Ce vendredi 14 décembre, le projet de loi pour la refondation de l’école de Vincent Peillon est présenté devant le Conseil supérieur de l’éducation. Anne Coffinier, directrice générale de la Fondation pour l’école, donne son analyse sur le sujet. Entretien.
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Après cinq mois de travail, le projet de loi sur la refondation de l’école est prêt. Vincent Peillon, ministre de l’Éducation, confirme la promesse du candidat François Hollande, celle de créer 60 000 postes sur cinq ans, et ce, en compensation aux 80 000 supprimés pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Ce projet, qui devait être présenté au Parlement fin novembre, le sera finalement début 2013, après avoir été adopté en Conseil des ministres fin janvier.
Les axes majeurs sont clairement établis : retour à la semaine de 4,5 jours pour le primaire ; la durée de 36 semaines reste inchangée pour 2013, mais « pourra évoluer dans les prochaines années » ; une langue vivante dès le CP et scolarisation des moins de 3 ans encouragée ; morale laïque enseignée à partir de la sixième, mais pas avant 2015 ; création des Écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE) dès la rentrée 2013. D’autres ambitions sont affichées : réduction du redoublement et création d’un service public de l’enseignement numérique.
Anne Coffinier, directrice générale de la Fondation pour l’école, explique pourquoi il est grand temps, selon elle, de dépolitiser l’école.
JOL Press : Qu’est ce qui vous paraît le plus important dans le projet de Vincent Peillon ?
Sur la forme
Anne Coffinier : Le texte en lui-même appelle, il me semble, quelques commentaires : très long – comme l’était aussi la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école conçue par François Fillon en 2005 – ce texte illustre parfaitement la tendance française à l’inflation juridique, si bien dénoncée par Jean Foyer et Jean Carbonnier. Cet excès de textes étouffe les professeurs plus qu’il ne leur apporte de solution. À mon sens, le monde de l’enseignement aurait au contraire besoin d’un cadre juridique allégé, recentré sur l’essentiel et respectant ses libertés.
Le projet de loi comprend trop de modifications de façade qui compliquent inutilement la situation : à quoi bon par exemple rebaptiser des organismes existants comme les IUFM qui deviennent des ESPE (Écoles supérieures du professorat et de l’éducation), ou le haut conseil à l’éducation qui sera transformé en conseil national d’évaluation du système éducatif ?
Le gouvernement a aussi cédé à une autre tentation bien française : la création de nouveaux observatoires. Comme si l’on en avait pas assez ! Cela me fait penser à une blague que l’on racontait à l’Ena : « Une équipe d’aviron qui perdait régulièrement en compétition décida de nommer un observateur de l’équipe (donc une personne qui ne ramerait plus tout en continuant à peser son poids dans le bateau) pour trouver la solution. Et comme cette décision entraînait une défaite encore plus cuisante la course d’après, on décidait d’instituer un deuxième rameur qui observerait l’observateur, etc. » Ici, c’est tout comme. On aura donc de nouveaux comités Théodule, comme aurait dit de Gaulle : le Conseil supérieur des programmes, l’Institut des hautes études de l’éducation nationale (sans parler de l’observatoire de la laïcité, dont la création a été annoncée en dehors de ce projet de loi).
Ce projet de loi comporte de surcroît des éléments trop disparates, voire contradictoires entre eux. On y trouve des pétitions de principes (cf. l’article 1 qui annonce notamment que « Le service public de l’éducation est conçu et organisé en fonction des élèves et des étudiants pour favoriser leur réussite scolaire », ce qui est toujours mieux qu’un service public qui ignorerait les élèves et chercherait à leur faire échouer leurs études !) aux côtés de réformes emportant des effets juridiques contraignants, comme la suppression par l’article 33 de la loi Cherpion qui autorisait l’apprentissage à 14 ans.
Plus grave, la loi d’orientation et de programmation, malgré son nom, ne donne pas une vision d’ensemble sur les réformes que le ministre Peillon entend mener durant la législature. Elle n’est qu’ « une étape destinée à être complétée par de nombreuses autres actions », selon l’annexe du projet de loi. Ainsi, le ministre, quelques jours à peine après la diffusion du projet de loi d’orientation, a déjà annoncé des réformes majeures qui ne sont pas du tout présentes dans le projet de loi, alors qu’elles nécessiteront une intervention du législateur. Il a ainsi dit qu’il entendait réformer le statut des professeurs. Par ailleurs, la création prochaine d’un observatoire de la laïcité a été annoncée le 9 décembre dernier, pour ne citer que deux exemples. Bref, cette loi n’est pas à proprement parler une loi d’orientation et de programmation. Voici pour la forme.
Sur le fond
Sur le fond, le projet de loi de programmation n’est pas cohérent par rapport aux annonces du ministre. Je prendrai deux exemples.
