Entretien avec Didier Maus, professeur de droit constitutionnel (Université d’Aix-Marseille).
Inutile, le Sénat ? A l’occasion des élections sénatoriales, qui se sont tenues dimanche 28 septembre, le vieux débat sur la pertinence même de l’existence de la chambre haute a refait surface. A droite comme à gauche, plusieurs personnalités politiques réclament une réforme du Sénat, voire sa disparition.
Le rôle du Sénat est parfois obscur pour le grand public (Photo: Shutterstock.com)
JOL Press : Quel est le rôle des sénateurs ?
Didier Maus : Les sénateurs sont d’abord des parlementaires, comme les députés. A ce titre, ils participent à la discussion et au vote de la loi et contrôlent le gouvernement. A la différence des députés, ils ne peuvent pas renverser le gouvernement. La légitimité politique majoritaire appartient aux députés et non aux sénateurs. De plus, les sénateurs jouent un rôle important dans les départements en étant en étroite relation avec les maires et les élus.
JOL Press : Selon vous, faut-il supprimer le Sénat ?
Didier Maus : La véritable question est : « Le bicamérisme est-il meilleur que le monocamérisme ? » Je crois qu’un système d’organisation politique qui divise le Parlement en deux chambres distinctes est un bon système. Le bicamérisme s’inscrit dans la tradition constitutionnelle française depuis 1795 – à de très rares exceptions près. En 1946, les Français ont repoussé par référendum un projet de constitution prévoyant une assemblée unique. En 1969, toujours par référendum, les citoyens ont voté contre la fusion du Sénat et du Conseil économique et social. Le Sénat fait donc véritablement partie des fondamentaux constitutionnels et politiques de notre pays.
JOL Press : Quelles sont les difficultés qui découlent du bicamérisme ?
Didier Maus : Deux questions se posent. D’une part, comment composer les deux chambres de manière à ce qu’elles soient différentes ? Si l’Assemblée nationale et le Sénat étaient des copies conformes, cela n’aurait aucun intérêt en termes de symbole et de représentativité.
D’autre part, dans un système bicamériste, la légitimité politique appartient à la chambre élue au suffrage universel direct (l’Assemblée nationale). Il faut donc régler les relations entre les deux chambres de façon à ce que la seconde ne puisse pas bloquer la procédure législative. En France, ce point ne pose pas de problème puisque le dernier mot revient aux députés.
Il ne faut pas oublier que l’Assemblée nationale est l’expression de la volonté politique du gouvernement. Le pouvoir exécutif est responsable devant l’Assemblée nationale. Au cours de la Ve République, le gouvernement n’a eu que très rarement de problèmes avec l’Assemblée nationale. En revanche, il est arrivé assez souvent que le Sénat soit en opposition totale au gouvernement.
JOL Press : Faut-il réformer le mode de scrutin du Sénat ?
Didier Maus : La loi du 2 août 2013 a changé le mode d’élection des sénateurs. Ce texte augmente le poids des villes moyennes et grandes dans le collège électoral qui élit les sénateurs – une évolution censée corriger la surreprésentation des zones rurales dans le collège des grands électeurs. Et les sénateurs sont désormais élus à la proportionnelle dans les départements où trois sièges au moins sont à pourvoir, contre quatre auparavant.
Comme je l’indiquais plus tôt, le recours au mode de scrutin direct n’aurait aucun intérêt : le Sénat perdrait sa spécificité. Une solution pourrait être d’instaurer le scrutin proportionnel aux élections régionales (qui permettent aussi de désigner les grands électeurs). Cela accorderait une plus grande légitimité aux élus du palais du Luxembourg. Problème : le Sénat viendrait alors concurrencer l’Assemblée nationale. Or, il faut à tout prix éviter le conflit de légitimité entre les deux chambres.
On pourrait par exemple imaginer que le collège électoral sénatorial soit davantage désigné par les régions que par les communes. Mais, sur le fond, cela ne changerait pas grand-chose.
JOL Press : Vous parliez de la fusion du Sénat et du Conseil économique et social. Selon vous, est-ce une bonne idée ?
Didier Maus : La question a déjà été posée aux Français en 1969 et ils ont dit « non ». La réponse serait probablement la même aujourd’hui. Il n’est pas possible, au sein d’une même assemblée, de mélanger des personnes élues, même au suffrage indirect, et des personnes nommées par des groupes d’intérêt, aussi légitimes soient-ils (patronat, syndicats, organisations agricoles). Le Conseil économique, social et environnemental est une assemblée consultative. On ne peut pas, par exemple, demander à ses membres de se prononcer sur l’engagement militaire de la France en Irak.