Entretien avec Denis Charbit, sociologue spécialiste de la société israélienne et du conflit israélo-arabe et professeur à l’Université ouverte d’Israël.
Après avoir été qualifié, par certains membres de sa coalition, d’attentiste face aux tirs de roquettes du mouvement islamiste palestinien Hamas contre Israël, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a fini par riposter contre la bande de Gaza. Une attitude qui ferait désormais consensus auprès de la population israélienne.
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Le Premier ministre Benjamin Netanyahou a lancé, le 8 juillet 2014, l’opération « Bordure protectrice » menée par l’armée israélienne contre la bande de Gaza. (Crédit photo: yakub88 / Shutterstock.com)
JOL Press : Comment est perçue l’attitude de Benjamin Netanyahou par les Israéliens ?
Denis Charbit : Benjamin Netanyahou n’a pas joué son va-t-en guerre, ce que certains ont pu lui reprocher. Il a fini par donner une réponse à une situation de crise après avoir dit au Hamas de se tenir tranquille, en échange de quoi Israël ne mènerait pas d’offensive contre lui. Mais le Hamas a continué et Israël a été obligé d’intervenir.
On se retrouve dans une situation que les Israéliens appellent « ein brera », c’est-à-dire que l’on n’a « pas le choix ». Politiquement, Benjamin Netanyahou sort donc vainqueur à ce jour, car les Israéliens voulaient s’assurer avant tout que tout avait été fait pour éviter le déclenchement de l’opération. Alors qu’Avigdor Lieberman [ministre israélien des Affaires étrangères, ndlr] disait qu’il fallait frapper fort et tout de suite, Netanyahou a préféré attendre, ce qui a permis son recentrage dans la vie politique.
JOL Press : Certains évoquent la possibilité d’une opération terrestre à Gaza. Qu’en pensez-vous ?
Denis Charbit : Cela renvoie à la situation de 2008-2009 [opération « Plomb durci » menée contre Gaza, ndlr]. Un bombardement à distance entraîne en effet beaucoup plus de pertes qu’une opération menée par un petit commando de l’armée de terre, mais on sait aussi qu’une opération terrestre est plus risquée pour les soldats israéliens impliqués dans l’opération. Il n’est pas exclu que l’on y arrive.
Mais en même temps, Israël a fait en sorte, cette fois-ci, de mobiliser moins de personnes, contrairement à 2012 où beaucoup de personnes avaient été mobilisées mais pas optimisées. Il convient également de rappeler qu’une opération terrestre ne signifie pas une reconquête de la bande de Gaza. C’est exclu qu’Israël se retrouve définitivement à Gaza. L’armée israélienne peut envoyer des fantassins, pour mener des opérations ciblées sur place, mais il n’ira pas au-delà.
JOL Press : L’extension de la portée des projectiles du Hamas placerait 75% des Israéliens dans sa ligne de mire. Quel impact cela peut-il avoir sur la population ?
Denis Charbit : Cela pourrait avoir un impact si, effectivement, cette menace se traduit par des morts. Cela renforce le discours un peu plus autoritaire et belliqueux mais en même temps, l’opinion a eu ce qu’elle attendait : Israël a riposté. Après, savoir comment riposter et avec quels moyens, dépend de l’évaluation de la situation par les autorités militaires, mais les Israéliens font généralement confiance à l’armée et ne développent pas un discours indépendant de ce que disent les stratèges de l’armée.
JOL Press : Qu’en est-il du camp progressiste israélien ?
Denis Charbit : Dans ces conditions-là, c’est sûr qu’il est toujours plus difficile de dire qu’il faut mener la guerre parce qu’on y est obligés, mais qu’on veut la négociation, le retour à la discussion etc. Au pire, cela vous fait passer pour un traître, et dans le meilleur des cas, pour un naïf. Parce que le conflit ne se fait pas avec Mahmoud Abbas mais avec le Hamas, et qu’il n’y a pas de base de discussion ou de négociation avec ce dernier : l’objectif déclaré du Hamas est en effet la destruction d’Israël. Dans ces conditions-là, c’est une guerre qui ne peut pas avoir de débouché politique.
JOL Press : 60% des Israéliens et des Palestiniens sont favorables à une solution pacifique passant par la création de deux États. Cela n’est pas suffisant ?
Denis Charbit : En effet, mais c’est à dissocier de la réalité immédiate car ces mêmes 60% n’arrivent pas à s’organiser politiquement et à se structurer pour que cette question soit à l’ordre du jour. C’est-à-dire que 60% y sont favorables, mais ne feront pas pression pour aboutir à ce résultat. Ils ne vont pas s’organiser politiquement pour dire qu’ils veulent une coalition. Si la négociation n’aboutit pas, quels que soient les torts partagés par l’une et l’autre des parties, cela montre bien qu’aujourd’hui, le camp de la paix a du mal à faire entendre sa voix, même si c’est une voix de la raison.
Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press
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Denis Charbit est maître de conférences au département de sociologie, science politique et communication à l’Université ouverte d’Israël. Il est spécialiste de la société israélienne et du conflit israélo-arabe et auteur de plusieurs livres dont Qu’est-ce que le sionisme ? (Albin Michel, 2007), Les Intellectuels et l’Etat d’Israël (éditions de l’éclat, 2009) et Histoire des relations entre juifs et musulmans des origines à nos jours (Albin Michel, 2013).