La priorité que le ministre dit vouloir accorder au primaire ne se traduit qu’à travers des embauches et l’annonce floue du principe « plus de maîtres que de classes ». On ne sait pas s’il y aura des groupes de niveaux, des maîtres itinérants pour aider les élèves en difficultés, si le choix sera fait de réduire la taille des classes… La transformation de la formation initiale des professeurs n’est pas davantage compréhensible, au-delà du changement de nom de l’organisme de formation et du rappel de l’importance des stages et de la formation pratique.
Si l’on regarde l’apprentissage des fondamentaux, on voit aussi une incohérence entre les objectifs proclamés (« que tous les élèves maîtrisent les instruments fondamentaux de la connaissance en fin d’école élémentaire ») et les décisions annoncées qui consistent à donner le primat à l’éducation politique et morale sur l’instruction et à réduire le nombre d’heures allouées à la maîtrise de la langue française et au calcul, dans la mesure où elles chargent l’école primaire de bien d’autres missions : langue étrangère dès le CP, acquisition d’une culture scientifique et technique ainsi que d’une éducation esthétique et culturelle, développement de l’enseignement numérique, éducation morale etc…
JOL Press : Ce projet dans son ensemble vous paraît-il adapté aux besoins éducatifs actuels ?
Développer l’autonomie des établissements
Anne Coffinier : Non, les réformes essentielles à mes yeux ne sont pas prises tandis que ce texte surcharge l’école et les professeurs de missions irréalistes. Comment apprendra-t-on par exemple une langue étrangère dès le CP alors qu’on ne trouve déjà pas aujourd’hui les professeurs nécessaires pour l’enseigner à partir du CE1 ?
L’école doit enfin accepter la diversité des enfants, de leurs aptitudes et aspirations, ce qui suppose de laisser se développer et d’encourager des modèles éducatifs et des parcours de formation variés. Le refus de filiarisation, la suppression de l’apprentissage à 14 ans, l’affirmation quasi dogmatique du collège unique sont autant de signes, dans la loi d’orientation, du refus de prendre en compte cette réalité fondamentale de la nature humaine. Il faudrait au contraire développer l’autonomie des établissements publics et encourager – y compris financièrement – le développement d’établissements généralistes et professionnels totalement libres pour répondre à ce besoin de diversité.
L’école doit aussi se concentrer sur l’essentiel qui est d’instruire, transmettre le patrimoine scientifique et culturel à tous les élèves. En diluant cette mission fondamentale dans de nombreuses autres priorités, l’école se condamne à échouer dans sa mission première, comme en témoigne les piètres classements internationaux de la France.
L’école ne doit pas remplacer les parents
Le gouvernement doit reconnaître que l’école ne peut pas régler à elle seule tous les problèmes de la société, et libérer en conséquence les professeurs de tâches qu’ils ne peuvent pas accomplir s’ils veulent s’acquitter convenablement de leur mission propre qui est d’enseigner. Le projet de loi, en renforçant la mission éducative et même politique de l’école, impose aux professeurs un fardeau qui les écrase et dépossède les parents et la société civile de responsabilités qui sont pourtant les leurs. Si l’on veut inciter les parents à s’impliquer plus dans la vie scolaire, il faut que l’école cesse d’empiéter sans cesse sur leurs responsabilités éducatives, comme c’est le cas aujourd’hui.
Le projet de loi reprend l’approche classique de la FCPE (Fédération des conseils de parents d’élèves) en parlant de co-éducation, ce qui revient à nier le primat des parents en ce domaine. Si la loi en vigueur permet par exemple à une jeune fille de recevoir au collège la pilule du lendemain, sans que l’école ne s’oblige à recueillir le consentement des parents ni même à les informer a posteriori, c’est bien que l’école considère qu’elle est meilleure éducatrice que la famille et qu’elle se méfie de cette dernière. Rien de tel pour tuer la confiance que les parents voudraient avoir dans l’institution scolaire.
JOL Press : Le terme de refondation vous paraît-il approprié ou usurpé ?
L’Éducation nationale, un gigantisme technocratique
Anne Coffinier : Il ne s’agit pas d’une refondation véritable puisqu’une refondation supposerait, selon le Larousse, de « reconstruire sur des bases et des valeurs nouvelles » notre système scolaire pour le régénérer. Ici, les bases et les valeurs sont les mêmes. Les caractéristiques de l’Éducation nationale ne sont absolument pas changées : on garde, d’un point de vue structurel, le même gigantisme technocratique, la même centralisation, le même fonctionnement hiérarchique qui décourage toute initiative et ne permet pas de s’adapter aux nécessités concrètes.
Le ministre veut même renforcer ces caractéristiques puisqu’il trouve le système éducatif sous–encadré et qu’il veut augmenter encore les effectifs de l’Éducation nationale. Pourquoi ne pas alléger les administrations centrales ou suspendre les décharges horaires au profit des syndicats, ligue de l’enseignement et autre structure militante éloignée des classes, pour redéployer ces effectifs dans les classes elles-mêmes ?
