Une controverse a éclaté lundi en Grèce. Lorsqu’il était ministre des Finances, Yanis Varoufakis, qui a démissionné en juillet, aurait préparé un système bancaire parallèle pour faire pression sur les Européens au cas où la Banque centrale européenne (BCE) aurait décidé de mettre fin à l’aide d’urgence destinée à Athènes. Ces révélations attisent encore la hargne de la droite grecque et indignent à Bruxelles. Elle révèle également un aspect très sombre des rapports économiques qui régissent l’Europe aujourd’hui.
C’est le quotidien conservateur grec Kathimerini qui a vendu la mèche : en cas d’échec des négociations entre Athènes et ses créanciers, Yanis Varoufakis avait un plan B qui organisait la sortie de l’euro. Il comptait prendre tout le monde de vitesse – l’UE, le FMI, les marchés… – avec ni plus ni moins un retour à la monnaie grecque, la drachme. Partisan d’une ligne dure vis-à-vis des créanciers et d’un « plan B » pour faire pression sur les Européens, l’économiste a expliqué au cours d’une téléconférence le 16 juillet avec des responsables de fonds spéculatifs, dont des extraits ont été publiés dimanche, qu’il avait l’intention de mettre en place « un système bancaire parallèle » en piratant le logiciel de l’administration fiscale grecque. Ce projet qui a des airs de scénario d’un James Bond était l’ultime pied de nez du Don Quichotte grec pour éviter que le gouvernement Tsipras soit obligé d’accepter de nouvelles conditions d’austérité.
L’objectif était de permettre à la Grèce de continuer à disposer de fonds en cas d’exclusion de la zone euro et de fermeture prolongée des banques. Si l’intention est louable, les moyens de la fin l’étaient moins : pour créer un système bancaire parallèle, Varoufakis comptait sur un de ses amis d’enfance, professeur en technologie de l’information à l’Université Columbia de New York, pour pirater la plateforme de la direction des impôts pour récupérer les adresses fiscales des contribuables et leur permettre, le moment venu, d’utiliser le nouveau système de paiement. Mais le point le plus impressionnant de l’opération c’est la promesse (difficile à prouver) du Président Russe Vladimir Poutine d’une aide financière massive pour subventionner les importations nécessaires, pour faire fonctionner l’administration et soutenir les investissements du pays.
Pour prouver la pertinence de son plan, l’économiste fournit des exemples. « Imaginons que l’Etat doive 1 million d’euros à une compagnie pharmaceutique. Nous aurions pu opérer un transfert numérique sur le compte lié au numéro fiscal de la compagnie, et lui fournir un code qu’elle aurait pu utiliser dans ce mécanisme de paiement parallèle. » Tout était en place, ne manquait plus qu’à appuyer sur le bouton en cas de besoin. Une application pour smartphone avait même été créée. L ’ex-ministre des Finances a révélé comment, après avoir reçu le feu vert d’Alexis Tsipras avant même la victoire de Syriza aux législatives du 25 janvier, il a constitué un petit groupe de travail très discret chargé d’imaginer un plan B en cas d’échec des négociations avec la troïka. Selon lui, le travail « était plus ou moins terminé », mais « la difficulté était de passer des cinq personnes qui l’avaient élaboré aux 1000 qui allaient devoir le mettre en œuvre. »
Lundi 27 juillet, M. Varoufakis a en effet confirmé le contenu de la conférence au quotidien britannique The Telegraph. Il a en revanche affirmé que la presse grecque a « complètement déformé ses propos. » Il cherchait simplement, dit-il, à contourner l’étranglement financier imposé par la BCE et affirme avoir « toujours été opposé aux plans de démantèlement de l’euro, car nous ne savons pas quelles forces occultes cela pourrait déchaîner en Europe. » Le plan B n’a finalement jamais été mis en place: « J’ai toujours dit à Tsipras que ce ne serait pas une partie de plaisir, mais que c’était le prix à payer pour la liberté. Mais au moment venu, il a réalisé que c’était trop difficile. Je ne sais pas à quel moment il a pris cette décision. Mais je l’ai apprise le soir du référendum. Voilà pourquoi j’ai démissionné ». Il est certain que la présence des Russes comme tuteurs et banquiers serait bien plus encombrante que la Troïka, ce qui explique probablement le retrait de Tsipras – qui a finalement été dans le sens de négociations – de peur sans doute d’entrer dans l’histoire comme le Premier ministre qui aurait vendu son pays à la Russie.
Au sein de la majorité, le « plan Varoufakis » suscite le malaise. » Le plan Varoufakis n’a jamais été discuté, cela rappelle un bon roman » selon le ministre adjoint grec des finances Dimitris Mardas. Alors que de nouvelles discussions ont démarré avec les créanciers du pays, le premier ministre, Alexis Tsipras, reste lui étonnamment silencieux. Yanis Varoufakis livre une série d’autres éléments dans cette téléconférence fuitée, largement passés sous silence. On sait que l’échec du plan imposé à la Grèce la pousserait très probablement hors de la zone euro. Et, le cas échéant « les Français sont terrifiés car ils savent que s’ils devaient réduire leur déficit budgétaire aux niveaux exigés par Berlin, le gouvernement français tomberait certainement. (…) Schäuble [le ministre des Finances allemand] m’a dit explicitement qu’un Grexit lui octroierait un pouvoir de négociation suffisant pour terroriser Paris et imposer à la France un nouveau transfert des compétences budgétaires de Paris à Bruxelles. »
On apprend que ce plan aurait fuité auprès des gouvernements allemand et français, ce qui aurait semé la panique à l’Elysée et poussé François Hollande à travailler au corps, et les créanciers et Alexis Tsipras, pour trouver un accord coûte que coûte. Quoi qu’il en soit, si le but de ce plan B était de sauver la Grèce, il est probable que ces révélations – avec la menace d’une entrée russe sur le territoire européen – aient largement pesé lors des négociations. Ce scénario abracadabrant a sans doute fait peur aux dirigeants européens, si bien qu’on peut se demander si, à terme, la mission de Varoufakis n’est pas en un sens accomplie. Contre un engagement à des réformes d’une austérité rude – on dit que Merkel a la dent dure – l’Europe va mettre une nouvelle fois la main à la pâte et le Grexit est évité. L’histoire ne s’en souviendra sans doute pas comme ça.