Épuisée par des mois de crise sanitaire – et à l’aube d’un éventuel nouveau confinement –, l’Italie est dans une situation économique délicate. Les dispositifs d’aide mis en œuvre pendant la pandémie ont lourdement pesé sur les finances publiques du pays. Si l’avancée de la campagne de vaccination permet à court-terme d’entrevoir une sortie de crise sanitaire et un allègement de la pression hospitalière, Mario Draghi semble d’ores et déjà devoir préparer l’Après-pandémie. L’un de ses grands défis sera, sans doute, de réduire les fractures qui frappent l’Italie, dont certains analystes estiment qu’elles portent en elles le destin de l’Europe.
Après plus d’un an de crise sanitaire, l’heure du bilan approche. Outre les très lourds dégâts sanitaires -la Péninsule déplore plus de 100 000 morts-, le déficit public du pays a grimpé à 9,4 % du PIB en 2020. Près de 9 points de plus qu’en 2019. La dette publique s’élève à 155,6 % du PIB. Pour l’Union européenne, le sauvetage de l’Italie apparaît comme une nécessité impérieuse. Qui pourrait aussi sceller le destin de Mario Draghi. «Le principal risque pour l’Union européenne et pour l’euro est aujourd’hui l’Italie », explique Matteo Cominetta pour Allnews.ch (Barings Investment Institute). Car, au même titre que d’autres économies fragiles d’Europe du Sud, comme l’Espagne, largement dépendantes du tourisme, la troisième économie européenne semble au bord du gouffre. Ce qui fait du pays l’une des priorités de la Commission européenne. En effet, sur les 750 milliards d’euros mobilisés par le fonds de relance Next Generation, le pays pourrait devrait recevoir 209 milliards d’ici 2023, auxquels pourrait « s’ajouter une trentaine de milliards d’euros d’aides supplémentaires accordées par l’UE au titre du Mécanisme européen de stabilité », affirme Ludmila Acone, une universitaire spécialiste de l’Italie.
Mario Draghi face à un territoire fracturé
Mais pour Mario Draghi, qui a tiré toute sa notoriété passée de son succès en faveur du sauvetage de la zone euro en 2012, venir à la rescousse de l’Italie apparaît presque comme un objectif irréalisable. Même si son arrivée a, presque miraculeusement, contribué à apaiser les marchés financiers.
Plus que les autres pays européens, l’Italie est un territoire fracturé. Fracture sociale, fracture économique, fracture des genres ou fracture numérique minent la croissance du pays. Sur ce dernier plan, « des zones entières ont été complètement isolées » durant la pandémie explique à La Croix Annamaria Furlan, secrétaire générale de la Confédération italienne des syndicats de travailleurs, l’une des principales forces syndicales italiennes. Elle affirme que la fracture numérique « a pénalisé les étudiants et les professeurs qui n’ont pas pu utiliser les systèmes d’enseignement à distance ». Selon l’Index DESI, l’étude de référence de la Commission européenne sur l’état de la transition numérique au sein de l’UE, l’Italie occupe l’une des dernières places au classement global, à des niveaux proches des pays les moins avancés de l’Europe, comme la Bulgarie ou la Roumanie. Un retard numérique aussi démontré par l’Institut de la statistique italien (Istat) dans son dernier rapport, que le plan de relance de l’Union européenne espère partiellement combler.
La fracture Nord – Sud est encore présente, notamment au niveau économique. Mais étonnement, c’est l’Italie du Nord, plus à l’aise économiquement, qui a connu un plus grand déclassement de ses habitants. Dans la péninsule, les femmes sont aussi les plus malmenées dans le milieu professionnel avec, toujours, une fracture géographique très marquée. Le taux d’activité des femmes est ainsi de 60,2 % dans le Nord du pays, contre 33,2 % dans le Sud, selon les données de l’Institut européen EIGE.
La crainte d’une baisse du niveau de vie
Une grande partie de la population italienne a vécu la pandémie comme une source de déclassement social et économique. En 2020, la pauvreté absolue a crû de 1,7 point, représentant désormais 9,4 % de la population de la péninsule, contre 7,7 % en 2019, selon les données de l’Institut de la statistique italien (Istat). Symbole de la fébrilité de la population italienne, la consommation des familles est en chute libre. Les dépenses de consommation moyennes des ménages ont chuté de 9,1 %, atteignant un niveau similaire à celui d’il y’a 20 ans. D’autant que le moral des Italiens n’est pas non plus à son paroxysme dans le pays. L’institut italien de recherche socioéconomique (Censis) indique ainsi dans son 54e rapport que 73 % des ménages confient avoir peur de l’avenir et être gagnés par l’anxiété.
Les dernières décisions du gouvernement ne sont pas de nature à apaiser l’esprit des consommateurs. Dans une lettre ouverte à la Commissaire européenne en charge de la concurrence, Altroconsumo et Euroconsumers, deux organisations de consommateurs, s’inquiètent de la volonté de fusion entre la filiale de Telecom Italia, FiberCop, et Open Fiber, ancienne filiale de l’énergéticien Enel destinée à créer un réseau de fibre optique unique. Une perspective qui, de manière sous-jacente, créerait un risque de monopolisation selon les deux organisations. « Le retour à un réseau quasi-monopolistique pourrait endommager le marché et le prix serait payé par les consommateurs et les entreprises italiennes » assurent Altroconsumo et Euroconsumers. Car les Italiens, à la faveur de la concurrence, jouissent de tarifs téléphoniques et internet particulièrement bas. Ce projet d’abord encouragé par le gouvernement Conté, sous l’influence du mouvement populiste 5 étoiles, émeut une partie des dirigeants du secteur. « Un suicide parfait » pour la fibre, explique l’un d’entre eux, dont les conséquences risquent d’être avant tout payées par les consommateurs. Mario Draghi, peu soupçonneux d’hostilité à la concurrence, pourrait y mettre un terme.
La crainte d’un cataclysme social
Surtout, Mario Dragi doit faire face à des finances publiques durement impactées par les mesures d’aide aux populations. Les dispositifs de « chèques aux familles » par exemple, ou encore les « chèques vacances » mis à disposition des Italiens restant dans le pays l’été dernier, ont coûté entre 15 et 30 milliards d’euros. Les centres associatifs d’aide alimentaire ne désemplissent pas. En parallèle, certaines des plus grandes entreprises du pays multiplient les plans sociaux, annonçant un potentiel cataclysme social à venir. Alitalia, la première compagnie italienne, a partiellement été renationalisée, alors qu’elle est désormais en incapacité de payer ses fournisseurs et prévoit, à terme, une profonde restructuration. Telecom Italia, le fleuron des télécommunications italiennes a prévu de supprimer 1 300 postes cette année. La partie émergée de l’iceberg. « On estime à 440 000 le nombre d’entreprises en grave difficulté, donc des centaines de milliers de travailleurs, dans tous les secteurs, sont concernés », selon Annamaria Furlan.
Un espoir, une unanimité de façade et mille et un défis à relever pour le nouveau président du Conseil italien. Si l’ancien Président de la Banque Centrale Européenne (BCE) peut compter, pour le moment, sur le soutien de l’opinion, il est encore perçu comme un européiste libéral pour une partie des populistes et de la droite italienne. Qui, au premier faux pas, n’auront aucune pitié pour lui.