Idéologiquement, les réformes vont dans le sens des réformes menées depuis les années 1960, c’est-à-dire à l’encontre de l’exigence académique, de la transmission rigoureuse des connaissances, de la diversification des styles d’étude pour tenir compte des variétés d’aspiration et de capacité des élèves…
Il est temps de dépolitiser l’école
Malgré les discours, les droits des parents sont toujours plus bafoués : on dénie aux familles défavorisées le droit de choisir l’école de leur enfant puisque seul le choix de l’école publique est gratuit ; on impose aux familles l’idéologie de la laïcité comprise comme refus de tout dogme alors que la Constitution ne faisait de la laïcité qu’un modus vivendi permettant à toutes le sensibilités de vivre ensemble dans des sociétés pluralistes.
Refonder signifie aussi revenir à la vocation d’origine de l’école, en la débarrassant des complications et déviations apparues au cours des temps. On aurait dû revenir à une école qui instruit, qui prépare à la vie adulte. Ici, au contraire, c’est la primauté à l’éducation contre l’instruction qui a été choisie. La primauté de l’idéologie contre la neutralité.
Vincent Peillon le dit lui-même, il cherche à recruter de nouveaux « hussards noirs de la République ». À l’époque, ces derniers se donnaient corps et âmes à la mission politique dont la République les avait chargés : attacher affectivement les enfants au nouveau régime, malgré l’influence supposée des parents ; les détacher de la foi catholique ; développer en eux le revanchisme contre l’Allemagne, le goût pour l’expansion coloniale, et les militariser.
Aujourd’hui, les objectifs politiques ont un peu changé sans doute, mais il s’agit toujours d’instrumentaliser l’école au service des objectifs politiques du régime en place. Je crois pour ma part qu’il est plus que temps de dépolitiser l’école.
JOL Press : Reformer l’Éducation nationale est souvent difficile et périlleux politiquement. Comment jugez-vous la manière dont s’y prend Vincent Peillon ?
Anne Coffinier : Vincent Peillon est volontariste et ambitieux, comme l’était Nicolas Sarkozy. Il occupe le terrain. Médiatiquement, il crée à dessein un happening permanent. Il est donc médiatiquement fort. Il a aussi l’intelligence de manifester ostensiblement son respect pour les professeurs et de leur demander de s’engager à ses côtés – ce qui est nécessaire et que la droite n’a généralement pas su faire.
En embauchant à tour de bras, il conquiert aussi facilement, sur le dos du contribuable, un soutien clientéliste à son action. En se dispensant de tout effort de rationalisation budgétaire, il choisit une voie ni bien difficile ni très responsable au regard de l’état des finances du pays. Mais s’il touche effectivement au statut des professeurs, je doute que les syndicats le laissent faire.
JOL Press : Comment est accueillie cette réforme par le personnel éducatif ?
Anne Coffinier : Avec attentisme et lassitude. À quoi bon supprimer l’annualité des programmes ? À quoi bon changer la nature et la durée des cycles d’enseignement ? Que de complications et de déstabilisations inutiles.
À quoi bon réformer la formation des professeurs, si ce n’est pas pour instaurer une formation pratique dans les classes, auprès de maîtres chevronnés et librement choisis par les étudiants ? Pourquoi n’être pas revenu sur le recrutement à Master II qui correspond si peu à la réalité des vocations enseignantes ?
Les professeurs souffrent aussi du fait que rien n’est fait pour garantir la discipline dans les établissements et les protéger contre les violences et abus divers auxquels ils sont de plus en plus exposés. Comment le gouvernement pourra-t-il attirer des candidats de qualité vers l’enseignement s’il ne garantit pas un cadre propice à leur travail ?
JOL Press : Quelle serait, selon vous, la réforme prioritaire ?
Anne Coffinier : Ce serait de laisser les parents inscrire librement leurs enfants dans l’établissement scolaire qu’ils souhaitent (fin de la carte scolaire, fin de la discrimination financière contre les écoles libres), de laisser les écoles déterminer librement leur style éducatif et pédagogique, de laisser les professeurs candidater librement auprès des écoles dont le projet et l’équipe les convainquent et de financer ces écoles au prorata direct des enfants effectivement inscrits. Ça s’est fait à l’étranger et ça marche ! On aurait là un véritable renouveau éducatif fondé sur la liberté d’enseignement.
Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press
Anne Coffinier, présidente de la Fondation pour l’école. Reconnue d’utilité publique en 2008, la fondation attribue des aides financières à des écoles indépendantes. Elle coordonne l’action de Créer son école, association apportant une aide technique et juridique aux parents et aux professeurs créateurs d’écoles, ainsi qu’à l’Institut libre de formation des maîtres (ILFM).