Alors que tous les regards sont tournés vers l’introduction du paquet neutre dans le projet de loi sur la santé défendu par Marisol Touraine, une directive européenne porte déjà à 65 % la taille des messages sanitaires sur les paquets de cigarettes. Adoptée en avril 2014 par les institutions européennes et toujours en attente de transposition en droit français, elle permettrait de conjuguer l’objectif de santé publique et le droit des marques, obstacle conséquent à l’adoption du paquet neutre.
« On a en France la manie de surtransposer toutes les directives européennes »
La directive européenne « relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes » impose aux États membres de l’Union européenne la mise en place d’avertissements sanitaires recouvrant 65 % de la surface extérieure avant et arrière de tout emballage de cigarettes et de tabac à rouler. Mais une directive ne pose que des objectifs à atteindre et doit être transposée en droit national pour être contraignante. Le législateur français doit d’abord voter une loi qui garantisse a minima la couverture des paquets de cigarettes de messages sanitaires à hauteur de 65 %. Il ne s’agit que d’un objectif minimum, les États membres étant libres de dépasser les exigences de ce paquet « directive européenne ».
Le gouvernement français a décidé d’aller plus loin et d’instaurer le paquet de cigarettes neutre – anonymisé, de couleur et de taille uniformes, et entièrement recouvert de messages et photos sanitaires. Une surtransposition qui laisse plusieurs parlementaires perplexes. Lors de l’examen du projet de loi santé en séance publique au Sénat, Gérard Cornu, sénateur Les Républicains, a interpellé la ministre de la Santé. « On a en France la manie de surtransposer toutes les directives européennes. Madame la ministre, vous avez tout à l’heure cité l’Australie. Mais ce pays n’est pas, à ma connaissance, membre de l’Union européenne. Comment voulez-vous que la France s’en sorte si, à chaque fois, on surtranspose ces directives, alors que nos voisins dans l’UE se contentent de transposer ? Je suis pour que l’on transpose, mais pas au-delà ! ».
65% de messages sanitaires : une mesure suffisamment dissuasive ?
Quid de l’efficacité de l’une ou l’autre de ces mesures ? Le paquet recouvert à 65 % est-il moins efficace qu’un paquet recouvert à 100 % ? L’exemple australien montre que les consommateurs sont relativement insensibles à l’emballage des produits de tabac. 34 % des consommateurs australiens affirment qu’ils faisaient attention aux messages et photos sanitaires avant l’instauration du paquet neutre en Australie. Ils seraient aujourd’hui seulement 13 % à se dire convaincus de l’efficacité de ce packaging « choc ».
L’écart de 35 % de recouvrement du paquet de cigarette entre le paquet « directive européenne » et le paquet neutre ne ferait donc pas une grande différence. En revanche, la mesure européenne s’attaque aux emballages spéciaux destinés à séduire des publics ciblés, comme les jeunes ou les femmes. Une mesure jugée efficace par Catherine Deroche, co-rapporteure de la commission des affaires sociales du Sénat du groupe Les Républicains. « Ces paquets « directive européenne » auront en outre l’avantage de supprimer certains types de conditionnements imaginés par les industriels du tabac, comme les paquets un peu glamour, rose fuchsia, ressemblant à des étuis de rouges à lèvres et qui peuvent exercer une forte attractivité, notamment sur les jeunes femmes. » Pour cette dernière, il n’est donc pas non plus la peine d’aller plus loin que ce que demande la Commission européenne.
Faire cavalier seul, une mesure contre-productive
La directive européenne représente une première étape vers l’harmonisation des produits de tabac au niveau de l’Union et la lutte contre le commerce transfrontalier massif. « On a aujourd’hui dit à plusieurs reprises la nécessité d’aller convaincre l’Europe de prendre certaines mesures de lutte contre le tabagisme. Or ici, pour une fois, il existe une directive européenne qui nous permet d’être tous logés à la même enseigne et au même moment » explique au cours du débat la sénatrice RDSE, Hermeline Malherbe, membre de la commission des affaires sociales.
Faire cavalier seul en adoptant le paquet neutre représente à ce titre une mesure contre-productive : la France se retrouverait confrontée à la concurrence des autres États membres qui en seraient restés au 65 % de recouvrement obligatoires. Dans ses conditions, la diffusion du paquet neutre en France « accélérera la disparition de plusieurs débitants de tabacs, ceux-ci n’ayant pas les moyens de lutter contre les marchés parallèles et ne bénéficiant pas de compensations financières » et « priverait l’état de recettes fiscales conséquentes » selon le député LR Fernand Siré.
Un effet pervers qui ne ferait pas baisser la consommation mais orienterait les consommateurs vers des fournisseurs illégaux ou à l’étranger. Pour Catherine Deroche, le problème est avant tout fiscal. « Tout le monde sait que, plus que l’emballage, c’est le prix qui constitue un facteur déterminant et qui incite à des achats illégaux ou de contrebande comme à des achats légaux mais transfrontaliers. » Une harmonisation fiscale serait par conséquent nécessaire. Or le Luxembourg vient justement d’annoncer qu’il baissait ses taxes sur les cigarettes.
Et le respect du droit des marques dans tout ça ?
Le respect du droit des marques est également dans le viseur de plusieurs parlementaires. Le paquet neutre avait à ce titre déjà été amendé en juillet dernier à l’initiative du sénateur socialiste Richard Yung, membre de la commission des affaires sociales et président du Comité national anti-contrefaçon (CNAC). « Pour ma part, à ce stade, je ne suis pas capable de dire si le fait d’aller au-delà de ce que prévoit la directive est un élément important dans la lutte contre le tabac » s’est exprimé le sénateur. « Cela vous surprendra peut-être, mais je suis surtout préoccupé par l’atteinte au droit des marques et au développement de la contrefaçon que ce paquet neutre peut entraîner. »
S’adressant à Marisol Touraine, le sénateur Alain Vasselle (LR) ironise sur la situation. « J’ai le souvenir, lorsque je rapportais le budget de la sécurité sociale, que nous avions été confrontés à la question, qui n’est pas si simple, du droit des marques en ce qui concerne le médicament. Je vous invite donc, madame la ministre, à y regarder d’un peu plus près. En la matière, il y a lieu d’être prudent, sinon on risque, à commencer par vous-même, d’être rattrapé par des directives européennes sur le sujet. » Le paquet « directive européenne » permettrait de contourner cet obstacle en maintenant à un niveau élevé la visibilité des messages sanitaires.