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L’Iran soutient le Hamas: pourquoi chacun y trouve son intérêt

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« Le front de la résistance » face à Israël
 

JOL Press : Que représente le Hamas pour l’Iran ? Historiquement, quels liens entretiennent-ils ?
 

David Rigoulet-Roze : L’Iran a toujours vu le Hamas comme une épine dans le dos d’Israël. Il fait partie de ce que l’Iran appelle le « front de la résistance », c’est-à-dire ceux qui ont refusé de reconnaître l’État d’Israël, de l’Iran au Hezbollah en passant par la Syrie, où le Hamas avait un temps établi son siège, jusqu’au Printemps arabe, qui a redistribué les cartes régionales.

Le Hamas, mouvement islamiste sunnite, qui a soutenu les insurgés sunnites en Syrie, s’est alors momentanément éloigné de Damas et de Téhéran. Il s’est rapproché du Qatar et de l’axe sunnite formé avec la Turquie. L’Iran voyait pourtant d’un bon œil la présence d’un allié sunnite dans la région, puisque tous ses alliés étaient d’obédience chiite.

La coupure avec Téhéran ne s’est néanmoins pas faite simplement car il y a, au sein même du Hamas, des divisions assez fortes entre la branche militaire représentée par Mahmoud al-Zahar et Marwan Issa, et la branche politique représentée par Khaled Mechaal, qui a décidé de transférer son siège de Damas à Doha.

C’était une manière de couper le cordon avec l’axe iranien, tout en espérant bénéficier de la manne financière qatarie. C’est effectivement ce qui s’est passé, momentanément. Cela a été perçu comme une trahison, notamment par le Hezbollah chiite, allié de l’Iran et de la Syrie, qui avait toujours aidé une partie du Hamas.

JOL Press : Pourtant, le Hamas semble aujourd’hui bénéficier ouvertement de l’aide iranienne…
 

David Rigoulet-Roze : Avant la crise syrienne, le Hamas était sur la ligne iranienne, et entretenait également des relations assez complexes avec le Jihad islamique, autre organisation islamiste sur le territoire de Gaza, qui est un peu son alter ego pro-iranien.

Le chef du Jihad islamique, Ramadan Salah, a fait en sorte de ramener le Hamas dans le giron iranien, (la réconciliation a été scellée en mars dernier) suite à une nouvelle redistribution des cartes, trois ans après le Printemps arabe. Car après la prise de pouvoir puis la chute des Frères musulmans, soutiens historiques du Hamas, en Tunisie et en Égypte, le Hamas s’est retrouvé isolé.

Il ne bénéficiait plus d’une protection de la part de la confrérie en Égypte et son autre soutien et principal financier, le Qatar, se trouvait lui-même dans une phase difficile, notamment par rapport à l’Arabie saoudite et aux Emirats, qui l’accusaient de soutenir les Frères musulmans. Doha, qui s’est retrouvée dans une position assez complexe, a fait profil bas et s’est alors rapprochée discrètement de l’Iran.

Dans le cadre de ce rapprochement, s’est opéré également un réchauffement des relations entre le Hamas et l’Iran. Ce basculement est très récent. Une catalyse entre le Qatar et l’Iran a eu lieu pour sauver la mise du Hamas qui était extrêmement isolé. En 2014, plusieurs visites ont signé ce rapprochement, notamment celle du ministre qatari des Affaires étrangères, Khalid al-Attiyah, en février, et celle programmée – mais non confirmée – de Khaled Mechaal à Téhéran.

 

Le Hamas, relais sunnite de Téhéran
 

JOL Press : Quel intérêt l’Iran a-t-il aujourd’hui à soutenir le Hamas affaibli ?
 

David Rigoulet-Roze : Téhéran, qui semble avoir mis de côté la « trahison » du Hamas dans la guerre syrienne, sait très bien que le Hamas ne peut plus se passer de l’Iran et que le Qatar est quand même assez fragilisé.

Chacun trouve un intérêt à opérer ce rapprochement : Téhéran ne veut pas être perçu comme un acteur purement chiite, qui alimenterait la guerre sectaire au niveau régional. Il a donc besoin d’avoir un relais sunnite, ce qui est le cas du Hamas. Et le Hamas, qui est dans une situation critique depuis la chute de Mohamed Morsi et des Frères musulmans en Égypte, dont le Hamas est historiquement une émanation, trouve que, finalement, l’aide de l’Iran est bien venue.

