Entretien avec Maria Llombart Huesca, maître de conférences à l’Université de Paris 8, spécialiste de la Catalogne.
Le bras de fer se poursuit entre Madrid et la Catalogne. Le président de la communauté autonome Artur Mas, a signé samedi 27 septembre un décret prévoyant la tenue d’une consultation d’autodétermination le 9 novembre, ce à quoi Madrid s’oppose fermement. Deux jours plus tard, le gouvernement espagnol a décidé de riposter en appliquant un recours devant le Tribunal constitutionnel pour contrer la Catalogne.
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JOL Press: L’argument constitutionnel de Madrid suffira-t-il pour interdire la tenue du référendum le 9 novembre prochain ?
Maria Llombart : Tout d’abord, il est important de préciser que l’appel du 9 novembre n’est pas « à un référendum », mais « à une consultation ». La différence est importante, car une consultation n’a pas des effets juridiques et qu’en principe la consultation est « légale » contrairement à un appel à « référendum ». Le Tribunal Constitutionnel vient de suspendre la loi de consultation et le décret de consultation. Le Président s’opposera à cette double suspension.
Le Président Mas, le Gouvernement catalan et une majorité des forces politiques catalanes semblent prêtes à tout faire pour maintenir la consultation. La consultation a le soutien d’un 80% de la population et d’un 92% des mairies ont adhéré à l’appel. La loi a été approuvée par un 80% des députés du Parlement catalan et la convocation a été accordée par six formations politiques, allant de la gauche de la gauche à la démocratie chrétienne, et qui représentent 2/3 du Parlement. La mobilisation citoyenne et les attentes des Catalans sont aussi très importantes, et le consensus sur l’envie d’aller voter est évident, la forme et la date sont encore à décider.
JOL Press : Ce référendum est-il en train de « fracturer et diviser » la société catalane, comme l’a récemment déclaré la vice-présidente du gouvernement Soraya Sainz de Santamaria ?
Maria Llombart : Non, car un 80% de la population de la Catalogne veut voter. Ce genre de déclaration a pour seul objectif faire pression sur l’opinion publique internationale.
JOL Press : En s’émancipant du pouvoir de Madrid, quelles difficultés rencontrerait la Catalogne ?
Maria Llombart : Cela dépend beaucoup des conditions dans lesquelles cette émancipation se ferait. La principale difficulté viendrait d’un possible boycott de la part des pays de l’UE et des difficultés de l’Espagne pour renégocier la répartition de la dette et du patrimoine.
JOL Press : Inversement, Madrid peut-elle se permettre de perdre l’une des plus riches régions d’Espagne?
Maria Llombart : Non, elle ne peut pas se le permettre économiquement, mais l’intégration en Europe a aussi fait que l’économie espagnole et l’économie catalane soient progressivement moins dépendantes l’une de l’autre.
JOL Press: Qu’est-ce que l’indépendance changerait dans la vie quotidienne d’un Catalan ?
Maria Llombart : Sa culture aurait un Etat qui défendrait sa culture, laquelle aurait une reconnaissance au niveau européen ; elle pourrait se comparer aux cultures des Etats moyens de l’Europe.
JOL Press: La crise économique a-t-elle exacerbé le sentiment nationaliste en Espagne ?
Maria Llombart : La crise économique a exacerbé le sentiment nationaliste des partis majoritaires espagnols pour promouvoir une recentralisation de l’Etat espagnol en responsabilisant les autonomies de l’énorme dépense publique.