Loin du sensationnel et de l’image négative de la banlieue habituellement véhiculée dans les médias, Hakim Zouhani et Carine May retracent, dans «Rue des cités», le quotidien d’un jeune de 20 ans, Adilse, à la recherche de son grand-père dans la cité. Soucieux d’apporter une «parole multiple» et «authentique», mais aussi de s’éloigner de ce traitement médiatique alarmiste, Hakim Zouhani témoigne.
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Adilse a 20 ans. Il vit en banlieue. Sa vie se déroule sur le bitume, entre retape de scooters et glandouille avec son meilleur pote. Ce jour-là, son grand-père a disparu.
JOL Press : C’est en regardant un reportage biaisé que vous avez eu l’idée de faire ce film. Etait-ce pour vous un moyen de donner une autre image banlieue ?
Hakim Zouhani : Effectivement, c’est en tombant sur ce reportage du 20h sur France 2 en 2004 que nous avons décidé de réaliser Rue des Cités. J’habite à deux pas de l’endroit où ce reportage a été réalisé. En voyant les images, j’ai tout de suite vu qu’il s’agissait d’un reportage bidonné, parmi tant d’autres.
Avec Carine May, nous nous sommes dit que c’était la goutte qui avait fait déborder le vase. Le moment était venu pour nous de prendre les caméras pour donner une image un peu plus nuancée de la banlieue et de s’éloigner de ce que les JT veulent bien nous montrer. Nous avons grandi à Aubervilliers. C’est une ville qui nous a vu naître, où nous avons évolué. Nous voulions donc apporter un regard plus juste – sans tomber dans l’angélisme non plus – mais ne pas être dans la caricature constante et dans l’extrême violence qui réduit les jeunes de quartiers a des voyous. On s’est ainsi autorisés une sorte de droit de réponse.
JOL Press: Vous n’avez pas choisi d’acteurs professionnels pour ce film, mais des jeunes d’Aubervilliers. Pourquoi ce choix ?
Hakim Zouhani : Il était fondamental pour nous d’associer un maximum de jeunes de quartiers pour que la parole soit authentique. Carine May et moi avons un parcours associatif à Aubervilliers : j’ai été animateur socio-culturel pendant de longues années. Tarek Aggoun – qui joue le rôle d’Adilse dans le film fréquentait les structures associatives quand il avait dix ans. Le film au début a été porté par une association. Le président à l’époque avait organisé une sorte de casting : ce sont des jeunes sans expérience significative dans le domaine du cinéma, mais qui avait juste envie de faire partie du projet et qui correspondaient à ce que nous imaginions.
JOL Press : C’est ce qui apporte cette dimension documentaire au film ?
Hakim Zouhani : On savait que si on commençait à chercher des acteurs professionnels, les gens auraient voulu interpréter un rôle, alors que nous voulions juste qu’ils « soient ». Le plus important c’était d’avoir cette parole authentique. En faisant participer ces jeunes, nous avons obtenu un regard plus juste sur la banlieue.
JOL Press: Que pensez-vous de la représentation médiatique des banlieues en France?
Hakim Zouhani : Les journalistes arrivent, posent leurs caméras et résument la banlieue dans leur reportage à une poignée de jeunes délinquants. Ils ont une vision très simplifiée des jeunes de quartier. C’est beaucoup plus complexe que cela. C’est pour cette raison que dans le film, nous avons voulu que cela soit intergénérationnel, qu’il y ait des gens de toutes origines, de toutes catégories sociales. Intégrer les témoignages des habitants nous a également permis d’avoir une parole multiple.
JOL Press : Ce traitement a-t-il évolué depuis les émeutes de 2005 ?
Hakim Zouhani : On s’intéresse plus aux banlieues. Mais lorsqu’on regarde le film Le thé au harem d’Archimède (1984) de Mehdi Charef – qui nous a d’ailleurs beaucoup inspiré – on se rend compte que rien n’a évolué dans les banlieues aujourd’hui. Avec la crise, ces quartiers se sont davantage paupérisés. La représentation médiatique de la banlieue a un peu changé, mais c’est toujours difficile de lutter contre la mass media, qui peut détruire tout un propos. Un reportage sur une grande chaîne comme TF1 aura toujours plus d’ impact que notre film ou qu’un média alternatif de banlieue. Il faut que les initiatives comme celle du Bondy Blog se multiplient pour que l’image du « jeune de banlieue » change dans la conscience collective.
JOL Press : Pourquoi avoir choisi le noir et blanc ?
Hakim Zouhani : Il y a plusieurs raisons. C’est d’abord par amour du cinéma : Carine May et moi sommes de grands cinéphiles. Lorsqu’on se penche sur l’histoire du cinéma français, il y a toute une frange de la population qui a disparu avec l’arrivée de la Nouvelle Vague, bien que ce courant nous a beaucoup inspiré. Dans le cinéma d’Audiard, de Carné, de Prévert, il y avait vraiment une représentation du monde ouvrier. Cette frange de la population a aujourd’hui totalement disparu au cinéma. C’est une sorte d’hommage mais aussi pour aller à l’encontre de l’image véhiculée par les médias, nous voulions nous éloigner de l’esthétique de la télévision.
JOL Press: Comment expliquer la rupture entre les banlieues et les métropoles ? Une spécificité française ?
Hakim Zouhani : A Paris, il y a vraiment la barrière du périphérique qui est matérialisée. Quand on arrive à Paris, on la voit réellement, on sait qu’on arrive dans un autre territoire. Il y a aussi une barrière psychologique : le jeune de banlieue a une idée préconçue du Parisien, et vice versa comme le Parisien à une idée stéréotypée du « jeune de banlieue ». Il y a une culture des cités en France , Avec cette image véhiculée par les médias, tout le monde se fait sa propre idée des banlieues, même sans jamais y avoir mis un pied. Lorsqu’on a présenté Rue des cités en Province on avait l’impression de parler d’un territoire étranger. Mais lorsque nous avons présenté le film en Belgique, à Brooklyn, on s’est rendu compte que les banlieues étaient un problème franco-français.
JOL Press : La banlieue, c’est quoi pour vous ?
Hakim Zouhani : Pour avoir grandi ici, je trouve qu’il y a une humanité qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. Il y a aussi une énorme solidarité : les liens se solidifient entre les gens.
Propos recueillis par Louise Michel D.