n’est pas la preuve d’une adaptation conduite avec une vision longue,
- l’actuel plan prévoit de supprimer… la moitié des effectifs (1250 postes sur 2500), en clair malgré 4 plans consécutifs, l’entreprise comporte encore 2 fois trop de personnel,
- certes, je l’ai dit, la chute des ventes est indéniable mais si ‘on regarde une courbe d’évolution (l’Ojd en publie de très claires) on ne voit aucune rupture récente dans les tendances, juste la prolongation d’une évolution qui se maintient depuis 12 ans : ne pouvait-on anticiper l’adaptation de l’entreprise ?
- la réponse étant évidemment oui, d’autres raisons ont empêché cette adaptation ; certaines sont à chercher en interne, côté direction comme côté personnel (je ne sais qui est le plus à blâmer), mais n’oublions pas que les pouvoirs publics n’ont pas réellement encouragé les décisions courageuses, et pourtant la facture sera payée par la collectivité au final : le dernier plan est en effet si coûteux que ni l’entreprise ni ses actionnaires-éditeurs ne pourront y faire face,
- voilà donc l’État obligé de s’immiscer dans un conflit qui devrait rester privé, mais qu’il n’a pas su éviter, et contraint de mettre la main à la poche, et même beaucoup : combien apportera-t-il des 250 M€ nécessaires, à un moment où les finances publiques ne sont pas au mieux ?
- on peut s’en indigner et critiquer durement ceux qui font monter la pression pour contraindre, sans états d’âme, la collectivité à financer leur départ, qu’eux-mêmes savent inéluctable, alors que l’État cherche partout désespérément des ressources.
Je voudrais quand même soulever une question que personne ne semble poser : ce plan sera-t-il le dernier ? A quel moment pourra-t-on être certain que Presstalis a réglé son problème d’adaptation ?
Je travaille depuis longtemps sur l’évolution de la vente de presse-papier en France et dans les pays occidentaux : il n’y a pas besoin d’être grand clair pour prévoir que la baisse va se poursuivre.
La courbe que l’on connaît bien va se prolonger, qui peut en douter ?
Les mouvements sociaux chez Presstalis sont en train d’accélérer la disparition du métier
Je voudrais être certain que cette fois Presstalis est prête pour affronter un avenir que l’on connaît sans grande marge d’erreur.
Et pourtant, « l’outil Presstalis » a des capacités sous-exploitées, à condition de « penser à côté » et d’essayer d’imaginer comment les utiliser.
Le principe de diversification, des métiers et des ressources, est parfaitement connu et pratiqué dans les médias, il ne s’agit pas d’une notion iconoclaste ni d’un blasphème !
Il est étonnantt de voir que ce n’est pas ce qui est prévu : la distribution de journaux-papier semble être pour toujours l’unique métier de l’entreprise.
Je pense que c’est une erreur stratégique.
D’autant plus que si c’est vraiment le cas, alors il faudrait en tirer les conclusions. Car si Presstalis est irrémédiablement et uniquement liée à la distribution de journaux, il y a fort à parier que le plan actuel ne sera pas le dernier et que l’entreprise va encore se contracter jusqu’à devenir trop petite pour assurer son métier. L’avenir semble noir.
Le paradoxe, dénoncé à cors et à cris par tous les intervenants, est que les mouvements sociaux chez Presstalis sont même en train d’accélérer ce scénario et la disparition du métier.
Je ne reviendrai pas sur ce qui a beaucoup été dit : ne pas distribuer la presse a de telles conséquences sur une profession en difficulté que fatalement des dégâts, sans doute irréversibles, se feront sentir.
Même les plus ouverts aux souffrances du monde ouvrier des titres de presse s’en alarment violemment, ils y voient une menace directe pour toute la profession.
Nicolas Demorand, de Libération, y rajoute une idée que je partage pleinement : la lecture des journaux sur support numérique bénéficie grâce à cette crise de la distribution physique du papier d’une promotion inespérée. Le lecteur sur tablette, que je suis, en sortira conforté d’autant qu’il ne s’est même pas aperçu de ces mouvements sociaux…
Beaucoup de ceux qui ne l’étaient pas encore, le sont devenus pour pouvoir continuer à lire leurs titres préférés.
Et beaucoup en auront aussi profité pour découvrir que l’on trouve beaucoup d’information en ligne, le plus souvent gratuitement.
Les actions de Presstalis sont en train de faciliter le transfert de lecteurs vers les supports numériques
En quelques semaines, des centaines de milliers de lecteurs auront donc découvert des pratiques nouvelles et un monde dans lequel le journal-papier n’est pas indispensable.
Reviendront-ils demain au kiosque ?
Les actions du syndicat du livre de Presstalis auront donc un double impact sur l’accélération de la crise de la presse-papier :
- à court terme en portant des coups violents à une profession au bord du gouffre,
- à moyen terme en facilitant le transfert de lecteurs vers les supports numériques.
Au même moment la presse vient de signer un accord avec Google, sur lequel il y a beaucoup à dire, qui va en théorie faciliter sa recherche de débouchés numériques.
S’il se met en œuvre, les groupes de presse vont bientôt disposer d’outils nouveaux et apprendre (enfin…) à prendre position dans le monde numérique.
C’est le 3ème effet des mouvements de Presstalis : pousser les groupes de presse à chercher d’autres ressources du côté du numérique.
Je vous en reparlerai prochainement.