Peuplé à 80% d’afro-américains, Detroit possède une culture certaine liée à ses origines. La ville de l’automobile est également le berceau de la musique soul, à travers le mythique label « Motown », qui a su offrir à l’Amérique la bande-sonore de ses années glorieuses. Un son dérivé du rhythm’n’blues et du gospel, qui a su transcender les barrières raciales grâce aux talents locaux.
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« Chaque jour, je voyais des châssis de métal se transformer à l’autre bout de la chaîne de montage en voitures flambant neuves », déclarait il y a quelques années Berry Gordy, qui voyait dans sa condition d’ouvrier à la chaîne les clés de son succès futur : « Quelle idée géniale. Je me suis dit que je pourrais peut-être faire la même chose avec ma musique ». L’American Dream, c’est lui. Il a transposé les principes industriels au rang culturel. À l’aube des sixties, la ville de l’automobile allait devenir celle de la musique soul. Pour 800 dollars.
Une inspiration industrielle
En janvier 1959, Berry inventa le son de la jeune Amérique. Il créé sa compagnie, Motown, la contraction de « Motor » et « Town », en hommage à l’histoire industrielle de la métropole, berceau du secteur automobile. Il veut produire en masse. Vendre, encore et encore. La compagnie sera familiale. Une belle grande famille. Mais c’est sa vraie, celle que l’on ne choisit pas, qui injectera les premiers dollars dans le projet. Près de trente ans après, Motown sera vendu à la MCA plus de soixante millions de dollars.
La même année, il acquiert les locaux pour y implanter sa maison de disque, au 2648 West Grand Boulevard. Une maisonnette que l’Amérique va très vite apprendre à connaître sous le nom de « Hitsville ». Berry Gordy vient de démarrer ce qui va devenir la plus importante entreprise des Etats-Unis dirigée par des afro-américains. Ses studios vont sortir un son classique qui parviendra à surmonter l’épreuve du temps, tout en représentant une partie primordiale de l’histoire du pays, dont Detroit représente parfaitement la grandeur et la décadence.
De jeunes talents locaux
« Mon rêve, c’était de prendre un artiste dans la rue, qu’il rentre par une porte et quand il sort par l’autre porte, c’est une vedette. » Voilà l’objectif de Berry : créer des légendes. Sa meilleure illustration se nomme Stevie Wonder. Alors qu’il chantait dans un coin de rue à l’âge de onze ans, les oreilles attentionnées du nouvel homme d’affaires le repèrent. Deux années plus tard, il chante déjà ses premiers succès. « On avait des arrangeurs, des chorégraphes, des maîtres de chant, cela fonctionnait comme une chaîne de montage. On a fait des disques, on les a édités. Quand le disque était un succès, c’étaient des vedettes »
Le constat est simple : de 1961 à 1971, les studios Motown ont produit cent-dix tubes classés dans les Top Ten des meilleures ventes. Lister tous les grands qui sont passés par le label constituerait un article de plusieurs pages. On va se contenter d’en énumérer quelques-uns, vous verrez, les refrains viendront directement s’implanter dans votre caboche, ne vous étonnez donc pas si votre corps commence à se désarticuler : Diana Ross et les Supremes, Marvin Gaye, Michael Jackson et ses frères, les Temptations, les Four Tops, Lionel Richie et les Commodores, Rick James, Smokey Robinson et les Miracles…
Une musique qui s’adresse à tous
Le succès est au rendez-vous et il s’explique par une vision qui fait crisser certaines dents à l’époque. Dominé par les Blancs, le secteur de la musique va être bouleversé par une vague black de grande ampleur. En pleine période de ségrégation, Berry Gordy ne va pas simplement faire de la musique pour sa communauté, mais pour toute une génération. Motown veut toucher le plus d’audience possible avec sa musique populaire, capable de rassembler les jeunesses. La volonté d’émancipation est grande et trouvera en ce label une bande-son révélatrice de l’époque.
« Le dénominateur commun, c’est le côté universel des paroles, leur simplicité », révéla à l’occasion des cinquante ans du label le directeur du musée Motown, qui a pris place dans la résidence achetée par Gordy au début de l’aventure. Le label va ainsi suivre le militantisme politique qui détonne alors outre-Atlantique. De Marvin Gaye qui dénonce la guerre du Vietnam dans « What’s going on? », au « Dancing in the Street » de Martha Reeves, qui devint l’un des hymnes de la jeune population noire contestatrice, Motown a su s’adresser à une cible qui n’attendait que ça, tout en grandissant avec elle. Un son à l’image de la ville, même si plus beaucoup d’âmes y traînent leurs peines aujourd’hui.