JOL Press : Comment s’est organisé – et s’organise – concrètement le soutien de l’Iran au Hamas ?
 

David Rigoulet-Roze : L’aide purement financière provient surtout du Qatar. L’aide iranienne est davantage militaire : les Iraniens ont recommencé à livrer des armes de manière importante au Hamas, alors que cela avait diminué au moment du Printemps arabe.

Le premier indicateur de ces transferts d’armes, c’est le 5 mars dernier, lorsqu’un bateau (le Klos-C) a été arraisonné par les troupes spéciales israéliennes en mer Rouge. Dans ce bateau étaient dissimulés une quarantaine de missiles M-302. Ces missiles, qui ont une portée de plus de 120 kilomètres, peuvent viser quasiment toutes les villes israéliennes. Cela constituait – et constitue – un facteur psychologique et stratégique très inquiétant pour Israël.

Fin 2012, on savait déjà qu’il y avait un transfert de technologie iranienne au profit du Hamas afin qu’il dispose d’un système de roquettes performant. Le Hamas aurait 6000 de ces roquettes en sa possession, le Jihad islamique autour de 5000. Le Hamas a adapté la technologie du Fajr-5, modèle iranien, avec une production locale, le M-75. C’est une roquette de 90 kilos qui peut tirer à 100 kilomètres. Comme les espaces sont très petits en Israël, cela représente évidemment une menace importante.

Récemment, plusieurs responsables iraniens ont fait des déclarations explicites sur l’aide fournie par l’Iran au Hamas. Ali Larijani, président du Parlement iranien, a notamment déclaré dans un entretien à la télévision iranienne qu’aujourd’hui, les membres du Hamas sont susceptibles de se défendre tous seuls – ce qui n’était pas le cas il y a quelques temps – parce qu’ils bénéficient du savoir-faire iranien. Le conseiller du président du Parlement, Hossein Sheikholeslam, a également dit que l’Iran « ne vendait pas mais donnait ». Un « don » à relativiser car l’Iran attend bien sûr un gain politique.

Il est intéressant de voir que les Iraniens ont « passé l’éponge » sur « l’adultère » du Hamas au moment du Printemps arabe : le 10 mars dernier, Ali Larijani disait en effet que la relation entre l’Iran et le Hamas était bonne, et qu’elle était revenue à ce qu’elle était… L’Iran considère que le Hamas est revenu dans le giron de l’axe de la résistance : de ce point de vue-là, l’aide iranienne a repris de manière importante.
 

L’Iran, un allié régional désormais incontournable ?
 

JOL Press : Quelle stratégie adopte aujourd’hui l’Iran face au conflit israélo-palestinien ? Pourrait-il jouer un rôle de médiateur dans la crise ?
 

David Rigoulet-Roze : Médiateur, je ne pense pas. Ce n’est pas le mot qui convient pour l’Iran. Cette posture est plutôt adoptée par le Qatar qui trouve une opportunité pour revenir sur le devant de la scène. Le petit État du Golfe joue sa stratégie diplomatique tous azimuts, c’est-à-dire avec tous les acteurs, y compris avec l’Iran, pour trouver une issue.

L’Iran, qui reconnaît avoir livré des cargaisons d’armes sophistiquées pour aider la résistance, est sur une position d’affichage dure, il ne reconnaît pas Israël. Même le « modéré » Hassan Rohani, le 27 juillet, a mis en demeure Israël de lever le blocus de la Bande de Gaza.

L’Iran profite de cette situation pour montrer que les acteurs engagés ont besoin de l’aide iranienne. L’Iran a « sauvé » la tête de Bachar al-Assad en Syrie, et s’implique en Irak où il va sans doute réussir à faire partir Nouri al-Maliki tout en souhaitant assurer un pouvoir arabe-chiite à Bagdad. Cela, conjugué au fait que le Hamas vienne quémander son aide, redonne à l’Iran un poids important au niveau régional, et peut aussi interférer dans les négociations avec les Américains sur le nucléaire.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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David Rigoulet-Roze est spécialiste du Moyen-Orient et du golfe arabo-persique. Il est chercheur rattaché à l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS), chercheur associé à l’Institut prospective et sécurité de l’Europe (IPSE) de Paris, ainsi qu’à l’Institut européen de recherche sur la coopération méditerranéenne et euro-arabe (MEDEA) de Bruxelles. Il est l’auteur de Géopolitique de l’Arabie saoudite, Armand Colin, 2005.

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